Déjà élevée, la nervosité du secteur financier envers la propriété des principales Bourses du monde industrialisé s'est attisée davantage après l'annonce, hier, d'une deuxième offre pour NYSE Euronext de New York, provenant cette fois de ses principaux rivaux américains: NASDAQ OMX, aussi de New York, et Intercontinental Exchange (ICE), dirigée d'Atlanta.

Cette offre commune d'une valeur annoncée de 11 milliards US en échange d'actions et en argent comptant survient un mois à peine après l'annonce d'une offre négociée de 10 milliards US entre NYSE Euronext et sa vis-à-vis allemande, Deutsche Boerse.

Du coup, elle représente un défi aux actionnaires de NYSE qui, à défaut de surenchère par leur premier prétendant allemand, pourraient lui préférer cette nouvelle offre plus riche de NASDAQ-ICE.

Aussi, de l'avis d'analystes, cette nouvelle offre pour NYSE pourrait mobiliser davantage les autorités américaines à intervenir dans ce nouveau cycle de consolidation boursière.

Au Canada, ce suspense accru sur la propriété de NYSE attise le débat sur le projet de fusion entre TMX, qui gère les Bourses de Toronto et de Montréal, et le groupe LSEG, qui gère la Bourse de Londres.

Ce débat s'est d'ailleurs immiscé dans la campagne électorale fédérale, hier, peu après l'annonce d'une deuxième offre pour NYSE.

Au cours d'un point de presse à Moncton, le premier ministre, Stephen Harper, a indiqué qu'Ottawa attendra «l'avis complet» des autorités provinciales avant d'autoriser ou non l'offre d'achat de TMX par LSEG, de Londres.

Selon M. Harper, ce projet de fusion est «compliqué» et il comporte une «variété d'options». C'est pourquoi, a-t-il dit, «l'opinion des provinces est un critère important. Les autorités provinciales doivent rendre leurs propres décisions et nous devons attendre d'en connaître la teneur».

Rappelons que, jusqu'à preuve du contraire bientôt en Cour suprême, la juridiction des marchés des valeurs mobilières et de ses principaux intervenants relève d'abord des provinces, par l'entremise d'agences comme l'Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec et la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) en Ontario.

Dans le cas du groupe TMX, ces deux provinces détiennent un droit de veto sur le changement de contrôle de cette société qui gère les principales Bourses canadiennes: le marché d'actions à Toronto, le marché des produits dérivés à Montréal et le marché des PME (TSX-Croissance) administré de Calgary et Vancouver.

L'impact de la surenchère d'offres pour NYSE à New York sur la suite du projet de fusion entre Toronto et Londres s'annonce imprécis pour un certain temps.

Les actionnaires actuels de TMX pourraient être déçus, alors qu'ils doutent déjà de la juste valeur de l'offre convenue avec LSEG de Londres.

«L'annonce d'une grosse offre de NASDAQ-ICE pour NYSE réduit la probabilité d'une offre concurrente pour TMX, qui aurait pu forcer LSEG à bonifier son offre initiale», selon Shubha Khan, analyste des services financiers à la Financière Banque Nationale.

Jusqu'à maintenant, la transaction projetée entre TMX et LSEG est annoncée à hauteur de 3,1 milliards CAN, réglée par un échange d'actions.

Cependant, elle aboutirait à une mise en minorité des actionnaires de TMX au capital-actions de la société regroupée.

Des actionnaires influents de TMX, dont la Banque Nationale, ont déjà critiqué la faiblesse des «économies de synergie» en frais d'exploitation qui sont prévues après un regroupement entre Toronto et Londres.

Pour la Bourse de Montréal et son marché des dérivés, l'offre annoncée hier par le duo NASDAQ-ICE pour NYSE comporte des éléments préoccupants.

Si leur offre prévaut, NASDAQ et ICE se partageront les activités de NYSE: les Bourses d'actions iront chez NASDAQ et les Bourses de produits dérivés et d'options passeront chez ICE.

Or, ICE est déjà un concurrent significatif de la Bourse de Montréal et sa filiale BOX, à Boston. Et du partage d'actifs de NYSE, ICE obtiendrait surtout son imporante filiale européenne, Liffe, spécialisée dans les dérivés.

Pour la Bourse de Montréal, les ambitions de croissance transatlantique après le regroupement de TMX et LSEG de Londres pourraient être sérieusement défiées.

«Les petits acteurs du marché des dérivés pourraient avoir plus de difficultés à croître après le regroupement de ces activités de NYSE chez ICE», a commenté un spécialiste des lois antitrust à Washington, Robert Doyle, à l'agence Reuters.

Hier, le chef de la direction d'ICE, Jeff Sprecher, a donné le ton de ses nouvelles ambitions transatlantiques, après l'obtention de sa part de NYSE Euronext.

«La dynamique des marchés des dérivés repose sur l'innovation et la vive concurrence. Nous serons donc bien positionnés avec Liffe en Europe pour accroître la création de valeur d'entreprise pour nos actionnaires.»

- Avec Bloomberg