« Ma conjointe a de gros problèmes de jeu actuellement, confie Jacques. Elle consulte à cet effet, mais le problème semble long à se résorber. » Âgé de 71 ans, Jacques est retraité et inquiet.

LE PROBLÈME

Sa conjointe Pauline a 66 ans et n'a aucun régime de retraite. Elle a commencé à retirer sa rente de la RRQ et sa prestation de Sécurité de la vieillesse, mais continue à travailler, pour un salaire annuel d'environ 50 000 $.

Son problème de jeu l'oblige au travail, explique Jacques. Chaque année, elle retire de 20 000 à 30 000 $ de ses REER pour satisfaire sa passion.

Jacques touche une rente de retraite de 45 000 $ qui, à son décès, sera transférée à Pauline à 60 %.

Il détient en outre une police d'assurance vie de 150 000 $ dont Pauline est la bénéficiaire irrévocable.

« Je suis inquiet de l'argent qu'elle recevra en plus de mon fonds de pension. » - Jacques

Il craint que Pauline ne dilapide l'indemnité de l'assurance dans les appareils de jeu - une stratégie peu recommandée pour accroître ses revenus de retraite.

« Est-ce qu'une fiducie à son profit serait profitable si on inclut des clauses particulières pour un décaissement graduel de la police d'assurance vie placée dans cette fiducie ? », demande-t-il.

Mariés depuis 1980 sous le régime de la société d'acquêts, Jacques et Pauline ont trois enfants majeurs et autonomes et sont copropriétaires d'une résidence commune.

Jacques ne veut pas informer Pauline de ses démarches.

« Son problème s'aggrave, car elle est de plus en plus souvent devant ces machines », dit-il.

« Je ne veux pas qu'elle ne reçoive rien, mais je veux que ce soit contrôlé. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Jacques craint que Pauline ne dilapide l'indemnité de l'assurance vie dans les appareils de jeu.

LA VIE EN CHIFFRES

Jacques, 71 ans

Retraité

Aucun REER

Rente de retraite (régime complémentaire) : 45 000 $

Assurance vie au bénéfice de sa femme : 150 000 $

Pauline, 66 ans

Revenus d'emploi : 50 000 $

Touche la RRQ et la PSV

Retraits REER : Environ 20 000 $ par an

Résidence familiale détenue conjointement

Aucune dette

LA SOLUTION

Le jeu n'en vaut pas la chandelle, puisqu'on finit par la brûler par les deux bouts.

C'est pour éviter que Pauline ne flambe l'indemnité de son assurance vie que Jacques voudrait en contrôler l'usage.

Malheureusement, s'il souhaite demeurer discret, ce sera voué à l'échec. 

Pauline est désignée bénéficiaire irrévocable de l'assurance, ce qui entraîne que son nom ne peut en être retiré sans son accord. 

Il y a bien une issue, mais elle est définitive. « Évidemment, le divorce est la solution la plus sûre », constate la notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur, du cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil. 

C'est ce que nous indique la délectable prose de l'article 2459 du Code civil.

« Que la désignation ait été faite de façon révocable ou irrévocable, le Code civil dit que "le divorce ou la nullité du mariage et la dissolution ou la nullité de l'union civile rendent caduque toute désignation du conjoint à titre de bénéficiaire ou de titulaire subrogé" », énonce la notaire.

En d'autres mots, « avec le divorce, la désignation de bénéficiaire sauterait », traduit-elle.

Une simple séparation ne changerait rien à la désignation.

Bien qu'efficace, « c'est sûr que le divorce semble un geste assez draconien, surtout après tant d'années de mariage », commente notre juriste.

PROTÉGER PAULINE CONTRE ELLE-MÊME

Pour contrôler la distribution du capital-décès, une fiducie testamentaire procurerait les barrières et balises nécessaires.

« Avec une fiducie au bénéfice de Pauline dans le testament, Jacques pourrait s'assurer qu'elle reçoive un certain montant annuellement », observe Guylaine Lafleur.

Les enfants de Jacques et Pauline pourraient être nommés fiduciaires - administrateurs de la fiducie - avec une autre personne qui n'en est pas bénéficiaire.

Au décès de leur mère, les enfants toucheraient le capital résiduel.

La clause d'affectation de la fiducie - son usage et son mode de distribution - serait décrite dans le testament de Jacques. 

Différents mécanismes peuvent être prévus - un montant annuel versé sur l'épuisement du capital à 95 ans, par exemple. 

Selon une autre formule, les fonds détenus dans la fiducie serviraient à compléter les revenus de Pauline, en fonction de ses besoins véritables. 

« On pourrait lui verser ce qu'il lui faut pour maintenir un coût de vie de 35 000 ou 40 000 $ après impôt. »

- Guylaine Lafleur

Ce montant serait indexé annuellement selon l'indice des prix à la consommation.

« Mais on permet d'empiéter sur le capital s'il y a, par exemple, des besoins pour des frais de santé », nuance-t-elle.

Pour qu'une indemnité de décès soit versée à une fiducie testamentaire, la succession de Jacques doit être inscrite à titre de bénéficiaire de la police. Cette démarche ne peut donc se faire sans l'approbation de Pauline. 

À Jacques de voir s'il peut avoir une conversation franche mais posée avec elle : « Je suis inquiet, je veux que tu ne manques de rien, mais compte tenu de ta maladie, je veux te protéger », évoque Guylaine Lafleur. 

LES AUTRES BIENS

La fiducie ne sera peut-être pas la seule précaution à prendre.

Advenant le décès de Jacques, Pauline héritera-t-elle de ses autres biens ? Risque-t-elle de les dilapider ?

Au décès d'un conjoint, la valeur des actifs qui font partie du patrimoine familial est partagée en parts égales entre le conjoint survivant et la succession du défunt : REER, régime de retraite, résidence familiale, chalet, meubles, voiture...

Jacques ne détient pas de REER. 

Il est déjà prévu que 60 % de sa rente de retraite sera transféré à Pauline. « Par conséquent, nous n'avons pas à considérer le régime complémentaire de retraite de Jacques dans le partage du patrimoine familial », explique Me Lafleur.

Reste encore le cas de la résidence familiale, détenue en parts égales.

Si Jacques lègue sa part à Pauline, « elle peut toujours emprunter et donner la maison en garantie pour jouer, ou l'hypothéquer pour rembourser des dettes de jeu », souligne la notaire.

Pour prévenir ce risque, « Jacques pourrait faire un testament où il léguerait tous ses droits à ses enfants, et octroyer un droit d'usage à Pauline pour la résidence ».

Sans l'accord de ses enfants, Pauline ne pourrait alors hypothéquer la propriété. 

« Quand on donne un droit d'usage, la personne doit normalement continuer d'assumer les frais d'entretien », ajoute Me Lafleur. 

Si des travaux importants requièrent des dépenses en capital, « les enfants pourraient être appelés à contribuer ». Pauline devra alors payer sa part. Si elle en a encore les moyens...

« Il serait donc important qu'il y ait un petit peu d'assurance vie. »

Nous voilà de retour à la fiducie...

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