Suzanne croyait que le renouvellement de son prêt hypothécaire serait une simple formalité. Erreur ! Elle a appris avec stupéfaction qu'une hypothèque légale était inscrite sur la maison qu'elle possède avec son conjoint Gilles, qui a payé en retard, il y a 13 ans, les pensions alimentaires pour ses enfants nés de deux unions précédentes.

Du coup, leur institution financière était réticente à renouveler leur prêt et songeait à leur imposer un taux d'intérêt plus élevé, puisqu'elle se retrouvait prêteur de second rang.

« Ça m'a beaucoup stressée d'apprendre ça, surtout que notre notaire nous a mentionné qu'on pourrait être obligés de vendre la maison si la caisse n'acceptait pas de passer en deuxième rang », confie Suzanne.

Après quelques discussions, la caisse Desjardins a accepté de renouveler leur prêt hypothécaire à un taux normal, quand on l'a assurée que l'hypothèque légale serait bientôt levée. Gilles n'a plus de dette envers Revenu Québec. De plus, il cessera bientôt de verser la pension alimentaire pour son fils cadet, âgé de 21 ans, même s'il vit toujours avec sa mère, puisqu'il n'est plus aux études depuis quelques années.

Mais Suzanne est estomaquée d'apprendre que le fisc peut prendre une hypothèque légale sur la maison dont elle est copropriétaire, pour une dette avec laquelle elle n'a rien à voir, sans même qu'elle en soit informée.

« Revenu Québec m'a dit que ça prenait la signature de l'ex de mon conjoint pour confirmer qu'il ne devait plus rien et que l'hypothèque légale soit levée », raconte-t-elle. Le problème, c'est que l'ex-conjointe ne collabore pas très bien, puisqu'elle appréhende la fin du versement de la pension alimentaire. Elle retarde donc les démarches le plus possible.

« Comment se fait-il qu'elle ait ce pouvoir sur ma maison, sans que j'aie mon mot à dire là-dessus ? Surtout que mon conjoint n'a plus de dette depuis longtemps ! » - Suzanne

DÉBOIRES FINANCIERS

Le couple a eu des problèmes d'argent il y a une dizaine d'années. Gilles a emprunté plusieurs milliers de dollars pour se lancer à son compte comme camionneur en 2006, mais les affaires n'ont jamais décollé. Les revenus anticipés ne se sont pas concrétisés.

Suzanne explique qu'il a alors eu du mal à verser les pensions alimentaires pour ses enfants nés de deux unions précédentes, qui habitaient avec leurs mères respectives. Il a accumulé des arrérages de près de 5000 $, ce qui a incité Revenu Québec à prendre deux hypothèques légales sur sa maison, pour chacune des deux ex-conjointes.

Gilles a déclaré faillite en 2008, avec des dettes de plus de 200 000 $ et un actif de 145 000 $. Son obligation de payer les pensions alimentaires est demeurée malgré cette procédure. D'ailleurs, on ne peut se soustraire à cette obligation en faisant faillite.

En 2011, ses déboires ont continué : le camionneur s'est retrouvé au chômage. « Certaines semaines, son chèque de chômage était saisi au complet pour le paiement des pensions alimentaires et pour le remboursement de sa faillite. Ça ne lui laissait presque rien pour les dépenses de son autre enfant, qui vivait avec nous », souligne Suzanne.

Ils ont maintenant repris le contrôle de leur situation financière, mais trouvent très désagréable de voir leurs ennuis passés revenir les hanter ainsi.

PORTRAIT

Suzanne, 48 ans (gestionnaire d'immeubles)

Revenu : 69 000 $

Deux enfants d'une union précédente, 21 et 23 ans

Gilles, 56 ans, camionneur

Revenu : 55 000 $

Deux enfants d'une union précédente, 21 et 27 ans

Un enfant ensemble, 18 ans

Propriété : 

Valeur : 275 000 $

Hypothèque : 185 000 $

Pension alimentaire à payer par Gilles : 

 $300/mois

Arrérages en 2003 : 

4800 $

Arrérages en 2006 : 

4500 $

SOLUTION

Les dettes de votre conjoint sont parfois les vôtres...

« Il faut faire attention avec qui on est en "business", même si c'est votre conjoint », lance l'avocat Jean-François Chabot, président de l'Association de médiation familiale du Québec.

Surtout si c'est votre conjoint, pourrait-on dire, puisque ses dettes ou ses problèmes avec le fisc risquent d'avoir des conséquences pour vous.

C'est le cas lors d'un défaut de paiement de pension alimentaire. Lorsque l'entente entre les parents pour le versement de la pension a été approuvée par un tribunal, c'est Revenu Québec qui en administre la perception et le paiement.

Si le payeur ne respecte pas ses obligations, le fisc peut inscrire une hypothèque légale au nom du créancier alimentaire pour couvrir les arrérages ainsi que tous les montants à payer en pension alimentaire dans l'avenir. Revenu Québec peut faire la même chose lorsqu'un contribuable ne paie pas ses impôts.

Gilles a été délinquant à quelques reprises à l'égard de ses obligations financières pour ses enfants. Il nous a autorisé à consulter son dossier à Revenu Québec.

Dès 2003, il était en retard de 4800 $ dans le paiement de la pension alimentaire pour l'un de ses enfants, ce qui a incité Revenu Québec à inscrite une première hypothèque légale. Deux ans plus tard, comme les montants dus ont été payés, l'ex-conjointe a accepté de faire lever l'hypothèque légale.

« Revenu Québec doit, dans tous les cas, obtenir l'autorisation du créancier alimentaire pour radier une hypothèque légale, explique la porte-parole de l'agence gouvernementale, Geneviève Laurier. L'autorisation du créancier est nécessaire même dans les cas où les arrérages et la dette ont entièrement été payés. À défaut d'obtenir l'autorisation du créancier alimentaire, l'hypothèque légale sera maintenue. »

En 2006, alors que commencent les problèmes financiers qui le mèneront à la faillite, Gilles est de nouveau en défaut de paiement pour ses deux enfants, cette fois-ci pour 4500 $. Deux nouvelles hypothèques légales sont inscrites par Revenu Québec, et Gilles est informé que sa maison sera peut-être vendue. On veut s'assurer de recouvrer les montants impayés, en cas de vente.

Coincé par les ex

Gilles a réglé ce qu'il devait par la suite. En 2010, lors d'un refinancement hypothécaire, Revenu Québec a communiqué avec les deux ex-conjointes pour demander leur accord à la levée des hypothèques légales. La première a refusé, et la deuxième n'a pas répondu. Les hypothèques sont donc demeurées actives.

Revenu Québec a été avisé d'un nouveau refinancement hypothécaire en décembre dernier. À nouveau, les deux anciennes conjointes ont été contactées. La première a donné son approbation, puisqu'elle n'a plus de pension à recevoir de Gilles, et l'une des hypothèques a été radiée en janvier. « Malgré plusieurs appels, l'autre créancière alimentaire n'a toujours pas retourné nos appels, de sorte qu'il reste toujours, à ce jour, une hypothèque légale en vigueur », relate Mme Laurier.

« Si vous êtes copropriétaire d'une maison avec votre conjoint, vous devez dealer avec ses dettes impayées, fait remarquer Me Chabot. Mais généralement, il y a une gradation des sanctions de la part de Revenu Québec. Ils peuvent aussi saisir les REER. L'hypothèque légale est habituellement le dernier recours. »

L'avocat a déjà vu un cas où, à la suite d'une séparation, la maison familiale conservée par madame était grevée d'une hypothèque légale, en raison des impôts impayés de monsieur. « Madame se retrouve donc coincée avec une hypothèque de second rang », dit-il.

Le fisc ne se préoccupe donc pas du copropriétaire lorsqu'il inscrit une hypothèque légale sur un immeuble ? « L'inscription d'une hypothèque légale par Revenu Québec se fait uniquement en proportion de l'étendue du droit de propriété du débiteur sur le bien en question, indique Geneviève Laurier. Par exemple, si le débiteur est propriétaire d'un immeuble à 50 %, l'hypothèque légale ne pourra être inscrite que pour le 50 % lui appartenant. » 

Cependant, le copropriétaire n'est pas officiellement informé par Revenu Québec de la procédure.

Si l'ex-conjointe de Gilles ne donne pas son autorisation, l'hypothèque légale sera levée lorsque le tribunal annulera la pension alimentaire. Quand une pension alimentaire est instaurée par un jugement, elle ne peut être annulée que par un nouveau jugement, à la demande des deux parents. « Le fait qu'un enfant subvienne maintenant à ses besoins ou qu'il ait atteint la majorité ne met pas fin à l'obligation alimentaire », précise Mme Laurier.

Si cette demande est faite par l'intermédiaire d'un avocat, le processus peut coûter entre 700 et 1000 $. Une procédure simplifiée, moins coûteuse (530 $), peut être entreprise avec l'aide de la Commission des services juridiques, mais elle nécessite la collaboration des parents.

Un parent ayant toujours une pension alimentaire à payer peut aussi demander au tribunal la radiation d'une hypothèque légale en offrant une autre garantie « suffisante » à la place.

Lisez notre reportage sur la façon de mettre fin à une pension alimentaire : 

https://affaires.lapresse.ca/finances-personnelles/201501/20/01-4836862-pensions-alimentaires-mettre-un-point-final.php

EN CHIFFRES

Nombre de bénéficiaires pour qui Revenu Québec perçoit la pension alimentaire : 

134 290

Nombre d'hypothèques légales en vigueur pour défaut de paiement de pension alimentaire : 

1001

Nombre d'hypothèques légales en vigueur pour des créances fiscales : 

23 368

Frais facturés par Revenu Québec pour inscrire une hypothèque légale : 

210 $

Pour la radier : 155 $

Source : Revenu Québec

Hypothèques légales émises par Revenu Québec en 2014 : 

3964, en hausse de 8 %

Valeur totale des hypothèques légales émises : 

365 millions $, en hausse de 26 %.

Source : JLR Solutions foncières