On parlera de gros chiffres et des effets incontournables de la globalisation des marchés, les protagonistes mettront de l'avant le potentiel d'expansion de produits financiers sophistiqués et les avancées technologiques que sous-tendent ces places boursières à l'ère du cyberespace.

En bout de course, ce sont des politiciens qui vont décider.

Le Québec, l'Ontario et le gouvernement fédéral ont techniquement le droit de vie ou de mort sur l'intention de la Bourse de Londres (LSE) d'acquérir le contrôle de TMX, la bourse torontoise. Et à Québec, des spécialistes croient que l'Alberta et la Colombie Britannique auront aussi un mot à dire dans les conditions qui seront posées aux Britanniques. Déjà à Québec, l'Autorité des marchés financiers est à établir son plan de match pour quelques semaines de consultations.

L'annonce de la transaction, de l'ordre de 7 milliards $ est tombée comme un météore mercredi, sur les marchés mais aussi dans les assemblées législatives. Pour Jean Charest, l'opportunité est quasi inespérée; depuis qu'il est passé sur la scène provinciale, le chef libéral n'a jamais raté une occasion de bomber le torse devant Ottawa. On lui sert sur un plateau d'argent l'occasion de faire vibrer la corde nationaliste québécoise, ce qui a toujours fait recette.

La position du Québec aura l'avantage d'être simple : la transaction favorisera-t-elle Montréal? La métropole est spécialisée dans les transactions de produits dérivés alors que Londres n'est pas très active dans ce créneau. Tout ramener à Montréal serait une bonne nouvelle. Un passage politique s'ouvre pour Jean Charest; voilà une transaction qui favoriserait Montréal, politiquement Ottawa et Toronto ne devraient pas se mettre dans le chemin.

La joute est bien différente à Toronto, où le gouvernement McGuinty est proche de l'échéance électorale. La perspective de perdre un siège social dans la Ville Reine, à plus forte raison au profit d'intérêts étrangers aiguillonnera le nationalisme canadien. Une dose de xénophobie s'ajoute quand le ministre ontarien des Finances, Dwight Duncan relève la présence d'intérêts arabes dans le LES. Pour lui la Bourse torontoise est un «actif stratégique» et en perdre le contrôle n'augure rien de bon. «On fait des affaires avec le Moyen Orient. Je ne suis pas certain que je veux qu'ils contrôlent notre bourse» a-t-il laissé tomber hier.

Le nationalisme canadien pèsera lourd. Surtout qu'à Queen's Park on a sous les yeux l'exemple récent de l'achat avorté de Potash Corp par des intérêts australiens. «L'effet Bradwall» aura un impact, prédit-on. Le premier ministre de Saskatchewan avait politiquement bien joué ses cartes et bloqué cette prise de contrôle hostile par des intérêts étrangers. Sa popularité en fut décuplée.

A Ottawa le gouvernement fédéral est lui aussi proche des élections. Il se trouvera devant un «cocktail nucléaire» prédit-on si l'Ontario et le Québec arrivent avec des conclusions opposées. Le gouvernement Harper aura aussi son mot à dire avec sa loi sur les investissements étrangers. La nécessité pour les Conservateurs de faire une percée à Toronto rendra Ottawa sensible aux arguments de la Ville-Reine. Mais le Canada est aussi à négocier un traité de libre-échange avec l'Union européenne. Ici le Canada est en demande -on ne perd pas beaucoup de sommeil à ce sujet en Europe. En refusant de donner le feu vert à la transaction, Ottawa administrerait un coup très dur aux négociations.

Les dirigeants du TMX et de LSE sont à l'évidence bien conscients du poids des considérations politiques. Les banques qui les avisent dans ces transactions ont vite mis au premier rang des joueurs rompus aux arcanes politiques. La Banque de Montréal a été retenue par le TMX notamment pour la présence de Kevin Lynch longtemps greffier du Conseil privé à Ottawa -le premier fonctionnaire. La Bourse de Londres a retenu deux banques, une canadienne, l'autre britannique, la Banque Royale et Barclays. Dans ces deux firmes on retrouve Michael Fortier, l'ancien ministre conservateur qui a de bonnes entrées auprès de Jean Charest et Raymond Bachand-- et Michael Wilson, ministre des Finances de Brian Mulroney.

Dans cette transaction, les rivalités nationales pèseront aussi lourd que l'irrépressible globalisation des marchés.

Si d'ordinaire, le mélange de la politique et des finances est plutôt stable chimiquement, il peut devenir explosif si on y ajoute le nationalisme.