On croyait le phénomène du clonage des cartes de crédit en voie de disparition au Canada avec l'introduction de la puce. Mais c'est maintenant en voyage que les Canadiens sont plus que jamais touchés, avec trois fois plus de victimes depuis 2008. Portrait d'un fléau mondial, et conseils d'experts.

QUAND VOYAGE RIME AVEC CLONAGE

Vous arrivez en Indonésie après un vol interminable ou vous faites une petite incursion pour le week-end aux États-Unis. Vous vous dirigez vers le guichet automatique le plus proche, vous ne vous étonnez pas qu'il ait l'air bizarre avec ses lumières vertes ou ses pièces brinquebalantes.

Vous y insérez votre carte de crédit à puce. Celle qui est théoriquement inviolable. Vous apprenez quelques jours plus tard que votre carte a été clonée et annulée par votre émetteur.

Eh bien, vous faites partie des quelque 88 000 Canadiens à qui c'est arrivé à l'étranger en 2015, selon une compilation que l'Association des banquiers canadiens (ABC) a fournie àLa Presse. C'est trois fois plus qu'en 2008, année où la technologie de la puce combinée au numéro d'identification personnel (NIP) a été introduite au Canada. Avec succès de ce côté-ci de la frontière : durant la même période, le clonage de cartes de crédit a pratiquement fondu de moitié, passant de 130 765 comptes à 64 299.

INCHANGÉE DEPUIS UNE DÉCENNIE

« Il y a eu un mouvement des criminels vers les bandes magnétiques », résume Éric Prud'homme, porte-parole de l'ABC.

« Ici, au Canada, on a la carte à puce qui est très sécuritaire et qui n'est pas clonable. Dans certains autres pays, notamment aux États-Unis, il y a des changements qui s'opèrent, mais plus tranquillement... » - Éric Prud'homme

Essentiellement, la méthode des fraudeurs pour cloner les cartes n'a pas changé depuis une décennie. Un appareil de lecture illégal est greffé au guichet et intercepte les données contenues sur la bande magnétique - toujours présente même si la carte est dotée d'une puce. Une caméra, un étui transparent ou un complice à proximité du clavier enregistre ensuite le numéro d'identification personnel.

Si les statistiques de l'ABC sont éloquentes, la question du clonage des cartes de crédit à l'étranger semble étrangement taboue. Aucune des institutions financières jointes par La Presse n'a voulu fournir ses propres données sur le phénomène, nous renvoyant inévitablement vers celles de l'ABC. Même les agences de voyages observent la même discrétion et ont toutes décliné les demandes d'entrevue.

Ce fléau, pourtant, est bien présent et est abondamment commenté sur les forums de voyage. « Je me sers de ma carte de crédit partout dans le monde, en Asie et en Turquie surtout. Elle a été clonée à maintes reprises, des billets d'avion, des gros montants », écrit « christazy », en réponse à une question de La Presse sur le forum de Voyages à rabais, le plus important du genre au Québec.

« Oui, le clonage de carte est de plus en plus répandu, malheureusement, signale un autre voyageur, "hemerocale", de Boucherville. Dans le Sud, j'ai toujours une crainte à utiliser ma carte de crédit... En général, je paie à la fin de mon séjour, je m'assure qu'ils aient le terminal à puce. »

CRIME PRESQUE SANS VICTIME

Marc-André Léger, chercheur en sécurité informatique et chargé de cours à l'Université de Sherbrooke, peut témoigner de l'ampleur du phénomène. « C'est arrivé à ma femme pendant qu'elle faisait le chemin de Compostelle... C'est quelque chose de courant, c'est tellement facile de cloner une carte avec une bande magnétique », raconte-t-il.

Il a sa propre hypothèse sur le fait qu'on en entende peu parler : « L'impact n'est pas nul, mais presque. En général, les institutions financières vont absorber la perte. Le seul vrai dommage, c'est la période de temps où on ne peut pas utiliser sa carte, ce qui peut être plus dérangeant en voyage, c'est vrai. »

Éric Prud'homme rappelle que 99,5 % des transactions par guichet automatique se font sans problème. Si on compte quelque 88 000 cartes de crédit clonées à l'étranger, elles ne représentent tout de même que 0,1 % des 68,5 millions de cartes de crédit canadiennes Visa et MasterCard en circulation, note le porte-parole de l'ABC.

PORTRAIT D'UN FLÉAU

PLUS DE 2 MILLIARDS US EN PERTES DANS LE MONDE EN 201578 millions

Pertes en 2015, en dollars, liées aux cartes de crédit des Canadiens clonées à l'étranger.

889 $

Somme moyenne fraudée par carte de crédit canadienne.

64,9 milliards

Total investi en technologie par les six grandes banques canadiennes de 2005 à 2014, notamment pour contrer la fraude.

Changement de vocation

« Les criminels dont les activités de fraude visent les cartes de paiement se tournent de plus en plus vers l'exploitation internationale des environnements sans puce. » - Association Interac (Canada), en 2014

2 milliards

Somme estimée, en dollars US, des fraudes liées au clonage dans le monde en 2015.

3 millions

Nombre de guichets automatiques dans le monde, ou 44 guichets par 100 000 habitants.

222

Nombre de guichets automatiques au Canada par 100 000 habitants, le taux plus élevé du monde après Macao, selon la Banque mondiale. À l'autre bout du spectre : l'Afghanistan, avec 0,8.

61

Nombre de pays où on a enregistré des fraudes par clonage, selon le rapport 2016 de l'European ATM Security Team (EAST). Les trois plus touchés : les États-Unis, l'Indonésie et la Jamaïque.

546 %

Le clonage de cartes de crédit a augmenté de 546 % entre 2014 et 2015 aux États-Unis. La fraude moyenne est estimée à 830 $ US.

« Tandis que les États-Unis adoptent de plus en plus la puce, les criminels saisissent l'occasion de contrefaire le plus de cartes possible avant que cela ne leur devienne impossible. » - FICO Card Alert Service, mai 2016

60 %

Pourcentage des guichets aux États-Unis visés par les fraudeurs, en 2015, qui ne relevaient pas d'une banque. Ce taux était de 39 % en 2014.

Sources : ABC, EAST, ATM Marketplace, FICO Card Alert Service, Banque mondiale

CINQ CONSEILS POUR CONTRER LA FRAUDE

De la vigilance au choix de son guichet, de changements de comportement à de petites astuces, voici cinq façons de rendre la vie plus difficile aux fraudeurs.LE BON GUICHET

Pour installer leur dispositif de clonage, les fraudeurs vont préférer les guichets peu surveillés. C'est la raison pour laquelle il faut privilégier en voyage les guichets automatiques installés dans les locaux d'une banque. Aux États-Unis, on estime qu'en 2015, 60 % des fraudes par clonage de carte de crédit se sont produites dans des guichets ne relevant pas d'une institution financière. Visa recommande en outre de préférer les guichets affichant le signe PLUS, avec trois triangles.

OUVRIR L'OEIL

Il existe des dizaines d'appareils différents pour cloner votre carte. Brian Krebs, un ex-journaliste devenu expert en sécurité, en dresse une liste constamment mise à jour sur son blogue. L'écrasante majorité de ces dispositifs sont visibles : il faut donc être à l'affût des détails anormaux sur un guichet, de pièces qui semblent avoir été ajoutées ou qui sont mal ajustées. Gardez à l'esprit que les fraudeurs ont également besoin de votre NIP, qu'ils vont généralement tenter d'obtenir par une caméra installée près du clavier.

SURVEILLER SA CARTE

Lorsque vous effectuez une transaction dans un commerce, arrangez-vous pour ne pas perdre de vue votre carte. « Quand vous la prêtez, assurez-vous que c'est bien la vôtre qu'on vous remet après la transaction », ajoute Éric Prud'homme, de l'Association des banquiers canadiens. Observez ce que fait le commerçant ou l'employé avec votre carte : s'il la passe à plusieurs reprises dans le lecteur, il pourrait s'agir d'un signe de fraude, indique la Sûreté du Québec.

LES PARADES

Le client peut faire plusieurs gestes simples pour minimiser les risques de fraude. D'abord, prendre l'habitude en tout temps de recouvrir sa main au moment de composer le NIP. NCR Corporation, une firme de sécurité américaine, recommande en outre de tromper les fraudeurs en utilisant plusieurs doigts pour cette opération. Ensuite, « si vous utilisez une carte à puce, insérez-la d'abord, conseille le porte-parole de l'ABC. Si ça ne fonctionne pas, vous pourrez glisser votre carte et utiliser la bande magnétique ».

ÊTRE « DILIGENT »

Dans la quasi-totalité des cas, le client dont la carte a été clonée sera remboursé par son institution financière, ce que Visa et Interac, par exemple, appellent la « responsabilité zéro ». Les seules exceptions concernent les cas où on s'est montré particulièrement négligent, en omettant, par exemple, d'aviser rapidement l'émetteur de sa carte en cas de perte ou de fraude. « Il faut faire preuve de diligence, c'est une responsabilité à l'égard de l'institution », rappelle Éric Prud'homme, de l'ABC.