Parce que la crédibilité de la Banque centrale européenne (BCE) est mise en doute, les marchés financiers européens seront à la merci des spéculateurs. Et ceci ne garantit qu'une seule chose pour les prochains mois, soit beaucoup de volatilité.

La crédibilité de la BCE a été durement ébranlée par la crise grecque, explique Richard Guay, professeur de finance à l'UQAM, et ex-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec. «Peu de temps avant la restructuration de la dette grecque, la BCE niait encore le problème alors que dans les faits, les obligations de la Grèce avaient déjà perdu sur les marchés 50% de leur valeur», rappelle-t-il.

Hier, le principal indice boursier allemand, le DAX, a chuté de 3,4% et l'indice français CAC 40 de 2,6%. Il s'agit peut-être là d'un avant-goût du verdict que les marchés réservent à l'accord intervenu à Bruxelles entre les pays de l'Union européenne, et surtout aux ambitions limitées de la BCE.

À court terme, comme la BCE refuse de jouer activement le rôle de prêteur de dernier recours, prétextant que le traité de l'Union européenne ne le lui permet pas, les marchés européens ouvrent toute grande la porte aux spéculateurs. Et la partie pourrait être inégale. D'un côté, les défenses sont connues. Le fonds de stabilisation disposera de 500 milliards d'euros, le Fonds monétaire international pourrait participer à la hauteur de 200 milliards, et la BCE n'achètera qu'une quantité limitée d'obligations souveraines. Elle pourrait aussi baisser le taux directeur à nouveau au cours des prochaines semaines.

De l'autre, les hedge funds ne manquent pas d'argent. C'est qu'ils sont devenus eux-mêmes une classe d'actifs, explique Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Financière Banque Nationale. «Les caisses de retraite, à la recherche du rendement qu'ils ne retrouvent plus avec les obligations, confient de plus en plus de fonds aux hedge funds afin de participer aux stratégies alternatives qu'ils offrent», dit-il. C'est pour dire que le spéculateur n'a pas toujours le visage que l'on pense.

Les agences de crédit se pointent

Les hedge funds testeront rapidement ces défenses en vendant à découvert les titres obligataires des pays les plus susceptibles de connaître des difficultés de paiement à la première mauvaise nouvelle. Et ils s'attaqueront également aux actions, aussi par des ventes à découvert, principalement celles des banques dont la situation empirera à chaque nouveau signe de ralentissement économique.

Les mauvaises nouvelles ne manqueront pas. Standard&Poor's avait prévenu avant le sommet de Bruxelles qu'elle était en processus de réévaluation de la cote de crédit de tous les pays de la zone euro, y compris l'Allemagne. Moody's a renchéri hier matin. Par voie de communiqué, elle a annoncé que la cote de crédit de chaque pays de l'Union européenne sera réévaluée durant le premier trimestre 2012, ajoutant que l'accord intervenu vendredi dernier offrait peu de nouvelles mesures pour résoudre la crise des dettes souveraines. Quelques heures plus tard, c'était au tour de Fitch Ratings d'annoncer qu'elle prévoit que la crise des dettes européennes va se poursuivre en 2012 parce que les solutions mises en place sont trop évasives.

Il faudra que la BCE se réinvente, dit Serge Pépin, directeur général de BMO Fonds d'investissement. «Vingt après le traité de Maastricht, elle doit changer», dit-il.

La déroute des marchés financiers à la suite de la crise des subprimes aux États-Unis ne s'était apaisée que lorsque la Réserve fédérale avait mis en place ses premières mesures d'assouplissement quantitatif en novembre de 2008, et que le Trésor américain avait annoncé un plan crédible de recapitalisation de ses grandes banques en mars 2009. On est bien loin d'un tel scénario actuellement en Europe.

Le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, avait pourtant passé les trois jours précédant le sommet européen à rencontrer les dirigeants afin de les convaincre de donner à la BCE tous les moyens pour assurer la liquidité des marchés. Même le président Obama avait lancé un message clair aux dirigeants européens la veille du sommet. «Nous faisons face à une crise à court terme qui doit être résolue pour assurer les marchés que l'Europe se tient derrière l'euro», avait-il dit.

Le message n'a pas été entendu par les dirigeants européens. Mais les spéculateurs, qui soient-ils, l'ont sûrement compris.