L'importante correction que subissent les marchés boursiers, amorcée avec la révision à la baisse de la croissance américaine le 29 juillet, provoque une demande considérable d'obligations américaines (Treasuries) et canadiennes.

Le rôle de refuge des Treasuries est tel depuis quelques jours que le rendement de l'échéance de 10 ans, qui était plus élevé que celui de l'obligation canadienne de même échéance, est désormais plus faible. Normalement, plus le rendement est faible, plus grande est la qualité de la dette. Or, ce n'est pas la dette canadienne que l'agence de notation Standard&Poor's a fait passer vendredi soir de AAA à AA" avec perspective négative, mais l'américaine. La note AAA canadienne a été reconduite avec perspective stable il y a déjà quelques mois tandis que Moody's a reconduit sa note Aaa avec perspective stable aussi, le mois dernier.

Le 28 juillet, veille de la révision des chiffres de croissance américaine par le Bureau of Economic Analysis (BEA) et alors que l'impasse budgétaire battait son plein au Congrès, l'obligation américaine venant à échéance en 2021 offrait un rendement de 2,95%, contre 2,88% pour la canadienne.

Dix jours après, l'américaine offrait 2,34%, en baisse considérable de 21 centièmes ou 8,4% hier seulement, contre 2,48% pour la canadienne, en repli de 15,5 centièmes ou 5,9%. La canadienne représente une aubaine pour les investisseurs qui ne sont pas en mode panique. (Sur le marché obligataire, plus le taux d'intérêt est faible, plus l'obligation est chère.)

Cette ruée sur la dette américaine n'est pas une réaction de défi à la décision controversée de l'agence de notation, critiquée pour son manque de jugements lors de la crise financière de 2008. Elle reflète avant tout la prise en compte par les investisseurs d'une croissance de la première économie du monde plus faible qu'ils ne la percevaient jusque-là. Le BEA a mis en lumière qu'elle n'est pas encore entrée en expansion, plus de deux ans après la fin officielle de la récession. Pire, elle stagne jusqu'ici cette année.

«C'est le point de vue économique qui prévaut sur la note de crédit, explique Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Les taux actuels sont aussi faibles que durant l'hiver 2009» au beau milieu de la Grande Récession. (Ils étaient alors tombés jusqu'à 2% avant d'amorcer une lente remontée jusqu'à 4%.)

Cette fois-ci, on ne peut parler de récession encore, mais les inquiétudes sont vives, compte tenu des grands déséquilibres et de l'impuissance appréhendée des États et des banquiers centraux à court de munitions.

Doutes

S&P a fondé sa décision sur les doutes qu'elle entretient quant à la capacité de la classe politique de s'entendre sur un plan crédible de contrôle des déficits et de la dette.

Le compromis scellé in extremis le 2 août prévoit qu'un comité bi-partite de six sénateurs et représentants présente d'ici la Thanksgiving un plan d'austérité d'environ 1300 milliards en 10 ans, faute de quoi des coupes aveugles équivalentes entreront en vigueur dès octobre 2012.

«Cette ruée sur les obligations reflète la crainte que ce comité ne parvienne pas à s'entendre, précise Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale. Les coupes aveugles pourraient retrancher un point de pourcentage au PIB.»

Les investisseurs doutent aussi de la capacité de la classe politique européenne à produire un plan financier susceptible de les rassurer.

On doit s'attendre aujourd'hui à ce que la Réserve fédérale réitère sa volonté de maintenir les mesures d'accommodement en place tout le temps qu'il faudra pour s'assurer que le marché du crédit ne fige pas et pour rétablir une croissance susceptible de créer des emplois.

La correction qui sévit sur le marché des biens de base (à l'exception notable de l'or dont la poussée reflète l'inquiétude ambiante) affaiblira en outre les pressions inflationnistes. Cela est susceptible de relancer la consommation des ménages en pleine atonie.

La faiblesse des taux obligataires nord-américains permet à Washington, Ottawa (et les provinces) d'alléger quelque peu le service de leurs dettes. L'an dernier, ce service a coûté 414 milliards à Washington, soit l'équivalent de 2,75% du PIB nominal des États-Unis, selon les calculs de JP Morgan cités par Bloomberg.

En revanche, la décote des États-Unis en entraîne d'autres dans sa foulée dont celles de Fannie Mae et Freddy Mac qui assurent ou détiennent 50% des prêts obligataires des États-Unis.

Elle entraîne aussi des coûts d'emprunt accrus pour les grandes banques américaines, ce qui ne pourra qu'augmenter en retour les coûts d'emprunt des ménages et des petites entreprises.