Les investisseurs peinent à jauger le risque que la tragédie japonaise fait peser à la reprise mondiale, mais ils refusent jusqu'ici de céder à la panique. Ils parient plutôt sur la répétition des lendemains du tremblement de terre de 1995 à Kobe, une région plus industrialisée que celle du Nord-Est où la violente secousse tellurique et le tsunami ont frappé vendredi.

Le degré d'étanchéité des réacteurs de la centrale Fukushima et de possibles répliques susceptibles de la fragiliser davantage suscitent néanmoins un mouvement ordonné et posé vers les valeurs refuges, comme l'or et les bons du Trésor américains.

Ce déplacement de capitaux entraîne aussi une légère appréciation du billet vert contre la plupart des autres devises, à l'exception notable du yen.

«Les compagnies d'assurances japonaises sont forcées de vendre une partie de leurs actifs étrangers pour faire face à leurs réclamations, explique Craig Alexander, économiste en chef à la Banque TD. Cela crée de la demande pour le yen.»

On estime maintenant à quelque 30 milliards l'ampleur des dégâts cette fois-ci, mais il s'agit d'une évaluation préliminaire. En dollars d'aujourd'hui, le séisme de Kobe avait coûté 120 milliards, car la région abrite un important port de mer industriel. La production industrielle japonaise avait alors reculé de 2,6 % durant le mois avant de rebondir et tout reprendre dès les deux mois suivants. «Selon des évaluations préliminaires, les efforts de réparation et de reconstruction équivaudront à 1 % du PIB», soulignent Peter Buchanan et Emaluella Enenajor, économistes de CIBC.

En 1995, le rapatriement de capitaux avait déclenché une appréciation du yen de 20 %, chose que la Banque du Japon veut éviter à tout prix cette fois-ci.

Voilà pourquoi les autorités monétaires injectent 15 000 milliards de yens (183 milliards de dollars américains) en liquidités. Elles se sont aussi engagées à inonder davantage l'économie si nécessaire de manière à stimuler le crédit et les exportations.

En attendant d'y voir plus clair, les investisseurs replacent ailleurs une partie de leurs billes et achètent des dollars. «Je m'étonne que le billet vert ne remonte pas plus vite, affirme François Barrière, vice-président, marchés des changes à la Banque Laurentienne. Il est bien placé à court terme, face à l'euro en particulier.»

Le rallye sur les obligations américaines, en particulier celles aux échéances les plus courtes, se fait au détriment des marchés boursiers dont les indices ont reculé sur la plupart des parquets.

«On pensait en début d'année que la reprise américaine était soutenue, rappelle Paul-André Pinsonnault, économiste principal, marchés à revenus fixes, à la Banque Nationale. À l'opposé, l'instabilité en Afrique du Nord et au Moyen-Orient nourrit maintenant l'incertitude, ce qui stimule les Treasuries. La tragédie japonaise ajoute une tranche d'incertitude.»

Il rappelle que le rendement des Treasuries venant à échéance dans 10 ans était grimpé jusqu'à 3,77 %, le 11 février. Hier, ce n'était plus que 3,35 %. «Quarante points de base, c'est un ajustement important.»

Sans les incertitudes arabe et japonaise, les taux d'intérêt obligataires seraient à la hausse pour mieux refléter à la fois l'appétit accru des investisseurs pour le risque et l'ampleur des emprunts colossaux que Washington doit réaliser pour financer son déficit abyssal.

Les obligations canadiennes profitent de cet élan de prudence des investisseurs. Le recul des taux reflète aussi la révision à la baisse faite par Statistique Canada sur le taux d'utilisation des capacités manufacturières en seconde moitié de 2010. Cela affaiblit la probabilité d'une hausse du taux directeur de la Banque du Canada le 31 mai, comme l'escomptait encore la semaine dernière près d'un spéculateur sur deux.

Les taux obligataires ont enfin aussi diminué en Europe, mais pour des raisons différentes. L'accord survenu dans la nuit de vendredi à samedi au sein de la zone d'euro va permettre à des pays comme l'Espagne, l'Italie et le Portugal d'emprunter à même la Facilité européenne de stabilité financière. Il s'agit d'une cagnotte de 440 milliards d'euros initialement mise sur pied pour établir des plans de sauvetage de la dette souveraine défaillante de certains pays, assortis de sévères conditions.

La Grèce et l'Irlande ont goûté à cette médecine.

La première a eu droit aussi à des assouplissements, samedi, mais par l'Irlande. L'Europe exige qu'elle majore son taux d'imposition des sociétés, le plus faible du Vieux Continent à 12,5 %.

Les swaps de défaillance (CDS) qui reflètent ce qu'il faut débourser pour assurer le capital d'un prêt ont reculé de plusieurs centièmes, sauf pour les titres irlandais. Ceux de la Grèce ont reculé de 94 centièmes à 949. Cela signifie qu'il en coûte 949 000 mille euros pour assurer une tranche de 10 millions d'euros d'obligations grecques venant à échéance dans cinq ans. «C'est un progrès, mais le prix reflète que bien des incertitudes persistent», résume M. Alexander.