Au sortir d'une crise financière d'une ampleur sans précédent, la question de la gouvernance des sociétés cotées demeure au centre des préoccupations des investisseurs et du législateur. D'aucuns sont d'avis que si la gouvernance des grandes entreprises était réellement saine, les crises financières ne pourraient prendre une ampleur telle que celle que nous venons de connaître.

Or, gouvernance et droit de propriété des entreprises sont aujourd'hui des concepts indissociables.

En termes de propriété, une problématique qui intéresse un nombre grandissant de chercheurs est celle des nombreux mécanismes, incluant le recours aux actions à droits de vote multiples, qui permettent à un groupe restreint d'actionnaires dominants au sein d'une entreprise d'en détenir le contrôle effectif sans avoir une participation équivalente au capital d'une société.

De nombreuses entreprises québécoises, par exemple Bombardier et le Groupe Jean Coutu, se sont dotées de structures actionnariales où la proportion des droits de vote détenus par l'actionnaire principal est plus élevée que la proportion des titres de propriété qu'il détient.

Plusieurs intervenants à l'échelle internationale croient que de tels types d'arrangement sont dangereux pour les actionnaires minoritaires et devraient être enrayés. On invoque le fait que lorsqu'il y a concentration des droits de vote accompagnée d'une relative dispersion du capital, l'actionnaire dominant peut bénéficier d'une certaine immunité et ainsi, éviter d'absorber une part importante du coût de ses décisions, ce coût étant distribué sur l'ensemble des titres de participation au capital de l'entreprise.

Pour illustrer les dangers du recours aux actions à droits de vote multiples, on peut évoquer le tristement célèbre cas de Hollinger. Dans le cas de cette entreprise, des actions à droits de vote multiples conféraient le plein contrôle de la société à Conrad Black, alors que la participation de ce dernier au capital s'élevait à 30%. Black aurait-il pris les mêmes décisions si une part disproportionnée des conséquences n'avait pu être refilée aux actionnaires minoritaires?

Malgré les indéniables dangers associés à l'utilisation de mécanismes, comme les actions à droits de vote multiples, «garantissant» que la propriété demeurera entre les mains des actionnaires dominants, il s'en trouve pour dire que de tels mécanismes sont indispensables dans des sociétés comme la nôtre.

À cet égard, il faut bien reconnaître que ces mécanismes ne font pas que paver la voie à des abus. Ils peuvent aussi permettre à des entrepreneurs talentueux de jouer un rôle économique significatif. Dans le cas du Groupe Jean Coutu, l'utilisation d'actions à droits de vote multiples a permis à M. Coutu de financer la croissance de son entreprise sans diluer son contrôle tout en évitant de s'endetter outre mesure.

Le recours aux actions à droits de vote multiples aura permis à Jean Coutu de mettre sur pied et de contrôler une entreprise québécoise capable de prospérer d'abord au Canada et ensuite, de tester les marchés internationaux.

Devant des positions si contradictoires, comment l'investisseur peut-il se faire une idée? Nous proposons d'aborder cette question sous l'angle du risque.

En effet, si les entreprises à propriété concentrée ne sont pas nécessairement mal gouvernées, les dommages que peuvent subir les investisseurs minoritaires si elles le sont effectivement peuvent rapidement devenir importants. Par exemple, payer des honoraires exagérément élevés à des consultants que l'on connaît bien ou profiter d'une situation dominante pour s'accorder une rémunération disproportionnée sont des formes d'expropriation que les lois actuelles ne peuvent pas vraiment prévenir.

On peut donc dire que les entreprises à propriété concentrée sont plus risquées, et que ce problème est encore plus grand lorsque les actions à droit de vote multiples confèrent à un groupe restreint d'actionnaires dominants des droits de vote disproportionnés par rapport à leur participation au capital.

La recherche dans le domaine tend à confirmer cette conclusion. Plusieurs études démontrent que les sociétés qui se sont dotées de structures actionnariales qui protègent un groupe d'actionnaires dominant sont moins performantes. D'autres chercheurs renchérissent en démontrant que les sociétés qui utilisent des actions à droits de vote multiples ont un coût en capital plus élevé.

Autrement dit, parce qu'elles sont moins exposées à la discipline du marché et parce qu'elles imposent plus de risque aux actionnaires minoritaires, ces entreprises doivent payer plus cher que les autres pour avoir accès aux capitaux des investisseurs.

Au Québec, plusieurs entreprises utilisent des actions à droits de vote multiples afin de protéger la propriété des actionnaires dominants. Un avantage indéniable de cette pratique réside dans le fait que des entrepreneurs comme Jean Coutu peuvent se protéger contre d'éventuels prédateurs, permettant ainsi de garder en mains québécoises d'importants actifs corporatifs.

Toutefois, il faut bien réaliser que le risque imposé aux actionnaires minoritaires dans de telles circonstances a un prix, et qu'un coût en capital plus élevé peut ralentir la progression des entreprises ainsi protégées.

L'auteur, Claude Laurin, Ph.D., CMA, peut être joint à: claude.laurin@hec.ca