Décidément, le rendement de 9,1 % obtenu par la Caisse de dépôt en 2015, une année frustrante pour nombre de petits investisseurs, a frappé l'imagination des lecteurs. Plusieurs nous ont envoyé des courriels pour savoir comment s'y prendre pour investir directement dans les fonds gérés par la Caisse de dépôt. Inutile de dire que personne ne souhaitait y investir en 2008 quand l'institution avait perdu 40 milliards dans une seule année.

Un gestionnaire de portefeuille, Carl Simard, de Medici de Saint-Bruno, a pris la plume pour expliquer aux lecteurs de La Presse Affaires quels étaient les facteurs de succès, selon lui, de la méthode Michael Sabia, patron du gestionnaire des caisses d'assurance et de retraite publiques des Québécois.

Pour le président de la firme Medici, ayant un actif sous gestion de 250 millions, la pierre d'assise du succès de la Caisse repose sur le fait que l'investisseur institutionnel investit et raisonne en propriétaire d'entreprise, une affirmation que répète d'ailleurs régulièrement M. Sabia lui-même.

« Investir et raisonner en propriétaire d'entreprise est devenu le nouveau mode opérationnel de l'entreprise. Nouveau, oui et non, car cette discipline d'investissement avait déjà été déployée avec succès par la Caisse à titre d'investisseur propriétaire et exploitant dans l'immobilier. Il s'agissait plutôt de déployer ces façons de faire à tous les types d'actifs gérés par la Caisse et particulièrement aux actions ordinaires de sociétés publiques », précise M. Simard.

Une telle philosophie de propriétaire se déploie sur six grands axes, selon ce dernier.

1. SE FAIRE SA PROPRE IDÉE

Cesser de suivre la masse. Lâcher la gestion indicielle. Gérer les actions comme la Caisse gère ses immeubles et ses infrastructures. Se méfier de l'alchimie financière telle que la valeur à risque (VaR), en vogue à la Caisse sous l'administration précédente. « Arrêtons d'investir comme à l'époque en fonction des fluctuations boursières. Soyons des investisseurs de long terme. Considérons le risque comme étant celui de perdre de l'argent de façon permanente », ajoute M. Simard.

2. LE SOUCI DU CLIENT

« La Caisse doit se comporter comme si elle est en situation de concurrence », dit le patron de Medici. Or, la Caisse a longtemps tenu ses principaux déposants pour acquis. Pour cause, ceux-ci sont contraints par la loi d'être servis par la Caisse. La mentalité a commencé à évoluer sous Henri-Paul Rousseau et Richard Guay. L'arrivée de Bernard Morency, d'abord comme consultant en 2007, puis comme premier vice-président, déposants, à compter de 2009, a renforcé ce souci du client.

3. RENDRE DES COMPTES AUX QUÉBÉCOIS

Même si elle gère l'argent des régimes de retraite et d'assurance publics des Québécois, la Caisse s'est longtemps montrée réticente à expliquer publiquement ses décisions. Sous Sabia, l'institution a commencé à publier ses résultats tous les six mois, une première dans l'histoire de la Caisse. La conférence de presse sur les résultats annuels est devenue un rendez-vous couru par les médias d'ici et d'ailleurs (Reuters, Wall Street Journal, Bloomberg) au même titre que les budgets des gouvernements.

4. DES BONIS RÉINVESTIS

« Les dirigeants d'une bonne société de gestion de portefeuille doivent investir comme si c'était leur propre argent et celui de leurs parents », avance M. Simard. Aspect méconnu, le mode de versement des bonis a changé à la Caisse sous Sabia. Plus de la moitié du boni versé aux membres de la haute direction est obligatoirement réinvestie dans le fonds de la Caisse pour une période de trois ans.

5. LE MONDE COMME TERRAIN DE JEU

Après une pause pendant le règne d'Henri-Paul Rousseau, la Caisse a repris son expansion internationale. Elle vient d'ailleurs d'ouvrir cette semaine un bureau en lnde. Cette stratégie est tout à fait justifiée malgré les dépenses qu'elle occasionne, d'après Carl Simard. « Profiter au maximum de la puissance économique et de la notoriété internationale de la Caisse pour attirer les meilleures occasions d'investissement, où qu'elles soient. »

6. AGIR COMME LEVIER ÉCONOMIQUE AU QUÉBEC

Depuis sa constitution en 1966, la Caisse a le mandat d'intervenir dans l'économie québécoise. Sous Jean Campeau et Jean-Claude Scraire, l'institution ne se faisait pas prier pour participer à l'essor des fleurons d'ici. Ce qui saute aux yeux de M. Simard, c'est que la Caisse de l'ère Sabia ne se contente pas d'investir, mais agit comme un levier en soutenant des entreprises ambitionnant de devenir des leaders à l'échelle du pays, du continent ou de la planète.

Le mot de la fin, M. Simard ? « Le grand mérite de Sabia et son équipe est d'avoir trouvé la stratégie appropriée pour implanter harmonieusement cette "révolution tranquille" dans une gigantesque organisation paragouvernementale dont les parties prenantes ont souvent des intérêts divergents. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Carl Simard est président de la firme Medici, qui gère un actif de 250 millions.