Suzanne veut contribuer à la mise de fonds pour la maison de sa fille. Comment le faire sans créer de problème ?

Le problème

« Je suis à la retraite depuis un an et j'aimerais aider ma fille à acheter une première maison », nous apprend Suzanne.

Sa fille Laurence, âgée de 35 ans, est mère d'un enfant de 5 ans. 

Laurence gagne un salaire de 50 000 $. Son mari, d'origine étrangère, touche un revenu d'environ 22 000 $, faute de pouvoir faire reconnaître sa formation.

Ayant longtemps travaillé outre-mer, Laurence ne détient qu'environ 6200 $ en REER, 1120 $ en CELI, plus quelques économies.

« Elle veut limiter son achat à 185 000 $ », nous informe sa mère.

Laurence veut s'établir dans la couronne nord de Montréal, à proximité de son travail.

« Ils ne dépensent pas, ils vivent très serrés, parce qu'ils ont toujours eu un très petit salaire tous les deux », ajoute sa mère.

Laurence veut acheter la maison seule, sur la base de ses seuls revenus.

Grand-maman à la rescousse

« Je suis la grand-mère et j'essaie de les conseiller un peu », lance Suzanne en riant.

La femme de 61 ans tire un revenu brut d'environ 42 000 $ d'un régime de retraite de la fonction publique. 

Elle est divorcée depuis longtemps et sa fille n'entretient aucun contact avec son père. « C'est donc moi, la conseillère en chef », dit-elle. 

« Je me demandais comment je pouvais m'impliquer là-dedans. Je veux bien leur prêter de l'argent, et même le leur donner, parce que je ne m'attends pas à ce qu'ils soient capables de me rembourser.

« Peut-être que je pourrais leur donner un montant de 30 000 $, comme premier héritage. »

Les revenus actuels de Suzanne couvrent ses dépenses et elle ne puise pas dans ses épargnes de retraite. 

« Je réussis même à économiser un peu », assure-t-elle. Elle commencera à toucher la rente du RRQ l'été prochain. Elle détient 100 000 $ en REER et 50 000 $ en CELI. « Devrais-je retirer les 30 000 $ de mon REER ou de mon CELI ? », demande-t-elle. 

Suzanne a un autre enfant, qui « se débrouille très bien ».

Comment peut-elle aider sa fille sans créer ni problème ni iniquité ?

LES CHIFFRES : 

Suzanne, 61 ans

Retraitée

Rente de retraite : 41 000 $

REER : 100 000 $

CELI : 50 000 $

Sa fille Laurence, 35 ans

Salaire : 50 500 $

REER : 6200 $

CELI : 1120 $

Projet : achat d'une propriété de 185 000 $

La solution

D'abord, Laurence.

La notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur, du cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil, ne renie pas sa nature : elle a d'abord vérifié si la fille de Suzanne avait les moyens de ses modestes ambitions immobilières. 

Les 30 000 $ fournis par sa mère seraient appliqués en mise de fonds, pour abaisser l'emprunt hypothécaire à 150 000 $. Mieux vaudrait que ce soit sous forme de don. « S'il s'agit d'un prêt, c'est un emprunt qui doit être considéré dans la capacité d'emprunt de la fille », souligne Me Lafleur.

Elle a appris que le conjoint de Laurence venait de changer d'emploi, avec le bénéfice d'un salaire de 29 000 $ plutôt que de 22 000 $.

Laurence essaie de boucler le budget avec son seul salaire, pour réserver le salaire de son conjoint à titre de marge de sécurité, lui a-t-elle expliqué. Les dépenses du ménage s'élèvent à 31 800 $ par année, l'a informée Laurence.

La planificatrice ajoute environ 6000 $ au budget « pour les taxes, l'augmentation des coûts d'électricité, et un minimum de frais d'entretien ». Avec une hypothèque de 150 000 $ amortie sur 25 ans, la mensualité hypothécaire d'environ 775 $ ne sera pas supérieure au loyer actuel.

Dans ces conditions, avec le salaire du conjoint, « ils seraient en mesure ensemble de cotiser 9100 $ par année dans les REER et 6575 $ dans le CELI », évalue Guylaine Lafleur.

« Il y a moyen qu'ils prennent leur retraite et qu'ils maintiennent leur niveau de vie s'ils épargnent les surplus qu'ils dégagent, a-t-elle calculé. Il faut continuer de gérer de la façon dont elle le fait. »

Bref : « Ça fonctionne. »

Éviter l'assurance prêt hypothécaire ?

Laurence se demande si elle devrait retirer une somme de son REER avec le Régime d'accession à la propriété (RAP) pour accroître sa mise de fonds jusqu'au seuil d'un prêt non assuré. Avec la mise de fonds actuelle de 30 000 $, la prime s'élève à 4340 $.

Le seuil de 20 % s'établit à 37 000 $. Il manque 7000 $.

Sa mère s'en inquiétait : « Avec un RAP, ça fait un montant additionnel à rembourser. »

Mais Guylaine Lafleur la rassure. « C'est vraiment une grosse économie de prime, le RAP vaut la peine, dans leur cas. »

Avec une mise de fonds de 37 000 $, la mensualité hypothécaire se raccourcit d'environ 55 $. Dans un peu plus d'un an, il faudra commencer à rembourser le RAP, à raison de 39 $ par mois.

La mère

Passons à Suzanne, maintenant. « Elle ne réalisait pas qu'il fallait mesurer l'impact pour elle, observe notre planificatrice. Elle était beaucoup plus préoccupée par sa fille que par elle. »

La maman maintient un coût de vie de 35 000 $ par année. Elle commencera à toucher sa rente du RRQ au cours de l'été, à hauteur de 7562 $.

Une projection montre qu'en maintenant son rythme de vie actuel, ajusté à l'inflation, elle détiendra à 95 ans quelque 197 000 $ dans son CELI, plus 35 000 $ en FERR. « Même après avoir donné 30 000 $ ! » 

Tout va bien, donc.

Suzanne se demandait si elle devait puiser ces 30 000 $ dans son REER. « La réponse est non. Elle ferait mieux de les prendre dans son CELI. Pour donner l'équivalent à partir de son REER, il faudrait qu'elle sorte quasiment 60 000 $. »

Équité

Suzanne a un autre fils, envers qui elle veut être équitable. 

« Elle a déjà un testament où elle lègue ses biens à ses deux enfants en parts égales », indique Guylaine Lafleur.

Que doit-elle faire à l'égard de ce don de 30 000 $ ?

Depuis la réforme du Code civil en 1994, explique la notaire, rien n'oblige l'héritier à signaler et soustraire de sa part de l'héritage les biens que le défunt lui a donnés de son vivant, à moins que le testament ne le demande expressément. 

« Dans son cas, Suzanne veut que ce soit considéré. Il faudrait donc qu'elle fasse un codicille - qu'elle modifie son testament - pour s'assurer que les 30 000 $ qu'elle a donnés à Laurence soient considérés dans la part de sa fille. »

Cependant, 30 000 $ en 2018 et 30 000 $ au moment de son décès, dans 25 ans peut-être, n'ont pas la même valeur. 

« Il y aura peut-être d'autres calculs à faire si elle veut donner la même somme à son fils. »

Suzanne pourrait demander par exemple qu'on y applique l'indice des prix à la consommation pour chaque année entre le don et son décès.