Sébastien est déchiré.

« J'ai une copine depuis trois ans maintenant et le mariage est très important pour elle », confie l'homme de 35 ans. « J'aime beaucoup ma copine, elle a de belles valeurs, elle veut avoir des enfants. »

Il est enseignant depuis 10 ans et bénéficie du solide régime de retraite des employés de l'État. Là réside indirectement le problème.

Le mariage entraîne le partage à parts égales du patrimoine familial, dans lequel il faut considérer les épargnes en REER et les régimes de retraite.

« Mon fonds de pension est pour moi la seule chose que je ne veux pas partager, car je ne l'ai pas eu facile dans ma jeunesse. » - Sébastien

« Je viens d'un milieu défavorisé et j'ai dû payer mes études pour faire mon bac et ma maîtrise. J'ai fait des sacrifices, j'ai économisé tout au long de ma vie. »

Ce qu'il observe autour de lui n'amollit pas sa position.

« J'ai beaucoup de collègues de travail qui se sont fait laver dans des situations de divorce. »

PROTÉGER LE FONDS DE PENSION

Il fait un autre constat, tout aussi sombre : « Quand je regarde les statistiques, il y a peut-être une personne sur 50 qui passe toute sa vie avec la même personne. Il faut être réaliste, je pense. »

Il pose donc le problème ainsi.

« Est-ce qu'il y a une façon de protéger mon fonds de pension si un jour je dois divorcer ? Il est impossible pour moi d'envisager le mariage en sachant qu'un jour, toutes mes économies de vie seront prises à 50 % lors d'un divorce. »

Il fréquente son amie depuis trois ans. Elle habite avec lui depuis un an, dans le condo qu'il a acheté en 2012.

Sébastien gagne environ 70 000 $ par année. Il contribue pleinement depuis huit ans au régime de retraite des enseignants.

Son amie, âgée de 31 ans, touche un salaire de 35 000 $, sans régime de retraite.

Ils songent à acheter une maison ensemble.

« Je vendrais mon condo pour acheter et bâtir avec elle », dit-il.

Le condo, payé 250 000 $ il y a trois ans, vaut environ 300 000 $, estime-t-il. Le solde hypothécaire s'élève à 200 000 $.

Sur ces 100 000 $ de capital résiduel, Sébastien consacrerait 50 000 $ à la mise de fonds pour la nouvelle propriété.

Son amie appliquerait le même montant, avec l'aide de ses parents, de manière à verser ensemble une mise de fonds de 20 %.

« C'est une année émotive pour moi, je suis en deuil en même temps. Ma mère est décédée l'été dernier et j'ai hérité d'un terrain avec un chalet. »

Il projette de démolir le vieux chalet et d'ériger une nouvelle maison. Il y consacrerait les autres 50 000 $ tirés de la vente de son condo, ainsi qu'une somme supplémentaire que sa mère lui a léguée. Il estime qu'il resterait sans doute 40 000 $ à emprunter pour réaliser ce projet.

Sébastien détient quelques autres épargnes, « un peu de CELI, un peu d'actions », décrit-il.

« J'ai appris que la partie qu'on investit dans les REER peut être prise à 50% dans un divorce, alors j'investis moins dans les REER. » - Sébastien

Pourtant, « je ne veux pas être égoïste ! », assure-t-il. « Quand ta blonde habite chez toi et gagne moins, je suis ouvert à payer un peu plus dans le quotidien. »

Sa voix est tendue par l'émotion. « Je trouve ça vraiment perturbant. Je pense beaucoup à ça depuis les derniers mois, parce que j'ai la pression du mariage.

« Si vous pouviez me sortir de mon bourbier ! »

PORTRAIT

SÉBASTIEN

35 ans

Enseignant, bénéficie d'un régime de retraite à prestations déterminées

Revenu : environ 70 000 $

Condo

Valeur de 300 000 $

Solde hypothécaire : 200 000 $

Quelques épargnes en CELI

Héritage de sa mère

Chalet, valeur inconnue

Legs en argent

SON AMIE

31 ans

Revenu : 35 000 $

Aucun régime de retraite

PROJETS 

Mariage et achat d'une propriété

TOUT NE PEUT ÊTRE PERDU

Sébastien veut éviter de céder la moitié de son fonds de retraite en cas de divorce.

Sur ce point, sa cause se présente plutôt mal.

« Il n'y a pas moyen de s'en sortir », assène la notaire Guylaine Lafleur, de Bachand Lafleur groupe-conseil. La loi est sans ambiguïté : les fonds de retraite et les épargnes en REER des conjoints sont pris en compte dans le calcul du patrimoine familial.

Ce n'est qu'au moment du divorce que les conjoints pourront s'entendre, si tous les deux le souhaitent, sur un partage différent de celui prévu par la loi. « C'est là que les conjoints peuvent y renoncer. »

Les conjoints pourraient-ils renoncer préalablement au partage du patrimoine familial, au moment du mariage, par exemple ? Aucune ouverture de ce côté non plus.

« On ne peut pas renoncer au patrimoine familial à l'avance, ça n'aurait aucune valeur légale. » - Guylaine Lafleur, notaire

UN PARTAGE

Cela dit, si jamais un divorce survenait, Sébastien ne céderait pas, comme il semble le penser, la moitié de la rente de retraite qu'il touchera à 65 ans.

Au moment du divorce, sa conjointe « aurait droit à 50% de la valeur accumulée durant le mariage », indique Me Lafleur.

Sébastien cotise depuis huit ans à son régime de retraite. Supposons qu'il se marie prochainement et qu'un divorce survient après 12 ans. Au moment du divorce, il aurait donc contribué pendant 20 ans à son régime de retraite. Toutefois, seules les années de mariage seront considérées aux fins du calcul. Les huit années de participation avant le mariage en seront exclues, soit « 8/20 de la valeur actuarielle de la rente », précise Me Lafleur.

Du 12/20 partageable, la moitié reviendrait à sa conjointe.

Supposons que la valeur actuarielle de la rente, au moment du divorce, est établie à 120 000 $. De ces 120 000 $, une part de 12/20 est incluse dans le patrimoine familial, soit 72 000 $.

Le patrimoine familial est divisé en deux entre les conjoints. Sur ces 72 000 $, 36 000 $ seraient donc attribués à la conjointe de Sébastien.

LE RÈGLEMENT

Comment cette part est-elle versée ? Voilà un autre point qui pourra peut-être atténuer les tourments de Sébastien.

La somme due peut être retirée du fonds de pension de Sébastien et versée dans un Compte de retraite immobilisé (CRI) au nom de sa conjointe.

Sa caisse de retraite se trouve donc amputée, ce qui diminuera en conséquence la rente qu'il touchera à sa retraite, mais après le divorce, il continuera à y contribuer sans rien devoir à son ex-conjointe.

Toutefois, si Sébastien le préfère, cette créance peut être acquittée avec des REER. Le versement pourrait se faire également avec des actifs hors REER.

« Il y a alors des calculs d'équivalence à faire, parce que l'épargne en REER et l'épargne hors REER n'ont pas la même valeur. » - Guylaine Lafleur, notaire

Sébastien aurait ainsi la satisfaction de savoir que son fonds de retraite est intact, « mais il va finir par payer la même chose ».

LA FUTURE PROPRIÉTÉ

Sébastien et sa conjointe prévoient se procurer une maison, qui sera incluse dans le patrimoine familial, donc partageable.

Les 50 000 $ pour la mise de fonds apportés par Sébastien, issus de la vente de son condo, seraient exclus du partage. Même chose pour les 50 000 $ versés par sa conjointe, s'ils lui ont été donnés par ses parents. Ils sont donc sur un pied d'égalité.

« Si madame a un prêt de 50 000 $ de ses parents, elle n'aura pas une exclusion de 50 000 $ », indique cependant Me Lafleur.

En effet, ce prêt serait remboursé durant l'union et serait de ce fait inclus dans le patrimoine familial.

Dès lors, « ce ne serait pas vraiment moitié-moitié ».

LE CHALET

Les résidences secondaires font partie du patrimoine familial.

Le terrain et le chalet hérités de sa mère en seraient toutefois exclus, pour l'une ou l'autre des raisons suivantes : c'est un héritage et la propriété lui appartenait avant le mariage.

Mais Sébastien veut abattre le vieux chalet pour construire une nouvelle maison. Si elle est construite et entièrement payée avant le mariage, elle sera exclue du patrimoine familial.

Que se passe-t-il si Sébastien la construit après le mariage ? Elle sera payée en bonne partie avec le legs en argent provenant de son héritage et les 50 000 $ issus de la vente de son condo. La part correspondante sera donc exclue du patrimoine familial.

Il songe toutefois à emprunter 40 000 $ pour boucler le budget de construction. Cet emprunt, remboursé durant le mariage, fera partie du patrimoine familial, tout comme la plus-value de la propriété qui lui sera attribuable.

REER

Sébastien cotise le moins possible à son REER et favorise plutôt le CELI, pour réduire la part dévolue au patrimoine familial.

Il aurait pu cotiser à son REER sans danger - façon de parler - depuis qu'il travaille : seules les cotisations au REER durant le mariage sont prises en compte.

Alors, se marier ou pas ?

« Ça devient une question de valeur : quelles concessions est-on prêt à faire pour avoir la vie qu'on souhaite avec la femme qu'on aime ? »

Seul Sébastien peut y répondre.

49 (MAL)CHANCES SUR 50 DE ROMPRE ?

« Il y a peut-être une personne sur 50 qui passe toute sa vie avec la même personne », nous dit Sébastien. Sa vision est très largement pessimiste.

L'indice synthétique de divortialité sur 50 ans au Québec s'établit pour 2008 à 49,9.

En termes moins poétiques mais plus clairs, on prévoit que 49,9 % des mariages célébrés en 2008 se concluront par un divorce d'ici le cinquantième anniversaire de mariage.

En termes encore plus simples : un mariage conclu en 2008 a une chance sur deux de finir tôt ou tard en divorce. Un mariage célébré en 2015 ferait vraisemblablement face à un risque du même ordre de grandeur.

Cet indice avait atteint un sommet de 54,0 en 1995, puis un second pic de 53,6 en 2003, pour connaître ensuite une baisse légère mais constante jusqu'au 49,9 de 2008, date des dernières données disponibles. Statistique Canada a cessé depuis de compiler les données de Justice Canada.