Dix ans dans le rouge ! Qui l'aurait cru à l'aube du millénaire ? Qui aurait prédit que la décennie serait marquée par l'éclatement de deux bulles spéculatives, par la pire crise financière depuis la Grande Dépression ? Qui avait prévu l'essor de la Chine, l'envol du prix des ressources naturelles ?

Bien peu d'investisseurs.

Après une des pires décennies de l'histoire, qu'est-ce que la Bourse réserve aux investisseurs pour les 10 prochaines années ?

Des financiers ont accepté de se lancer dans des prévisions à très long terme... tout en soulignant les limites de l'exercice. « Une vision à trop long terme peut devenir une prison », met en garde Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. Il faut toujours adapter les stratégies selon les circonstances.

Les marchés émergents prendront encore du poids

Les années 2000 ont été la décennie de la Chine. Et la poussée de croissance des pays émergents est loin d'être terminée, selon les stratèges consultés par La Presse.

C'est purement démographique. Il suffit de jeter un coup d'oeil à la pyramide des âges, qui représente la population par groupes d'âge (les jeunes en bas, les plus vieux en haut). « Le schéma des pays émergents ressemble à un sapin de Noël, alors qu'il a une forme rectangulaire dans les pays occidentaux », observe François Landry, chef des placements au Groupe Fonds des professionnels.

Or, les tendances démographiques ne se renversent pas du jour au lendemain. Les mouvements sont relativement prévisibles.

On peut donc en conclure que l'économie des pays émergents prendra encore du poids.

En 2050, le poids des États-Unis à la Bourse sera inférieur à 20 %, par rapport à près de 50 % aujourd'hui, tandis que le poids de la Chine aura gonflé de 1 % à 25 %.

Règle actuelle : Ne pas investir plus de 5 % de son portefeuille dans les marchés émergents

Stratégie pour la prochaine décennie : En 2010, il faut investir 10 % de son portefeuille dans les pays émergents et augmenter cette pondération au fur et à mesure que la valeur boursière de ces pays prendra du poids par rapport à la valeur boursière mondiale, estime M. Landry.

Risque à garder en tête : Gare à la bulle spéculative ! Présentement, tout l'argent s'en va dans les pays émergents. Même si la forte croissance économique laisse présager de bons rendements à long terme, il faut tenir compte du niveau de la Bourse à court terme.

Les actions supplanteront les obligations

Depuis le début des années 80, les taux d'intérêt ont baissé de 18 % jusqu'à 3 %. Résultat : le marché obligataire a mieux fait que celui des actions qui est pourtant plus risqué. Étonnant, car la logique financière veut que les actifs plus risqués procurent un rendement supérieur à ceux qui sont plus sécuritaires.

Mais le mouvement tire à sa fin. « Les obligations ne battront pas les actions, c'est presque écrit dans le ciel ! » lance M. Landry. Les taux d'intérêt ne peuvent pas descendre beaucoup bas. « À long terme, les taux ne peuvent que remonter », selon Sherry Cooper, stratège du Groupe financier BMO. Cela n'augure rien de bon pour les obligations.

Le hic, c'est que les investisseurs occidentaux vieillissent. À l'approche de la retraite, ils n'ont guère le choix de sécuriser leur portefeuille, en investissant davantage dans des obligations... qui ne rapportent presque plus rien. Que faire dans l'optique d'une remontée des taux ?

Règle actuelle : Plus on vieillit, plus il faut être prudent. Grosso modo, la portion en obligations devrait équivaloir à l'âge de l'investisseur (ex : 60 ans = 60 % d'obligations). Mais en appliquant cette règle d'or, avec des taux aussi bas, les retraités risquent d'épuiser leur capital.

Stratégie pour la prochaine décennie : Acheter davantage d'actions ou de fonds de sociétés à dividendes élevés. Les dividendes procurent des revenus courants et ils sont moins imposés que les revenus d'intérêt, indique M. Landry.

Les actions à dividende sont une meilleure alternative que les obligations de sociétés, renchérit Mme Copper. Pour bien des entreprises, comme Procter & Gamble ou Clorox, le rendement du dividende des actions est supérieur au rendement des intérêts des obligations à court terme.

Risque à garder en tête : Rien n'est garanti : les dividendes peuvent être coupés et l'action peut fondre. Il faut bien diversifier dans plusieurs titres pour réduire les risques liés à une société en particulier. Et il faut conserver assez d'argent dans son portefeuille, pour vivre deux ou trois ans, sans avoir à vendre ses actions à perte en cas de ressac boursier généralisé.

Le « Buy and Hold » aura du plomb dans l'aile

La dernière décennie a mis à rude épreuve le « Buy and Hold », une stratégie qui consiste à investir à long terme à la Bourse, sans se soucier des secousses à court terme.

« Les cycles économiques, ça existe ! », s'exclame Pierre Lapointe, stratège adjoint, à la Financière Banque Nationale.

Selon lui, les investisseurs devront apprendre à réévaluer de plus de en plus régulièrement leur portefeuille. « C'est important d'être à l'affût de la surchauffe, pour préserver ses profits, dit-il. Personne n'est jamais devenu pauvre en encaissant ses profits ! »

Règle actuelle : Il vaut mieux rester investi à long terme, plutôt que d'essayer d'acheter et de vendre au bon moment.

Stratégie pour la prochaine décennie : « Sans devenir hyperactif, il faut adopter une stratégie plus tactique », conseille M. Delisle. À ce chapitre, il souligne que les investisseurs ne doivent pas être allergiques à l'encaisse. Ils ne doivent pas se gêner pour garder de l'argent dans leur portefeuille, en attendant le moment opportun de réinvestir.

Risque à garder en tête : Attention aux émotions. En théorie, tout le monde sait qu'il faut racheter quand le marché baisse, et vendre quand il monte. En pratique, il faut du cran réagir ainsi.

Les marchés boursiers seront de plus en plus interreliés

Avec la mondialisation, les grandes économies mondiales sont de plus en plus corrélées, une tendance qui s'accentuera dans le futur.

Le rendement d'une Bourse ne reflète plus autant la performance de l'économie interne de son pays. Par exemple, la Bourse canadienne dépend beaucoup de l'essor des pays émergents. Les multinationales américaines réalisent une grande part de leurs profits à l'étranger. Tout est lié.

En matière de diversification géographique, les investisseurs devront réfléchir autrement. « Il faut se diversifier, mais pas se disperser », dit M. Delisle.

Règle actuelle : Le Canada représente moins que 5 % de la valeur boursière mondiale. Pour profiter de toutes les occasions d'investissement, il faut diversifier son portefeuille partout à travers le monde.

Stratégie pour la prochaine décennie : Inutile de s'éparpiller dans tous les pays de la planète. On peut simplement diviser son portefeuille d'actions dans quatre zones géographiques : le Canada, les pays émergents, les États-Unis et les marchés internationaux (Europe, Japon), suggère M. Delisle.

Risque à garder en tête : Quand on investit à l'extérieur du Canada, il faut aussi tenir compte de la fluctuation des devises qui a souvent autant d'impact sur le rendement que la performance des titres étrangers.