Le marketing utilise diverses tactiques plus ou moins transparentes pour nous inciter à adopter un produit - ou pour ne pas l'abandonner. Et nous mordons souvent à l'hameçon. Sa faute ou la nôtre ?

LE PRIX DE LA TRANSPARENCE

Ce n'est qu'une simple brique de fromage, pourtant.

Mais on l'avale de travers, comme une autre démonstration, s'il en fallait, des détours du marketing.

Autrefois, ces petites briques compactes pesaient 400 g.

Pour ne pas faire fuir leurs clients avec les hausses de prix, les producteurs ont graduellement réduit le format, jusqu'à ce qu'il atteigne 280 ou 300 g. La brique a sensiblement conservé la même surface, mais son épaisseur a diminué proportionnellement.

Et voilà que sont réapparus des formats de - hé ! oui - 400 g.

Mais attention. Il s'agit cette fois de formats « familiaux », ce dont témoigne la longueur démesurée de ladite brique, presque deux fois plus longue que le format de 400 g d'il y a quelques années.

Résultat, ils sont plus encombrants dans le frigo, mais surtout, l'emballage, en raison de sa longueur, utilise deux fois plus de plastique que les anciens formats.

Bref, pour un même poids de fromage, le marketing, par un chemin tortueux, a réussi à nous faire payer davantage pour le conditionnement.

Or, le principe du format familial devrait justement consister à payer moins cher au poids ou au volume parce que l'emballage est proportionnellement moins important.

La question : le marketing pourrait-il nous considérer comme des consommateurs sagaces, capables de faire la part des choses ?

SOMMES-NOUS PRÊTS À ACCEPTER UNE HAUSSE DE PRIX ?

Le sous-dimensionnement est la réponse habituelle au dilemme de la hausse de prix. « Les fabricants, surtout les grandes marques, ont utilisé l'argument que, depuis la crise économique, c'était pour eux le moyen de continuer d'offrir à leurs consommateurs leurs produits à un prix inférieur », informe Fabien Durif, vice-doyen à la recherche à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal et directeur de l'Observatoire de la consommation responsable.

« À la rigueur, on peut dire que les marques veulent s'assurer que les gens qui ont moins d'argent puissent continuer à consommer leur produit. Mais d'un autre côté, le produit leur revient beaucoup plus cher parce qu'il est en plus faible quantité et que l'emballage revient plus cher. » - Fabien Durif

Ce sous-dimensionnement peut être camouflé de diverses manières qui ont été largement dénoncées, notamment dans le rapport présenté en 2013 au Bureau de la consommation d'Industrie Canada par Option consommateurs.

Les boîtes de biscuits vides au tiers et les contenants au fond concave sont bien connus.

Autre stratégie, « on va détourner l'attention du consommateur sur un autre attribut du produit », explique Bernard Korai, professeur adjoint au département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l'Université Laval et titulaire de la chaire CLÉ en consommation et développement durables.

« Le produit pesait peut-être 500 mg, et vous le réduisez peut-être à 300 mg, mais en contrepartie, vous dites au consommateur que le produit est trois fois plus efficace, évoque Bernard Korai. Le consommateur se dit : le conditionnement est réduit, mais par contre, j'ai un produit qui est encore plus efficace. Il est dans une optique de justification de son acte. »

Autre tactique, le nouvel emballage réduit se présente en même temps comme plus écologique.

En principe, la pratique n'est pas illégale. Le poids ou le volume doivent toujours être indiqués clairement sur l'emballage.

« Mais on augmente le prix sans en aviser directement le consommateur, déplore Sylvie De Bellefeuille, conseillère juridique chez Option consommateurs. Il n'y a pas de fausse représentation dans la mesure où c'est indiqué sur ma boîte de céréales ou mon pot de yogourt. Le problème, c'est qu'on ne met pas l'accent sur le fait qu'on a enlevé 50 g dans ma boîte. »

APPEL À L'INTELLIGENCE

Le marketing doit-il prendre le consommateur pour un âne incapable de faire la part des choses ?

Pourquoi les entreprises ne prennent-elles pas la voie de la transparence, qui serait plus avantageuse pour le consommateur : pas de coûteuses modifications d'emballage et de ligne de production, format plus avantageux ? Bref, pourquoi ne pas faire appel à son intelligence ?

« Les gens sont très sensibles au prix », fait valoir Sylvie De Bellefeuille.

L'audacieuse entreprise qui emprunterait la première la voie de la transparence courrait le risque de voir déserter une partie de sa clientèle.

« La marque, ce qu'elle veut, c'est ne pas perdre son client, indique Fabien Durif. Elle ne veut pas que son client commence à s'habituer à une marque qui coûte moins cher, une marque bas de gamme, et qu'elle le perde à jamais. »

Au Québec, les supermarchés doivent afficher le prix du produit par unité de poids ou de volume, rappelle-t-il. Très rares sont les acheteurs qu'on voit se pencher sur le rebord du rayon pour décrypter cette information.

« Oui, le marketing peut prendre le consommateur pour un consommateur plus ou moins intelligent, mais c'est aussi au consommateur à prendre ses propres responsabilités. Il y a une réflexion à faire, et les consommateurs, souvent, entrent dans le jeu trop rapidement. »

OH, LE BEL APPÂT !

Le marketing utilise souvent des tactiques discutables. Mais quelquefois, la responsabilité du consommateur est aussi engagée. L'appât est gros, mais nous mordons. En prime et sans supplément, voici une demi-douzaine de stratégies courantes...

L'ILLUSION QUE PLUS, C'EST MIEUX

Nous sommes devenus des princesses sur un pois, comme dans le conte d'Andersen.

Depuis 20 ans, les matelas ont doublé d'épaisseur. Autrefois épais d'une vingtaine de centimètres, certains dépassent à présent 30 cm, voire davantage, essentiellement pour donner l'illusion du confort. Car on ne s'y enfonce que de quelques centimètres.

D'autant plus que la plupart sont recouverts en surface d'une couche plus ou moins épaisse de mousse viscoélastique, qui fait l'essentiel du travail d'adaptation au poids et aux formes du dormeur.

Les 10 cm inférieurs sont rembourrés de marketing.

LES MUNITIONS HORS DE PRIX

C'est un des plus célèbres exemples, imprimé durablement dans les esprits.

L'imprimante à jet d'encre couleur multifonctionnelle est un petit miracle de technologie : elle imprime, numérise et copie pour un prix étonnamment raisonnable. Mais il lui faut des cartouches d'encre pour fonctionner. Leur faible capacité entraîne un remplacement à fréquence élevée. Un ensemble de cartouches peut coûter jusqu'à 40 % du prix payé pour l'imprimante.

L'acheteur est pris en otage et c'est lui qui paie les munitions.

L'INNOVATION SUPERFÉTATOIRE

Gillette a une idée géniale : un rasoir à deux lames. Redoublant de créativité, elle en ajoute bientôt une troisième. Le concurrent Schick révolutionne à son tour le secteur avec un rasoir à quatre lames.

Poussant l'imagination à son ultime limite, Gillette réplique avec un rasoir qui tranche avec tout ce qu'on a pu voir jusqu'alors : cinq lames. Inouï. Question de faire bonne figure, on ajoute sur l'arrière une sixième lame pour la taille des favoris.

À ce rythme, le rasoir sera bientôt plus grand que la joue. Plus l'outil compte de lames, plus la marge bénéficiaire est importante. Devinez qui se fait tondre ?

LA RÉDUCTION DE QUALITÉ

On mange de plus en plus mal dans les avions.

Le touriste cherche le billet d'avion le moins cher. Une différence de 10 $ sur un billet de 900 $ peut emporter sa décision. Les transporteurs rognent aux entournures pour battre leurs concurrents et réduisent la qualité des repas. Le voyageur se plaint de la bouffe innommable. Mais aurait-il payé 5 $ ou 10 $ de plus pour un repas un peu plus décent ? Le transporteur aurait-il dû l'en convaincre ?

LES NOUVEAUX BESOINS

Salon de jardin. C'est le nom donné en Europe à ce que nous appelons ici un « ensemble de patio ». L'expression prend maintenant tout son sens : la tendance veut que l'on étire son salon, voire sa cuisine, jusque sur la terrasse. Canapés, fauteuils rembourrés, frigo, éviers font leur apparition au grand air.

Les soirées sont fraîches ? Aucun problème, on y ajoute une chaufferette au gaz.

Le Québec n'a rien à envier à la Californie. Il faut allonger l'été. Et la facture.

L'INSÉCURITÉ

Il y a quelques années, une famille normale de deux enfants avait besoin d'une minifourgonnette à huit places pour déplacer l'équipe de la « soccer mom » - car les publicités nous l'ont appris : ce sont les mères qui y transportent les joueurs et joueuses de soccer.

C'est fini. Le climat de consommation a changé : ladite famille a maintenant besoin d'un VUS en mesure d'affronter sans encombre les éboulis et les blizzards en haute montagne.

D'un côté, les scientifiques suent à grosses gouttes pour dénoncer le réchauffement climatique.

D'un autre, les constructeurs aimeraient qu'on délaisse les voitures pour tendre vers les véhicules blindés.

PRODUITS ET CONSOMMATEURS ÉVOLUÉS

Dans l'étalage, quelques morceaux choisis : nos experts commentent.

UNE SCIENCE DE L'ILLUSION : RESPONSABILITÉ PARTAGÉE ?

« La science de l'illusion existe depuis longtemps : les miroirs permettent aux clients de se sentir dans un espace plus grand, les couleurs, le bruit de l'eau ont réellement un effet sur la marque, sur l'expérience », souligne Marie J. Lachance, professeure titulaire et directrice des programmes de premier cycle en sciences de la consommation à l'Université Laval.

« Oui, le marketing vise souvent à nous faire croire ou percevoir quelque chose qui ne reflète pas nécessairement la réalité - vise à nous aveugler, dirons-nous - et oui, le consommateur est parfois un peu responsable, car il croit quelquefois lui-même des choses qui n'ont rien à voir avec la qualité ou la réalité. »

LE CONSOMMATEUR ÉVEILLÉ

Méfiez-vous des arguments ronflants. « Un matelas plus épais a l'air de meilleure qualité, alors on exploite cet élément, même au-delà de l'effet réel, observe Marie J. Lachance. Il est probable que des études sur la perception de la qualité d'un matelas aient montré que les consommateurs croient qu'un matelas plus épais, c'est mieux. »

En réponse, Sylvie De Bellefeuille, conseillère juridique chez Option consommateurs, est prête à s'étendre sur la question. « Comme consommateurs, je pense que notre job, c'est d'essayer les matelas et de prendre celui qui nous convient le mieux, avise-t-elle. On a des devoirs à faire comme consommateurs. »

Mais où est le choix, si tous les bons matelas sont gonflés à dessein ?

« Comme consommateurs, on a aussi besoin de rêve, poursuit Mme De Bellefeuille. On revient à la question du besoin. Est-ce que je vais vraiment utiliser ce nouveau salon que je veux installer dans ma cour ? Pour certains, oui, pour d'autres, non. »

AVEZ-VOUS VU VOS VUS ?

Effet de mode, tendance irrésistible, véritable nécessité ? « Il faut faire la différence entre un besoin et un désir, et cette ligne peut être très mince », soutient Sylvie De Bellefeuille.

« On va pouvoir stationner le véhicule sur un banc de neige quand il n'y a pas de stationnement. Le véhicule permet de gravir des montagnes. C'est agréable, certainement, mais pour le consommateur, ce qui est important, c'est de garder la tête froide et de se dire : quel est réellement mon besoin ? Me faut-il vraiment un véhicule qui a ces caractéristiques-là ? C'est peut-être le cas. Mais pour la majorité des gens, ce qu'on souhaite d'abord, c'est d'avoir un véhicule qui nous amène du point A au point B de manière sécuritaire. »

Quoique les nids-de-poule, ajoute-t-elle...

POUR NE PAS COUPER LES POILS EN QUATRE

Plus de lames, rasage plus doux ? Il est difficile d'écarter un argument technique, surtout s'il s'appuie sur une perception subjective.

« Avec un marketing sophistiqué, on achète l'argument, constate Bernard Korai, titulaire de la chaire CLÉ en consommation et développement durables de l'Université Laval. Quand vous me dites qu'un rasoir à trois lames est plus efficace, quelle compétence ai-je, comme consommateur, pour discuter ? Je l'achète. Je me dis qu'à la base, il y a des techniciens, des spécialistes du domaine qui ont validé cette information. »

Mais comment vérifier que leur crédibilité est soutenue par les faits ?

« Ça devient une question d'appréciation, mais aussi de budget, indique Sylvie De Bellefeuille. Comme consommateur, est-ce que je suis prêt à mettre les dollars de plus pour ce rasoir ? Jusqu'où ai-je un bénéfice supplémentaire ? On est dans l'appréciation très personnelle, et parfois psychologique. »

« On voit dans les études qu'il y a un retour à l'authenticité, au vrai, à de meilleurs choix de consommation. Aujourd'hui, le consommateur se fait de moins en moins avoir là-dessus. Il regarde les étiquettes, il lit, il sait ce qu'il achète, il s'informe. Je pense qu'il y a de moins en moins de consommateurs qui entrent dans les pièges classiques », explique Fabien Durif, vice-doyen à la recherche à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

UN PEU D'OPTIMISME, TOUT DE MÊME...

En réponse à cet éveil, le marketing peut-il faire appel à l'intelligence des consommateurs ?

« Les entreprises ont compris, même les grosses multinationales, qu'elles ne peuvent plus vendre aussi facilement qu'avant, constate Fabien Durif. Elles doivent respecter le consommateur, qui veut des produits plus robustes, plus durables, plus sains. Elles instaurent des programmes qu'elles ne mettaient jamais en place avant. »

Il donne un premier exemple.

« Le fabricant de petits électroménagers SEB vient de mettre en place tout un système de réparation des appareils. »

Et un second.

« Avec Patagonia, vous rapportez votre vêtement abîmé et ils vont le réparer. Il y a plein de marques qui ont mis en place des systèmes pour allonger la durée de vie de leurs produits, qui vont communiquer sur la performance, sur l'authenticité. Ça, c'est intéressant. »