Un bas de laine bien rempli est une arme essentielle pour se défendre en cas de mauvaise surprise de la vie. Les jeunes femmes ont beau être éduquées et se dire farouchement indépendantes, elles ne le sont pas vraiment tant qu'elles n'ont pas rembourré leur coussin financier. Voici comment y arriver.

DISCIPLINE, RIGUEUR ET CONFIANCE EN SOI

Quel lien y a-t-il entre les arts martiaux et l'indépendance financière ? Les deux exigent de la discipline et des efforts, et il procurent ensuite de l'assurance et du pouvoir.

Bien des jeunes femmes apprennent des techniques d'autodéfense pour pouvoir se défendre en cas d'agression. Elles auraient intérêt à appliquer le même principe à leur compte en banque : en le remplissant, il deviendra leur arme secrète, qui les soutiendra lors des coups durs de la vie - perte d'emploi, séparation, maladie -, des événements qui ont plus de risque de se produire qu'une agression dans la rue par un inconnu.

Marilyne a décidé de faire les deux.

Quand elle enfile son judogi pour ses séances d'entraînement de judo aiki ju-jitsu, un art martial combinant des notions de combat et d'autodéfense, la jeune femme de 26 ans doit faire preuve d'humilité, de discipline et de concentration.

« C'est un sport exigeant et plutôt masculin, explique-t-elle. Ça me donne confiance en moi, surtout l'aspect autodéfense : si je marche seule le soir et que je croise des gens louches, je ne me sens pas en danger. »

« Je n'ai pas besoin d'un homme pour me protéger », ajoute-t-elle avec un sourire.

Marilyne possède la discipline nécessaire pour pratiquer les arts martiaux, qui lui donnent cet aplomb, et adopte la même attitude face à l'argent : elle gère ses deniers avec rigueur pour ne pas être vulnérable s'il lui arrive un pépin.

À la fin de son bac universitaire, en 2012, ses dettes totalisaient 12 000 $. Trois ans plus tard, elle avait tout remboursé.

Bien sûr, elle a eu la chance de décrocher un emploi dans la fonction publique peu après la fin de ses études, alors que certains de ses amis doivent se contenter de boulots précaires et mal payés. Mais elle aurait pu partir en virées de magasinage avec ses premiers chèques de paie, acheter une auto neuve, des meubles design, sortir au resto.

Elle a plutôt remboursé son prêt étudiant le plus vite possible. Et quand ça a été fait, elle a continué à mettre de côté la somme qui servait à rembourser son prêt étudiant - 200 $ par mois -, ce qui lui donne maintenant un coussin financier de près de 5000 $.

« Ça me donne un sentiment de sécurité. J'ai assez d'argent pour subvenir à mes besoins. Ça va super bien avec mon chum, mais il y a tellement de séparations que ça pourrait nous arriver aussi. » - Marilyne

« L'indépendance financière, j'y tiens mordicus. Jamais je ne veux dépendre de quelqu'un d'autre. Je ne dormirais pas sur mes deux oreilles si mes économies et mes avoirs dépendaient d'une relation avec un homme. »

UN FONDS « VA TE FAIRE FOUTRE »

Il y a quelques semaines, un billet publié sur le site américain The Billfold a enflammé les réseaux sociaux féministes et même simplement féminins. L'auteure Paulette Perhach y explique l'importance pour les jeunes femmes de se constituer un « Fuck Off Fund » - littéralement, un coussin financier permettant de dire aux autres d'aller se faire foutre, plutôt que de dépendre d'eux.

Elle raconte l'histoire d'une jeune femme qui termine ses études, décroche son premier emploi, emménage avec son copain et veut profiter de la vie, en sortant avec ses amis et en se payant des vêtements à la mode, à crédit.

Or, quand son copain se met à la dénigrer et à être violent avec elle, elle n'a pas les moyens de déménager, parce qu'elle n'a aucune économie et que les mauvaises créances ont entaché son crédit. Quand son patron se met à la draguer et à avoir des gestes déplacés à son endroit, elle ne peut se permettre de démissionner ni de porter plainte contre lui, au risque de perdre son emploi.

Pour éviter de se retrouver dans le rôle de la victime, les jeunes filles doivent commencer leur « Fuck Off Fund » dès leur premier chèque de paie, en « continuant à vivre comme des étudiants cassés, en roulant dans une Civic vieille de 10 ans, même quand le parechoc est arraché », en magasinant dans les friperies et les ventes de bric-à-brac, en prenant un deuxième emploi et en remplaçant les sorties au resto par des repas partagés chez les amis.

« Vous accumulez de quoi vivre pendant six mois. Si votre petit ami vous traite d'idiotte, vous pouvez lui répondre qu'à la prochaine insulte, vous le quittez. [...] Si votre patron essaie de vous peloter, vous lui dites '' fous-moi la paix, salaud ! '' et allez le dénoncer au service des ressources humaines. Que le système vous protège ou non, vous aurez de quoi assurer vos arrières. »

ÉPARGNECINQ ÉTAPES POUR GARNIR SON COUSSIN FINANCIER« Épargner ? Impossible, je n'ai pas les moyens », diront plusieurs. Vous pensez que vous êtes trop serré financièrement ? Attendez de recevoir une tuile sur la tête, ce sera encore pire ! À moins que vous suiviez ces conseils pour constituer votre fonds d'urgence.

1. Un budget

Le budget permet de comprendre exactement ce qui se passe avec votre argent. Combien dépensez-vous en cafés au lait ? En repas sur le pouce ? En babioles à 3 $ à la pharmacie, d'où vous ressortez toujours avec des achats imprévus ? Suivre son argent à la trace permet de réaliser l'ampleur des « petites » dépenses qui, additionnées les unes aux autres, expliquent les fins de mois difficiles. Ou les postes budgétaires qui accaparent une portion trop grande de vos ressources.

2. Des objectifs

Pour vous motiver, ayez un but précis. Un coussin financier, une maison, un voyage, une retraite à l'abri du besoin... Votre coussin financier devrait représenter l'équivalent de trois mois de dépenses courantes (six mois pour les pigistes), pour que vous puissiez respecter vos obligations financières en cas, par exemple, de perte d'emploi.

3. Des choix

La vaste majorité des gens a des revenus limités, alors que les occasions de dépenser sont infinies. Il faut évidemment faire des choix. Quelles dépenses vous en donnent le plus pour votre argent ? Une bouteille de vin supplémentaire, un énième chandail, votre abonnement au câble vous apportent-ils vraiment plus de bonheur, compte tenu de ce qu'ils coûtent ?

4. L'épargne automatique

Faites faire un virement à chaque paie vers un compte d'épargne. Les sommes amassées peuvent être placées dans un CELI et/ou dans un compte donnant des revenus d'intérêts, mais elles doivent être accessibles en cas de besoin. Pour accélérer le processus, vous pouvez y déposer votre remboursement d'impôt ou d'autres crédits fiscaux, les revenus d'heures supplémentaires ou le remboursement des dépenses réalisées dans le cadre de votre emploi.

5. Évitez le crédit

Le crédit ne devrait pas servir à vous permettre de vivre au-dessus de vos moyens. Si vous ne pouvez rembourser le solde de votre carte de crédit chaque mois, réservez-la aux urgences. D'ailleurs, si vous avez un solde impayé, remboursez-le en priorité, avant même de penser à épargner.

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L'ARGENT PLUS TABOU QUE LE SEXE

Le site Ton Petit Look est animé par des jeunes femmes qui aiment les vêtements, la bouffe, les sorties. Elles ont publié un livre l'automne dernier, qui porte comme sous-titre : Guide pour une vie adulte (genre) épanouie.

On y traite, dans un style direct et sans détour, de mode, de cuisine, de déco, d'amour, de sexe et... d'argent. On passe de « Choisir des meublesvintage » et « Faire l'amour avec une fille » à... « Comment gérer ses dettes ».

Marie-Eve Jarry, qui a rédigé la section sur le budget, ne craignait-elle pas que les lectrices sautent ses pages en apercevant des termes comme CELI, déficit, assurance, consolidation et cote de crédit ? Même si on fait de gros efforts pour rendre ces concepts digestes, en parlant par exemple de dépenses « nice » et « poches ».

« C'est sûr que c'est pas mal moins glamour. En fait, l'argent est sans doute plus tabou que le sexe, répond la jeune femme. Avec notre groupe de blogueuses, on parle vraiment de tout, mais rarement d'argent. »

« Mais si je me fie à ce que je vois autour de moi, c'est essentiel qu'on en parle plus. »

« GRATTEUSE »

Marie-Eve a été élevée par un père comptable et une mère ennemie du gaspillage, qui lui ont appris très tôt l'importance de l'épargne. Mais dans son entourage, elle est souvent témoin de l'attitude désinvolte des jeunes adultes envers l'argent.

« Certains ne paient pas leur compte de carte de crédit parce qu'ils sont trop serrés, sans aucune idée des conséquences sur leur cote de crédit », illustre-t-elle.

« Quand je dis que j'attends les soldes pour faire des achats, que je cherche des articles moins chers et que je feuillette les circulaires avant de faire l'épicerie, je passe pour une gratteuse. » - Marie-Eve Jarry

Il y a un manque criant d'éducation financière, dénonce-t-elle. « Les gens n'ont aucune idée de la façon de faire un budget. »

« Pour l'avoir fait, je peux vous assurer que ça a aussi quelque chose de rassurant quand il faut faire face à des obligations. Parce que l'attitude YOLO*, ça fait son temps assez vite », écrit Marie-Eve dans le livre. (*YOLO : You Only Live Once - on ne vit qu'une fois. Attitude de ceux qui veulent profiter de la vie maintenant sans se préoccuper de l'avenir.)

« C'est clair que l'autonomie des femmes passe par l'épargne. Pour être libre de faire les choix nécessaires, il faut avoir la latitude financière », renchérit l'économiste Carole Vincent, qui a fait plusieurs études sur l'autonomie économique des femmes. Ses recherches concluent notamment que les connaissances financières des femmes sont encore plus limitées que celles des hommes.

Malheureusement, l'épargne est une habitude qui se perd, alors que l'endettement gagne du terrain. Si sa paie était versée une semaine en retard, un Québécois sur trois aurait du mal à respecter ses obligations financières, et un sur cinq aurait du mal à trouver 2000 $ pour faire face à un imprévu, selon un récent sondage de l'Association canadienne de la paie.