L'eau s'est retirée et les milliers de sinistrés doivent maintenant se retrousser les manches pour le nettoyage et la reconstruction. Comment planifie-t-on ces travaux ? D'où vient l'aide ? La Presse a rencontré trois familles de l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro. Dans six mois, nous irons les revoir pour savoir si leur cauchemar est enfin terminé.

Ne pas hésiter à être proactif

René Leblanc n'a pas attendu la séance d'information du ministère de la Sécurité publique dans son arrondissement de Pierrefonds-Roxboro. Quatre jours après avoir vu l'eau briser sa porte-fenêtre du sous-sol et envahir sa maison comme un « tsunami », il s'est rendu à la séance de Laval.

« Ici, c'est désorganisé ! s'exclame-t-il. Mes voisins attendent encore leur rendez-vous pour ouvrir un dossier. Il y a deux semaines, le soir même de la rencontre à Laval, j'ai eu mon rendez-vous pour le lendemain à 10 h 15. On m'a donné un numéro de dossier. J'ai rempli un formulaire. On m'a posé des questions : "Combien d'heures avez-vous travaillé avant les inondations et pendant les inondations ? Avez-vous perdu vos laveuse et sécheuse ?" J'avais apporté des photos que j'ai prises avec mon iPad tout au long de l'aventure. Ils m'ont confirmé sur-le-champ qu'ils allaient me donner l'argent. J'étais surpris. Sans l'évaluateur ? Ils m'ont dit que c'était un montant initial. Deux jours ouvrables après le rendez-vous, un montant de 10 000 $ était versé dans mon compte. »

Monsieur Leblanc et sa conjointe Anne étaient assurés contre le refoulement d'égout et l'eau au-dessus du sol. L'assureur leur a confirmé qu'ils recevraient en tout 30 000 $. Une partie de ce montant a déjà été utilisée pour pomper l'eau, sécher et décontaminer.

« J'ai fait une liste de ce qu'on a perdu en biens matériels, et déjà on dépasse 30 000 $. Maintenant pour ce qui est de la reconstruction, on parle de 100 000 $. On venait de finir les rénovations du sous-sol. Une nouvelle salle de bain, une buanderie, un bureau, un nouveau plancher. Six pièces meublées. Tout ça est allé aux vidanges. »

Sa femme Anne nous montre les photos en riant.

« Tout flottait, le frigo, les meubles, le nouveau bureau. C'est drôle, maintenant. Sur le coup, on ne riait pas. Heureusement, ma nouvelle cuisine a été épargnée. Là, j'espère sauver mon escalier. »

Le couple réfléchit maintenant à ce qu'il pourrait faire afin de limiter les dommages... la prochaine fois.

« Est-ce qu'on condamne la porte arrière ? La porte sert beaucoup, mais je pense l'enlever, parce que l'eau est entrée par là. Je songe à remplacer les 2 par 4 en bois par des montants en acier. C'est mieux contre les moisissures. »

René et Anne Leblanc, tous deux retraités, avaient prévu de vendre leur maison dans cinq ans. Reste à voir maintenant si la valeur de la propriété aura baissé.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Perlita Picazd et Noel Gonzales ont perdu une partie de leur maison et une partie de leur revenus. Ils avaient une garderie en milieu familial au sous-sol.

Le difficile défi d'évaluer les dégâts

« On ne peut pas commencer les travaux. On n'a pas d'argent pour payer », explique impuissant Kofi Karikari, propriétaire depuis 14 ans d'un cottage situé dans la rue des Maçons.

Même si la maison a été bâtie sur un terrain plus élevé que la rue, l'eau a envahi le sous-sol. Tout est à refaire.

« Une entreprise de construction et de rénovation qui s'occupe de la maison des voisins aurait pu commencer tout de suite l'assèchement des structures et des matériaux. Mais l'entrepreneur nous demandait 3000 $ en liquide. Je n'ai pas ça. »

À la fenêtre, une affiche rouge du Service de sécurité incendie de Montréal indique que la propriété ne peut pas être réintégrée en raison des dangers qu'elle présente. En attendant d'avoir l'affiche verte indiquant que le niveau de sécurité est suffisant, Kofi et sa femme, Comfort, bénéficient des services offerts par la Croix-Rouge et logent à l'hôtel.

« Je trouve que la Croix-Rouge est fantastique. Je ne peux pas imaginer ce qu'on ferait sans leur aide », avoue Comfort Karikari, au bord des larmes.

Lors de notre passage, Comfort revenait du centre d'aide aux sinistrés.

« Je sais que le gouvernement va nous aider pour faire les rénovations, affirme-t-elle. Je suis allée au centre et ils m'ont tout expliqué. On doit faire une liste de ce que nous avons à rénover et estimer le montant que ça va coûter. C'est difficile de faire, cette estimation. On ne connaît pas ça. On ne veut pas se tromper. »

Le couple compte se fier à l'évaluateur de leur assureur qui passera dans les prochains jours pour faire une estimation de l'étendue des dégâts. Au départ, la compagnie d'assurances avait à Kofi et Comfort dit qu'ils n'étaient pas couverts. Puis elle s'est ravisée et leur a promis 25 000 $.

« Avant, de notre balcon, on regardait la rivière des Prairies au loin, dit Kofi en pointant l'étendue d'eau de l'autre côté du parc de la Rive-Boisée. On était heureux. Maintenant, on ne veut plus habiter ici. »

Quand la maison et le gagne-pain partent avec l'eau

Perlita Picazd et Noel Gonzales habitent leur bungalow depuis 10 ans. Ils ont perdu non seulement une partie de leur maison, mais, surtout, leur source de revenus. Ils avaient une garderie en milieu familial au sous-sol.

« C'est tellement frustrant, raconte Perlita Picazd avec beaucoup d'émotion. J'ai perdu mon emploi. Les enfants ont été relocalisés dans d'autres garderies en attendant que tout soit reconstruit. Mais on ne peut pas commencer les travaux tant qu'on n'a pas l'argent du gouvernement. On sait encore moins quand on pourra rouvrir la garderie. »

Devant l'ampleur de la tâche, son mari, Noel Gonzales, a songé à prendre son auto, partir et tout abandonner.

« Les assurances ont confirmé qu'ils nous donneraient 10 000 $, explique-t-il. Ils sont venus faire une évaluation. Ils ne paieront pas plus. La décontamination coûte déjà 7000 $. Les travailleurs sont à l'oeuvre. Ils ont enlevé le plancher et les murs. Pour l'instant, on ne fait que les travaux d'urgence. Il faut refaire l'électricité, changer les fils, les prises de courant. Pour le reste, on doit attendre de l'argent. Tout est parti. On a tout perdu. Ça prend beaucoup d'argent. »

« Je suis allée ouvrir un dossier de réclamation pour recevoir l'argent du gouvernement, poursuit Perlita Picazd. Il y a beaucoup de documents à fournir : la police d'assurance, la lettre des assurances indiquant qu'ils refusent de payer, le compte de taxes, etc. Je dois vite aller faire des copies de tous ces documents. Tant que je n'ai pas donné les papiers, le processus pour recevoir l'aide ne sera pas enclenché. On attend cet argent avec impatience. On ne sait pas quand il va arriver. »

Et si ça vous arrivait...

Une inondation est souvent imprévisible et déstabilise fortement les citoyens touchés. Et si ça vous arrivait... La Presse a demandé les conseils de trois experts, mais aussi ceux d'un sinistré des inondations de 2011 en Montérégie. 

CONSEIL D'UN SINISTRÉ DE 2011

« Quand l'eau se retire, il y a urgence de faire appel à des professionnels, affirme Martin Anctil qui a été inondé à Saint-Jean-sur-Richelieu en 2011. Si j'avais utilisé les produits disponibles sur le marché, j'aurais perdu ma maison. Avec tout ce qui se promène dans l'eau des inondations, ça prend des produits plus forts que ça. À l'époque, une entreprise de nettoyage est venue rapidement. C'est important parce que l'humidité, les champignons, les moisissures, on n'en veut pas.

« Ensuite quand la famille, les collègues de travail et les amis te proposent de l'aide, tu acceptes. SOS Richelieu est venu chez moi avec 12 bénévoles. L'aide qu'ils m'ont donné, tout seul, ça m'aurait pris une semaine à le faire.

« Pendant que tu te bats contre des quantités d'eau immenses et après pendant le nettoyage et la reconstruction, il ne faut pas oublier que le mental doit être bon pour que le physique soit là. Il faut juste lâcher prise. On ne peut pas tout contrôler. Après, tu dors mieux et tu es plus reposé pour reconstruire. Parce que tu veux vite revenir à la vie normale, mais ça prend du temps. On n'a pas habité la maison pendant quatre mois.

« En prévision d'une nouvelle inondation, j'ai rajouté des pompes chez moi. Je songe aussi à m'acheter le système de toile pour retenir l'eau, qui semble plus efficace que les sacs de sable. Pour sauver ma maison et éviter les dommages, je crois que ça vaut la peine d'investir 15 000 $. »

BIEN ÉVALUER LES PRIORITÉS

« Un sinistre désorganise la vie et le budget, souligne la consultante budgétaire Caroline Soulard de l'ACEF Rive-Sud de Montréal. Il est important d'évaluer les priorités, parce que certains travaux peuvent attendre. Quand on est en situation de stress, qu'on est sur l'adrénaline, on peut prendre des décisions trop vite, acheter plein de choses trop rapidement et faire des erreurs. C'est évident que vous n'avez pas trois mois pour magasiner un nouveau matelas, par exemple, mais prenez au moins trois jours. C'est un achat à long terme et il ne faut pas le regretter. »

« Vivre d'une paye à l'autre, vivre au-dessus de nos moyens, ça nous fragilise énormément. On encourage les gens à se créer un fonds d'urgence. » - Caroline Soulard

« Il s'agit de commencer par mettre de côté 5 $ par semaine. Certains vont dire que ça ne vaut pas la peine. Oui, ça vaut la peine. Et quand on commence à avoir de l'épargne, on suggère de la séparer du compte de banque régulier. Le CELI est un bon produit pour ça. Je crois que la tranquillité d'esprit est une bonne motivation pour épargner. »

D'ABORD CONTACTER SON ASSUREUR

« Dès qu'il y a un sinistre, peu importe lequel, la première chose à faire, c'est d'appeler son assureur, soutient Caroline Phémius, conseillère en affaires publiques au Bureau d'assurance du Canada. L'assureur va avoir accès au contrat d'assurance et pourra déterminer si c'est un dommage qui est couvert ou pas. À partir du moment où c'est un sinistre couvert, l'assureur va ouvrir un dossier de sinistre et va faire évaluer les dommages par un expert en sinistres. Si le dommage est important, l'expert va se déplacer. Si le budget est limité, on y va avec la logique. Plutôt que de payer pour faire nettoyer des serviettes de bain, on va s'axer sur des choses plus utiles et plus difficiles à faire nous-mêmes.

« Même si on n'a pas été inondé, appeler son assureur, c'est la meilleure chose à faire pour réviser les protections dont on a besoin. Les dommages par l'eau, c'est la cause numéro un chez les assureurs au Québec. Vous pourrez aussi savoir si votre assureur offre le produit contre les inondations dépendamment du risque de la résidence. Une résidence au bord de l'eau, qui a déjà été inondée, va être plus difficile à assurer. C'est du cas par cas. »

PRÉVENTION ET ACTION RAPIDE

« Il faut toujours entretenir minutieusement son drain français et sa pompe de puisard [sump pump], explique Marc Fortin de Services de restauration du Canada, qui travaille sans relâche depuis deux semaines chez les sinistrés. Quand une inondation survient, il faut attendre que tout se stabilise et ensuite il faut agir le plus rapidement possible. De cette façon, on va pouvoir sauver le plus de matériaux et limiter les dommages. C'est important de faire appel à des professionnels. On a des protocoles sévères à suivre et de l'équipement qui n'est pas disponible chez Canadian Tire.

« Actuellement, l'eau des inondations, c'est de l'eau sale de catégorie 3 qui est pleine de bactéries. Ce n'est pas comme celle d'une infiltration à cause de la pluie. Il faut faire une décontamination en profondeur. Tout ce qui a été touché, comme le bois et les tissus, va être retiré. On les jette, c'est trop contaminé. On utilise une machine à pression négative pour purifier l'air, une machine pour contrôler l'humidité ambiante et des ventilateurs puissants. Une fois qu'on est passé, il n'y a plus de danger pour les moisissures. »