Les études postsecondaires gagnent en popularité, mais les familles québécoises n'ont pas toutes la même vision quand il est question de soutien financier. Si certaines profitent des modes d'épargne comme le REEE, le CELI ou le REER afin de tout payer le jour venu, d'autres reportent le moment où elles choisiront de payer peu, beaucoup ou rien du tout.

UNE FACTURE PAR FAMILLE

En 2015, les étudiants québécois ont payé les droits de scolarité universitaires les plus bas au Canada (2740 $), après ceux de Terre-Neuve-et-Labrador (2660 $), selon Statistique Canada. Néanmoins, quand on pense aux frais connexes (hébergement, nourriture, livres, transport, vêtements, cellulaire, sorties), la facture grimpe rapidement. Et les stratégies pour faire face à ces dépenses semblent franchement différentes d'une famille à l'autre.

UN REEE À LA NAISSANCE

Six jours après la naissance de leur fils Thierry, en 2000, Sylvie Ouellette et Louis Desjardins ont ouvert un Régime enregistré d'épargne-études (REEE). « Je trouvais que les frais de scolarité avaient peu augmenté depuis mes études et je craignais que ça nous rattrape un jour, explique Mme Ouellette. J'avais aussi plusieurs amis avec de grosses dettes d'études. Je voulais nous éviter ça. » Aujourd'hui, plus de 50 000 $ attendent leurs deux enfants. « Quand ma fille Orly est née, on a transformé le compte en régime familial. Si l'un fait un cours de deux ans, l'autre pourra utiliser tout le reste. Ils peuvent l'utiliser au Québec ou pour un échange étudiant, pourvu qu'ils soient inscrits à un programme scolaire reconnu. »

27 % des familles ont investi dans le REEE du gouvernement en 2015, alors que 52 % ont choisi le REER et 33 % le CELI.

Source : Universitas

L'IMMOBILIER POUR LES ÉTUDES

Avant d'avoir Andrée-Anne et ses deux autres enfants, René Trudel (maintenant mort) a acheté un immeuble d'habitation. Il prévoyait rembourser son hypothèque en 25 ans et utiliser les entrées d'argent subséquentes pour payer les études de ses enfants. « Finalement, ma soeur, mon frère et moi avons fait des études postsecondaires en même temps, alors ça lui a coûté beaucoup de sous, souligne Andrée-Anne. J'ai fait une technique hors de notre région, mon frère a fait une technique et un bac, ma soeur un bac et une maîtrise. Mais aucun de nous n'a eu de dettes d'études. » À 19 et 23 ans, Andrée-Anne et son frère ont imité leur père en achetant un immeuble d'habitation dans la même optique.

PRÊTS, BOURSES ET TRAVAIL ESTIVAL

Le père d'Amélie Barbe l'a déménagée d'Amos à Jonquière, lui a payé une épicerie et lui a souhaité bonne chance. Ensuite, la jeune femme a tout payé. « Puisque mes parents étaient séparés et que j'étais à la charge de ma mère, qui ne travaillait pas, j'ai eu droit à beaucoup de prêts et bourses. » Elle misait également sur un salaire estival de 3000 $, mais ne travaillait pas durant ses années scolaires. « Comme j'étais impliquée dans mes études et dans plusieurs projets parascolaires, je n'avais pas le temps de dépenser l'argent que je n'avais pas. Ma situation m'a donné une plus grande conscience de l'argent et mon côté économe me suit encore aujourd'hui. »

LE REEE À PETIT BUDGET

Disposant de 20 000 $ pour les études de sa fille Océane, 18 ans, la photographe Martine Doucet est heureuse d'avoir pris un REEE il y a 15 ans. « En tant qu'artiste qui ne fait pas de gros salaires, je suis impressionnée d'avoir accumulé autant. Ç'a toujours été important pour moi de soutenir ma fille. Comme je n'ai pas de bac, j'ai souvent été moins payée que d'autres pour faire le même travail. Alors je m'étais dit que si j'avais un enfant, j'allais le soutenir jusqu'au bac. » Elle prévoit consacrer environ 5000 $ au cégep et le reste pour l'université.

49 % des familles québécoises ignorent l'existence des subventions liées à l'épargne-études.

Source : Universitas

SÉPARÉS, MAIS UNIS POUR LES ENFANTS

Florence Hally et Denis Jacquelin sont séparés depuis des lustres, mais les ex-conjoints ont toujours collaboré pour soutenir leurs enfants Sophie et Philippe dans leurs études. « Lors d'une séparation, la clé est d'avoir comme objectif principal le bien-être des enfants en tout temps, affirme Florence Hally. Pour nous deux, le soutien aux études a toujours été une priorité budgétaire. Chaque année, on réajustait notre participation financière au prorata de nos salaires annuels. Ça tournait toujours autour de 45/55. »

UNE PROMESSE À SES ENFANTS

Né dans une famille de 19 enfants, Clément Beaulieu, le père de Maxime, n'a reçu aucun sou de ses parents pour payer son cours classique qui l'aurait mené à l'université. Des réformes en éducation lui ont finalement ouvert la voie jusqu'en médecine vétérinaire, mais il s'est juré que l'argent ne serait jamais un frein pour l'éducation de ses enfants. « Il m'a dit que sa principale motivation pour payer nos études était le souvenir de tristesse dans les yeux de sa mère quand elle a dû initialement refuser qu'il poursuive ses études par manque d'argent », explique Maxime, l'aîné. Des années plus tard, il a payé le bac ET la maîtrise à ses trois fils.

PRÊTS, BOURSES ET AIDE PARENTALE

Cédric, 19 ans, reçoit des prêts et bourses du gouvernement, ainsi que de l'aide financière parentale, à certaines conditions. « Depuis toujours, quand il s'implique dans quelque chose, il doit le faire jusqu'au bout ou nous rembourser la partie non utilisée. On a fonctionné ainsi pour les activités sportives, les examens de conduite et le cégep. On paie sa session, mais s'il échoue à un cours, il doit nous rembourser au prorata. On ne demande pas des A+, mais de l'engagement et la réussite », explique sa mère Guilaine Denis.

TOUT EST UNE QUESTION D'ÉQUILIBRE

Les parents qui ne peuvent pas tout payer à leurs enfants durant leurs études postsecondaires ne doivent pas culpabiliser. Lorsque bien équilibrée, la conciliation travail-études peut s'avérer profitable.

« De plus en plus de jeunes désirent travailler durant leurs études pour accumuler des expériences de travail et s'en servir comme atouts après l'obtention de leur diplôme, explique Pierre Doray, professeur en sociologie spécialisé en éducation à l'UQAM. D'autres veulent avoir leur indépendance financière ou simplement s'offrir ce qu'ils veulent, sans dépendre de leurs parents. C'est devenu une norme de travailler en étudiant. »

Une norme qui éveille pourtant bien des craintes, dès que le ratio travail/études est débalancé. Alors que plusieurs études suggèrent de ne pas dépasser 15 heures afin de ne pas nuire aux résultats scolaires, d'autres parlent de 20 à 25 heures.

Dans tous les cas, le professeur Doray observe que la majorité des étudiants qui travaillent plus de 25 heures par semaine ont des caractéristiques d'adultes. « Ils sont plus âgés, ils vivent en couple et ils ont des emplois à temps plein, des enfants et des obligations financières. Tous ces facteurs réduisent le temps consacré aux études et influencent inévitablement leur rendement. »

Il insiste aussi pour dire que la plupart des étudiants qui travaillent très peu le font parce qu'ils ont des difficultés scolaires, et non pour s'assurer de rester performants. « Après quelques mois de cours, plusieurs étudiants réalisent que leurs résultats ne sont pas à la hauteur et ils décident d'abandonner leur emploi pour améliorer leurs notes. Mais c'est faux d'imaginer que ceux qui travaillent peu sont automatiquement performants. »

COMMENT AIDER SON ENFANT

N'empêche, les parents qui veulent permettre à leurs enfants de ne pas trop travailler doivent prévoir le coup financièrement. Mais quels véhicules d'épargne choisir ?

Entre le REER, le CELI et le REEE, il est préférable d'opter pour un Régime enregistré d'épargne-études, selon Daniel Laverdière, directeur principal à la Banque Nationale. « On peut alors obtenir 30 % de subventions du gouvernement sur ce qu'on a versé : si on a placé 1000 $, on aura donc 1300 $ au total. »

Par la suite, le CELI est à envisager. « Quand on sort les sommes du CELI, ce n'est pas pénalisant, explique-t-il. Chaque fois qu'on retire, on peut remettre la même somme dans le compte. À l'inverse, quand on retire des sous d'un REER, on a brûlé nos droits. »

Même si ces moyens existent, 39 % des familles québécoises affirmaient ne pas avoir les moyens ou l'intention d'épargner en 2016, dans un sondage réalisé en janvier 2016 pour Universitas. « Au Québec, les gens sont nombreux à se dire qu'ils paieront quand ils seront rendus là, parce qu'ils ne savent pas ce que leurs enfants feront, dit Pierre Doray. Ils ne veulent pas économiser en vue d'éventuelles études universitaires, si leur enfant fait "seulement" un court programme professionnel. »

De façon générale, Daniel Laverdière conseille un juste équilibre dans le soutien financier offert aux enfants de ses clients. « Sans tout donner, c'est souvent plus utile d'aider nos enfants durant leurs études, plutôt que d'attendre notre décès pour léguer un héritage, alors que nos enfants ont déjà la soixantaine. »

EN CHIFFRES

67 % 

Pourcentage des Québécois âgés de 25 à 64 ans titulaires d'un diplôme postsecondaire en 2014, contre 64 % dans le reste du Canada.

42,3 % 

Pourcentage des étudiants québécois âgés de 15 à 24 ans qui occupaient un poste à temps plein durant leurs mois d'études, contre 38,7 % dans le reste du pays, en 2011. Trois décennies plus tôt, 27,2 % des étudiants québécois étaient dans la même situation. Ils étaient 34,9 % en moyenne partout au Canada.

25

Un étudiant québécois à temps plein sur 10 travaillait 25 heures et plus par semaine en 2011.

Sources : Statistique Canada, Institut de la statistique du Québec

TRUCS ET ASTUCES POUR LES PARENTS

SUBVENTION GOUVERNEMENTALE

Faites comme 22 % des Canadiens qui prévoient utiliser la nouvelle allocation canadienne pour enfants du gouvernement fédéral pour économiser en vue des études postsecondaires de leurs enfants.

GÉRER LES ATTENTES

Bien avant le début du cégep, discutez avec votre enfant de ses attentes à l'égard de votre participation financière. En ayant une idée claire de votre soutien et de la somme globale dont il disposera, il pourra faire des choix conséquents : étudier hors de sa région natale ou non, travailler pendant l'année scolaire ou non, avoir deux colocataires ou 17 (en résidence), etc.

BUDGET

Puisque votre enfant devra bientôt considérer certaines dépenses pour la première fois (Hydro-Québec, communications et divertissement, appartement, nourriture, livres, droits de scolarité), guidez-le dans la préparation d'un budget, mais sans tout faire à sa place.

AIDE FINANCIÈRE

Votre enfant aura droit ou non aux prêts et bourses en fonction de vos revenus. Sachez que si, durant l'année civile en cours, vous subissez une baisse de revenus de 10 % ou plus en comparaison avec l'année civile précédente, vous devez faire parvenir un formulaire au bureau de l'aide financière, afin qu'un ajustement du soutien financier soit considéré.

Sources : Ipsos, MonAvenirenN-É, ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Québec, Agence de la consommation en matière financière du Canada