Objet universel par excellence, le portefeuille d'antan se meurt. Le bon gros modèle italien en cuir est aujourd'hui remplacé par des porte-cartes plus petits et sécurisés, qui eux-mêmes sont menacés par le téléphone intelligent. Et payer avec son iPhone, sa rétine ou une puce greffée n'est déjà plus de la science-fiction. Portrait d'une révolution inattendue et déjà en cours.

Tendances et bonnes idées

Les détaillants le constatent : le portefeuille a énormément évolué depuis une vingtaine d'années, tant chez les hommes que les femmes. Le fourre-tout d'autrefois, dans lequel on retrouvait photos de famille, timbres, liste d'épicerie, reçus et espèces sonnantes est maintenant surtout utilisé pour les dizaines de cartes magnétiques que le consommateur moyen doit trimbaler. Les fabricants ont dû s'ajuster. Explications en cinq temps.

Un siècle de changements

Apparue pour la première fois il y a plus d'un siècle, en 1914, popularisée dans les années 70 aux États-Unis, la carte de paiement règne aujourd'hui en maître incontesté à la caisse. En terme de valeur, à peine 23 % des transactions sont réalisées en argent comptant, selon une recherche de la Banque du Canada datant de 2013. Bref, ce n'est pas qu'une simple impression : « Les gens se trimbalent avec beaucoup moins d'argent liquide, les pièces de monnaie sont moins utilisées, les billets de banque ont tendance à disparaître », résume Christophe Derez, directeur des opérations chez Canada Valise Dépôt. Cette entreprise montréalaise se définit comme « le leader des ventes en ligne » au Canada dans la maroquinerie, incluant les portefeuilles.

« Avant, c'était " Plus c'est grand, mieux c'est ", résume Denise Ross, acheteuse spécialiste des accessoires chez Bentley, le plus important détaillant canadien dans ce domaine. Les gens y transportaient tout - argent, cartes, photos, coupons, cartes d'abonnés, alouette ! »

Autre évolution notable, la technologie a modifié les habitudes en ce qui concerne bien des objets autrefois conservés dans les portefeuilles. Les photos, reçus et listes en tous genres sont souvent en format numérique, les chèques représentent à peine 2 % des transactions au Canada et les timbres-poste sont en voie d'extinction.

Réduction à l'oeuvre

Conclusion : « Les portefeuilles sont de plus en plus petits avec les années, résume M. Derez. La tendance, c'est faire plus avec moins d'espace, précise l'acheteuse chez Bentley. Tout doit être placé avec soin pour un accès facile. »

Cette évolution, les designers Laurent Carrier et Kurt Hibchen, fondateurs de la firme montréalaise Toboggan, l'avaient anticipée il y a une douzaine d'années. Ils ont conçu et mis sur le marché le Capsul, dont ils ont écoulé quelque 300 000 exemplaires. La trouvaille au coeur de ce portefeuille compact en plastique, c'est le « godet », un renfoncement qui permet de garder les cartes à la verticale quand on ouvre le Capsul. « Dans les produits de design québécois, combien ont été vendus à 300 000 exemplaires ? », note M. Hibchen, qui anime par ailleurs l'émission Le design est partout sur les ondes d'ICI ARTV. Manufacturé à Montréal, cet objet est notamment populaire... à Taïwan, précise le président de Toboggan en souriant. « L'inspiration est venue du boîtier d'une bonne vieille cassette audio, explique M. Carrier. En 2004, on voyait venir l'arrivée des cartes, les fameux livrets de banque disparaissaient, les guichets automatiques étaient la norme. »

Portefeuilles spécialisés

Par un savoureux paradoxe, les cartes qui ont remplacé l'argent comptant se sont tellement multipliées... qu'un portefeuille ne suffit souvent pas à les contenir. « On dit que les gens ont plus de cartes aujourd'hui, et on constate qu'ils vont souvent avoir un portefeuille mince, traditionnel mais qui peut contenir des cartes de paiement, puis un deuxième porte-cartes pour toutes les autres - cartes de fidélité, de transports en commun, de bibliothèque », note Christophe Derez. Même constat chez Toboggan, où on rapporte que de nombreux acheteurs du Capsul vont s'en procurer deux de différentes couleurs - sur les six offerts - pour des usages spécialisés. « Éventuellement », annonce Mary-Sarah Gagnon, chef de production chez Toboggan, on aimerait offrir des Capsul au look personnalisé qu'on pourrait commander en ligne.

Besoin de sécurité

L'autre tendance directement liée aux nouveaux occupants des portefeuilles, c'est la sécurité. Les cartes de crédit avec paiement sans contact sont en effet très vulnérables, puisque des informations confidentielles peuvent être facilement lues par un scanneur à proximité. Une des solutions : installer les cartes entre deux plaquettes bloquant les ondes RFID. « La plupart des portefeuilles offrent maintenant une protection RFID, c'est un must, autant que l'air conditionné en 2016 », précise M. Derez. Chez Toboggan, on a justement mis sur le marché fin juin un tout nouvel ajout sûr au Capsul, les onglets Duo-Lock entre lesquels on place les cartes vulnérables. Chez Bentley, la majorité des portefeuilles offerts sur shopbentley.com comportent eux aussi la protection RFID.

Futur et incertitude

Ces adaptations suffiront-elles à assurer la survie du bon vieux portefeuille ? Même s'il représente une part significative de son chiffre d'affaires, M. Derez en doute. Fortement. « Est-ce que dans cinq ou dix ans, le portefeuille va être abandonné ? Je pense que oui. Regardez toutes les formes de paiement comme Apple Pay qui sont de plus en plus présentes. Est-ce que tout va être intégré dans les téléphones intelligents ? Probablement. » L'abandon de cet objet familier sera très graduel, prédit-il, puisque les consommateurs plus âgés aiment encore régler leurs transactions avec les bonnes vieilles cartes. « La disparition des portefeuilles ne va pas arriver du jour au lendemain. » Même si l'avenir est aux portefeuilles virtuels, « il y aura toujours un besoin des consommateurs de transporter quelques objets importants pour eux », estime Mme Ross. « Ce sera toujours une combinaison de caractéristiques selon les besoins de chacun. Par exemple, un portefeuille avec chargeur de batterie intégré. »

Portefeuilles et menus faits

Les origines

Le portefeuille moderne, qui aurait fait son apparition aux États-Unis au XIXe siècle, dérive de la bourse couramment utilisée au Moyen Âge pour y garder des pièces de monnaie. La plus vieille bourse connue date de cinq millénaires : en cuir avec une vingtaine de perforations, elle était portée par le fameux Ötzi, « la momie des glaces », découvert en 1991. Il s'en servait pour transporter de petits outils de silex.

Un oubli payant

La première carte de crédit grand public, celle du Diners Club, est née à la suite d'une mésaventure célèbre. En 1949, un homme d'affaires, Frank McNamara, dînait dans un restaurant new-yorkais avec des clients quand il a réalisé qu'il avait oublié son portefeuille. « Pourquoi les gens devraient-ils se limiter à dépenser ce qu'ils transportent en argent plutôt que ce qu'ils peuvent se permettre ? », se serait-il dit. La carte de crédit était officiellement née.

52 %

Pourcentage des consommateurs canadiens qui prévoient encore utiliser l'argent liquide en 2020.

Les bienfaits des photos de bébés

Vous voulez retrouver votre portefeuille égaré ? La meilleure solution est d'y mettre une photo de bébé, selon une étude britannique menée en 2009. Pas moins de 88 % des portefeuilles volontairement égarés par les chercheurs dans les rues d'Édimbourg et contenant une photo de bébé ont été retournés, contre 42 % pour l'ensemble des portefeuilles.

Argent sale

E. Coli, salmonelle, influenza, hépatite A : votre portefeuille est probablement l'objet le plus contaminé de votre environnement. Une méta-étude publiée en 2015 dans la revue Future Microbiology a relevé un éventail effarant de maladies qui pouvaient être transmises par les billets de banque et pièces de monnaie contenus dans un portefeuille. Le premier conseil : séparer l'argent de la nourriture et se méfier de l'argent comptant provenant des hôpitaux.

Le célèbre portefeuille de George

Si vous faites une recherche internet avec le mot-clé « wallet » (portefeuille en anglais), vous tomberez fréquemment sur George Constanza. Ce personnage loufoque de la populaire série Seinfeld a marqué les esprits en 1998 en exhibant un portefeuille monstrueux, plein à craquer, qui lui donnait mal au dos et avait tendance à exploser. Juste retour des choses : en 2011, Google a embauché l'acteur incarnant George pour lancer sa version virtuelle du portefeuille, Google Wallet.

Sources : sondage Accenture 2014, Storyleather.com, The Times, Debtor Nation : The History of America in Red Ink, US National Institute of Health, Bloomberg

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Paiement mobile : le point

Entre Apple Pay, PayPal et la demi-douzaine de solutions maison des banques canadiennes, il existe une variété étourdissante d'offres pour payer avec son téléphone intelligent. Suivez le guide.

Mainstream en 2019

Annoncé depuis des années comme le remplaçant du portefeuille, le paiement mobile, basé sur le téléphone intelligent, tarde à s'imposer. Selon le cabinet IDC, il faudra attendre 2019 pour une adoption répandue. En attendant, il n'a été utilisé l'an dernier que par 14 % des Canadiens, selon une étude de la firme Catalyst publiée à la mi-juin. « Oui, c'est lent, et c'est d'abord parce que le paiement mobile exige un réseau incroyablement complexe, encore plus complexe à cause de la sécurité », explique Jason Davies, responsable des paiements numériques chez Mastercard Canada. La première raison évoquée par 54 % des répondants, elle, concerne la sécurité. « Nous nous attendons à un plus fort taux d'adoption avec l'arrivée à la fin de l'année d'Apple Pay », note Jeff Lancaster, PDG de Catalyst.

En tête : PayPal et Starbucks

Étonnamment, les champions du paiement mobile l'an dernier ne sont pas des banques ou des émetteurs de cartes de crédit traditionnels. 70 % des Canadiens qui ont affirmé avoir effectué un paiement avec leur téléphone l'ont fait par l'intermédiaire de PayPal - donc en ligne. Succès encore plus impressionnant, 42 % des « payeurs mobiles » ont utilisé l'application maison de Starbucks. « Il s'agit d'un bel exemple de compagnie qui a créé une expérience mobile de qualité, qui a une valeur réelle pour ses clients », estime M. Lancaster.

Le cas Apple Pay

Lancé assez discrètement au Canada en association avec American Express, Apple Pay a réellement connu son envol ce printemps. La plupart des cartes de débit et de crédit de BMO, CIBC, RBC, Canadian Tire, Scotiabank et TD, soit 90 % du marché canadien, sont maintenant intégrées à Apple Pay. On note un absent de taille au Québec, toutefois, puisque Desjardins n'a pas adhéré à cette plateforme. La force d'Apple, surtout dans un marché aussi fragmenté que celui du paiement mobile, c'est d'offrir la même expérience, qu'on assure sécurisée, dans une même interface aux quelque 10 millions de Canadiens qui possèdent un iPhone.

Société distincte

Au Québec, c'est le Mouvement Desjardins, fort de ses 7 millions de membres et clients, qui marque le pas en ce qui concerne le paiement mobile. La seule option actuellement offerte chez Desjardins est cependant limitée à 21 modèles de téléphones Android haut de gamme. Impossible de connaître le succès de cette application, qu'on devine modeste dans les circonstances. « Nous avons quelques milliers d'utilisateurs et c'est en progression continue », indique le porte-parole André Chapleau.

Marché Android fragmenté

À l'image des quelque 24 000 modèles de téléphones Android offerts dans le monde, il existe des dizaines d'applications de paiement mobile au Canada pour ce système d'exploitation. Les banques canadiennes, notamment CIBC, RBC, BMO, Scotiabank et TD, Rogers avec suretap, PC Financial ont tous leur application maison. On attend l'arrivée de Samsung Pay au Canada cette année. « C'est très populaire », indique Carolyn Burke, chef paiements internationaux chez RBC, précisant simplement que les téléchargements ont « dépassé les prévisions ». Chez MasterCard, on ne voit pas que des inconvénients au fait que le marché des téléphones Android soit très fragmenté. « Il va y avoir beaucoup d'expériences, il va y avoir consolidation, les consommateurs vont décider », estime Jason Davies.

La biométrie, l'avenir

Fin juin, des millions d'Américains, notamment les clients de la Wells Fargo, ont pu accéder à leur compte bancaire grâce à une application capable de reconnaître les vaisseaux sanguins de leurs yeux. Citigroup, elle, utilise la reconnaissance vocale tandis que l'entreprise de services financiers USAA fait confiance à celle des contours du visage. Ces méthodes d'identification biométriques, qui peuvent se passer de téléphones intelligents, ne sont pas qu'un gadget, selon divers experts : c'est la seule façon de surmonter la méfiance des consommateurs envers les méthodes actuelles de paiement mobile.

Quelques chiffres

76 %

Taux d'adoption des téléphones intelligents au Canada en 2016

85 %

Pourcentage des Canadiens qui ont payé une facture en ligne

33 %

Un Canadien sur trois annonce qu'il va effectuer « plus de paiements mobiles » en 2016 qu'en 2015

620 milliards US

Montant estimé des transactions effectuées sur appareil mobile dans le monde en 2016

66 milliards US

Paiements effectués par l'entremise de PayPal en 2015

25 %

Une transaction sur quatre effectuée au Canada l'a été sur un terminal sans contact en 2015

Source : Catalyst, Statista, Moneris

PHOTO Chris Ratcliffe, Bloomberg