Sophie n'a que 49 ans, mais peut-être plus beaucoup de temps à passer avec Mathilde, sa fille de 12 ans. « Je pense retirer mes REER pour voyager le plus souvent possible avec elle, mais ma famille s'inquiète que je manque d'argent à la retraite  », dit celle qui vit seule avec son adolescente.

Même si elle ne veut pas finir «  vieillie, pauvre et malade  », Sophie trouve bien difficile de se projeter à 70 ans. Le type de cancer qu'on lui a diagnostiqué l'an dernier présente un fort taux de récidive, en plus d'avoir tendance à se propager. «  Je cherche une solution qui équilibre le moment présent et le futur  », résume-t-elle.

Gestionnaire dans une société d'État, Sophie est consciente de sa chance. Elle peut compter sur un salaire d'un peu plus de 100 000 $, un généreux régime de retraite et de bonnes assurances collectives.

« J'ai un revenu qui me permet d'avoir une maison où habiter avec ma fille, mais pas nécessairement l'extra pour faire des voyages. J'étais une voyageuse quand j'étais plus jeune et je voudrais partager ça avec elle. »

CRÉER DE BEAUX SOUVENIRS

Sophie et Mathilde ont inscrit sur un « tableau des rêves » les endroits qu'elles aimeraient visiter. « Évidemment, elle est attirée par les grandes capitales d'Europe, qui coûtent cher ! », indique la mère en riant. Le duo essaie de simplifier les plans, remplaçant par exemple la randonnée équestre en Saskatchewan par une balade dans les Laurentides. «  Mais je n'ai pas encore trouvé de substitut à Paris...  », dit Sophie avec une pointe d'humour.

Pour partir deux ou trois semaines durant les vacances scolaires, elle estime avoir besoin de 10 000 $ par an.

Un premier 4000 $ pourra être dégagé « juste en faisant de petits ajustements dans le budget mensuel ». Actuellement, les dépenses courantes mensuelles s'élèvent à 3300 $. «  Je pourrais économiser au minimum 200 $ par mois en planifiant mieux l'épicerie. Je suis aussi un peu rapide à visiter le vétérinaire avec mes animaux, qui me coûtent 250 $ par mois. » Et sans être une grande consommatrice, Sophie « magasine mal » en ne se souciant pas des soldes.

La balance du budget voyage, soit 6000 $, devra être pigée dans les placements de 125 000 $ accumulés au fil des ans.

PRÉSERVER L'AVENIR

Sophie est prête à décaler sa retraite ou à réduire son train de vie s'il le faut. L'important est qu'elle ait des moyens raisonnables pour subvenir à ses besoins lorsqu'elle cessera de travailler.

Sa véritable inquiétude, c'est l'avenir de sa fille si elle meurt. « Je veux que les gens qui s'en occuperont reçoivent une pension équivalant aux dépenses que j'assume », dit Sophie, qui a désigné Mathilde comme bénéficiaire de ses assurances-vie et héritière de 80 % de ses biens.

La petite commencera le collège privé en septembre 2017 et sa mère prévoit en assumer seule les coûts. Cela cause d'ailleurs un petit souci : pendant un an, Sophie devra payer à la fois 560 $ par mois pour sa voiture et 520 $ pour le collège. « Comment gérer ce chevauchement ?  », en profite-t-elle pour demander.

Au total, en incluant les cotisations mensuelles de 150 $ au REEE, Sophie estime que les dépenses liées à Mathilde s'élèveront à 12 000 $ par année jusqu'à la fin du secondaire. Le REEE de 40 000 $ devrait ensuite couvrir les études postsecondaires.

Est-ce possible d'inviter « la magie des voyages » à s'installer sans compromettre l'avenir ?

PORTRAIT

SOPHIE, 49 ANS

Gestionnaire dans une société d'État

Salaire annuel : 105 000 $

Participe depuis six ans au régime de retraite à prestations déterminées de son employeur

Propriétaire unique de sa résidence : valeur d'environ 325 000 $, hypothèque de 281 000 $

Possède la moitié d'un duplex qu'elle n'habite pas : valeur d'environ 450 000 $, sans hypothèque

Placements : 

 - Fonds FTQ : 8890 $

 - Compte de retraite immobilisé (CRI) : 39 000 $

 - REER : 76 700 $

REEE : 150 $/mois, 15 000 $ accumulés

Assurances-vie : 332 000 $

Dettes : 

 - Prêt auto : 560 $/mois ; échéance en août 2018 ; 0 % d'intérêt

 - Marge et carte de crédit : solde de 15 000 $, en partie à cause de traitements d'orthodontie ; remboursement de 600 $/mois

UNE STRATÉGIE ENCORE PLUS EFFICACE

Sophie a bien raison de s'estimer chanceuse. « Son régime de retraite est la Cadillac des régimes », dit David Paré, conseiller en placement et planificateur financier chez Valeurs mobilières Desjardins. « Elle peut profiter de la vie comme elle le souhaite tout en ayant une retraite relativement confortable. »

Elle n'a toutefois pas le droit d'encaisser dès maintenant tous ses placements.

Les actions du Fonds de solidarité de la FTQ ne pourront être rachetées qu'à la retraite ou en cas de mort imminente.

Quant au compte de retraite immobilisé (CRI), la moitié peut être basculée dans un REER à partir de 55 ans, mais il faut attendre la retraite pour transférer l'autre 50 % dans un fonds de revenu viager (FRV). « Si le CRI avait été sous juridiction provinciale, ç'aura été beaucoup plus ardu de le désimmobiliser », indique David Paré.

Le planificateur a préparé deux scénarios de retraite. Dans les deux cas, Sophie cesse de travailler à 60 ans. Le régime de retraite de son employeur lui verse alors une rente brute de 42 000 $, puis de 35 000 $ à partir de 65 ans. Aux fins de l'exercice, David Paré assume qu'elle vend le duplex qu'elle détient à 50 % au moment de sa retraite. En plaçant ses gains, elle profitera d'un rendement et elle aura accès à du capital au besoin.

Dans le premier scénario, Sophie liquide tous ses REER avant de prendre sa retraite à 60 ans. Elle compte sur la rente de son régime de retraite, le rendement de ses placements (le fruit de la vente du duplex et ses placements non encaissables), la Régie des rentes et, à partir de 65 ans, la Sécurité de la vieillesse. Ses revenus bruts totalisent 55 000 $ par année, soit 42 000 $ après impôts.

Dans le deuxième scénario, Sophie ne touche pas du tout à ses REER avant sa retraite. Ses revenus bruts passent alors à 60 000 $ et ses revenus nets, à 45 000 $. «  La différence entre les deux scénarios n'est pas énorme  », dit David Paré.

Le seul enjeu du régime de retraite est qu'il n'est que partiellement indexé. Les rentes augmenteront de 1 % par année, alors que le coût de la vie grimpera vraisemblablement de 2 %.

« Il faut combler la perte de pouvoir d'achat de 1 % par d'autres sources de revenus. Mais dans ce cas-ci, les placements suffisent pour se rendre à 90 ans. » -David Paré, planificateur financier

Les revenus nets du scénario où Sophie liquide ses placements, soit 42 000 $ par année, arrivent tout près des dépenses estimées à la retraite, soit 40 000 $. « C'est important de bien réfléchir au coût de vie à la retraite. Si elle est à l'aise avec le 40 000 $, elle peut concrétiser son projet. »

HYPOTHÉQUER PLUTÔT QU'ENCAISSER

Pour obtenir 6000 $ net par année, Sophie devrait décaisser 11 320 $ de ses placements. Ses REER, auxquels s'ajoutera la moitié de son CRI à 55 ans, dureront alors neuf ans. « Elle peut se le permettre, dit David Paré, mais il y a une autre solution plus efficace. »

Plutôt que de liquider ses REER, Sophie gagnerait à restructurer sa dette. Elle pourrait augmenter son hypothèque de 15 000 $, soit le solde de sa marge de crédit, et repousser l'échéance à 25 ans, plutôt que 22 ans.

Le paiement hypothécaire mensuel sera alors 100 $ plus élevé, mais comme le versement de 600 $ par mois sur la marge de crédit disparaîtra, Sophie disposera de 500 $ de plus chaque mois. Cela réglerait le problème anticipé en 2017-2018, alors qu'elle devra payer à la fois sa voiture et le collège privé de Mathilde. « En plus, comme la marge est à 7 % et l'hypothèque à 3 %, il y a une économie automatique. »

Lorsque la voiture sera entièrement payée en 2018, Sophie pourra accélérer le remboursement de son hypothèque ou utiliser les 500 $ par mois pour payer ses voyages. Cette dernière option est plus avantageuse, selon David Paré. « Elle paierait plus de 25 000 $ d'impôts en cinq ans pour obtenir 6000 $ net par année. Elle ne paiera pas ça en intérêts ! »

PAS D'INQUIÉTUDE POUR MATHILDE

Si le cancer de Sophie devait malheureusement s'avérer fatal, Mathilde hériterait d'environ 600 000 $. Ce qui suffira « amplement » à couvrir les dépenses défrayées en ce moment par Sophie, incluant les cotisations REEE.

« La priorité devrait être de refaire le testament, si ce n'est pas déjà fait », dit David Paré. Considérant les sommes en jeu, une fiducie pourrait être pertinente. « C'est un patrimoine important. Avec une fiducie, les déboursés seraient faits graduellement et sous la supervision d'une personne de confiance. »

Il pourrait aussi être fiscalement avantageux de désigner spécifiquement Mathilde comme héritière des REER. « Quand l'héritier est majeur, les REER sont immédiatement imposables à 100 %. Quand il s'agit d'un mineur, les retraits et l'imposition se font par tranches annuelles jusqu'aux 18 ans. »

Dans tous les cas, Sophie ne devrait pas s'inquiéter pour Mathilde. « Elle n'aura clairement pas de problème », résume David Paré.