Tout juste âgée de 30 ans, Émilie est fermement décidée à organiser sa vie.

« J'ai quitté mon boulot dans le domaine parapublic, que j'occupais depuis que j'étais étudiante, pour être travailleuse autonome dans mon champ d'études », explique-t-elle.

Depuis juin, elle travaille pour un unique client - une manière d'emploi autonome à temps quasi complet.

« L'an dernier, j'étais déjà partiellement pigiste. J'ai sauté au plafond quand j'ai vu le montant de mes impôts. Je ne veux pas de mauvaise surprise cette année ! »

Elle tente d'épargner la moitié de son revenu, pour ne plus être prise de court.

Ce surplus s'accumule dans son compte chèque, ce qui rend difficile la mesure exacte de ses épargnes.

« Je souhaite m'ouvrir un compte épargne pour payer mes impôts, et aussi mettre des sous de côté pour l'achat d'une propriété. »

Mais voilà : quel compte d'épargne ?

« On m'a dit qu'ouvrir un compte épargne en ligne était un jeu d'enfant. Quelle bonne blague ! En cliquant sur l'onglet "Ouvrir un compte", j'ai cinq options ! Épargne, intérêt élevé, stable REER, CELI... » - Émilie

Un clic sur CELI : « Huit options pour CELI seulement ! »

« C'est quoi, l'épargne rachetable ? Je dois racheter mes propres sous ? Le placement garanti lié aux marchés, c'est comme les légumes, c'est plus cher hors saison ? »

Sur ce fond d'humour, un constat :  « Je n'y comprends rien ! »

PROJET MAISON

« Pour l'instant, je vis seule dans un trois et demie à Montréal, dit Émilie. Mon amoureux et moi aimerions bien investir dans un duplex et habiter le rez-de-chaussée. »

Ils situent le plafond (du prix) à 400 000 $.

Son copain, qui occupe un emploi stable et bien rémunéré, est déjà propriétaire d'un petit condo en bonne partie payé. Il n'aurait donc pas de difficulté à verser sa part de la mise de fonds.

Pour Émilie, c'est une autre histoire.

« J'ai eu la chance de me faire payer les études par mes parents. Je paie ma carte de crédit au complet chaque semaine. Je n'ai donc aucune dette, ce qui n'est pas peu dire. » - Émilie

Ses épargnes totalisent environ 7500 $, dont près de la moitié est dévolue aux impôts pour ses revenus autonomes de 2015.

On lui a suggéré d'encaisser les 10 000 $ accumulés dans le régime de retraite de son ancien employeur et de les verser dans un REER, en prévision d'un RAP pour l'achat d'une première propriété.

« Un wrap, comme dans emballage ? »

PORTRAIT DE LA SITUATION

Émilie, 30 ans

Salaire brut par semaine (avant impôts) : 700 $

Accumulation dans le régime de retraite de son ancien employeur : 10 000 $

Épargne, dont la réserve pour impôt : 7500 $

Dettes : aucune

Pas de voiture

DÉPENSES MENSUELLES

Loyer : 585 $

Électricité : 54 $

Téléphone : 29 $

Internet : 35 $

Transport : 45 $

Alimentation : 265 $

Autres dépenses : 300 $

COURAGE, ÉMILIE !

« Il faut qu'Émilie réoriente sa stratégie financière en fonction de son nouveau statut d'emploi », commente David Paré, planificateur financier et conseiller en placement chez Desjardins Gestion de patrimoine.

Il nous semble entendre Émilie lui répondre : « Ah bon, j'avais une stratégie financière, moi ? »

En effet, son statut de travailleur autonome va lui demander une solide discipline dans la gestion de ses revenus et de ses dépenses - « et je crois qu'elle l'a déjà », dit le conseiller.

Il lui recommande néanmoins de consulter un comptable pour bien gérer ses dépenses de travailleuse autonome déductibles d'impôt - frais d'utilisation d'une partie de son logement, frais de communications, déplacements, fournitures de bureau, amortissement du matériel informatique, etc.

LA RÉSERVE POUR L'IMPÔT

Si Émilie réussit à épargner 50 % de son revenu, elle aura accumulé 17 500 $ après un an.

Avec un revenu annuel estimé à 35 000 $, David Paré évalue son taux d'imposition à 28,5 %. « Il faut donc qu'elle budgète environ 6000 $ d'impôt pour son année », indique-t-il.

« Ça nous apporte une bonne nouvelle :  elle a un surplus de liquidités d'environ 11 000 $. »

Son impôt pour 2015 est déjà couvert par les 7500 $ qu'Émilie détient dans son compte chèque.

La fortune !

Pas si vite : les sains préceptes de planification financière recommandent un fonds d'urgence équivalent à trois mois de salaire. Dans le cas d'Émilie, ce coussin de sécurité doit avoir un moelleux d'environ 6000 $.

À raison de quelque 1500 $ d'épargne par mois, elle aurait accumulé cette rembourrure en quatre mois.

REER OU CELI ?

Pour conserver cette épargne, Émilie devra encore se dépatouiller avec les produits de placement. Plutôt que se perdre dans les arborescences des sites bancaires, David Paré lui suggère de prendre le chemin de sa succursale habituelle.

Reste à savoir quoi demander.

Première question : REER ou CELI ?

« Je vois moins d'avantages pour elle à cotiser à son REER. Quand je regarde son taux d'impôt actuel, il y a de bonnes probabilités que son taux d'imposition futur soit plus élevé. Elle économiserait moins d'impôts en cotisant maintenant à son REER que ce qu'elle aura à verser dans 35 ans. » - David Paré, conseiller en placement chez Desjardins

C'est souvent le cas pour les travailleurs autonomes, ajoute-t-il.

Va donc pour le CELI.

ÉPARGNE À COURT TERME

Deuxième question : quel type de placement ?

Émilie ne doit pas se laisser impressionner par la créativité débridée du marketing financier. Qu'elle oublie l'épargne rachetable à terme liée au marché à fraîcheur garantie.

« Elle doit trouver un véhicule de placement qui va être sécuritaire et liquide », avise notre planificateur.

En d'autres mots, il lui faut des placements qui ne sont pas soumis aux soubresauts des marchés, dont elle peut faire des retraits en tout temps et sans pénalité.

« Toutes les institutions ont un compte d'épargne CELI, suggère-t-il. Ce sont souvent des placements qui tournent autour de 1 %. »

ÉPARGNE-PROJET

Une fois que la réserve pour l'impôt et que le fonds d'urgence seront accumulés, Émilie sera en mesure d'épargner 10 000 $ par année pour d'autres fins.

Dans quel véhicule de placement ? « Tout va dépendre de l'horizon de son projet », répond le planificateur. « Si c'est un projet réalisable d'ici deux ans, restons très prudents. Si le projet est à moyen ou long terme, disons dans quatre à six ans, on pourrait alors utiliser un produit très prudent avec un potentiel de rendement supérieur, par exemple un fonds commun équilibré avec une faible portion d'actions. »

OBJECTIF DUPLEX

Émilie et son amoureux souhaitent acquérir un duplex dont ils occuperaient un appartement.

Pour un immeuble de 400 000 $, il faudra une mise de fonds de 20 %, soit 80 000 $, pour éviter l'assurance prêt hypothécaire de la SCHL. Une mise de fonds de 5 % (20 000 $) entraînerait une prime de 13 680 $ avant taxes, calcule-t-il.

Si l'achat est partagé également à deux, Émilie et son amoureux devront mettre chacun 40 000 $.

« Pour Émilie, il y a moyen, à raison de 10 000 $ par année, de se rapprocher de ces 40 000 $. » - David Paré

Son ami possède déjà un condo, dont la vente procurerait sans problème sa part de la mise de fonds.

Pour faciliter l'accumulation de la mise de fonds d'Émilie, l'immeuble pourrait être acquis en parts inégales, 40 % pour Émilie et 60 % pour son ami. Sa part de la mise de fonds s'abaisserait alors à 32 000 $.

RAP ET RÉGIME DE RETRAITE ?

Malheureusement, Émilie ne pourra pas transférer dans un REER les fonds accumulés dans le régime de retraite de son employeur gouvernemental, dans l'objectif d'utiliser le RAP pour la mise de fonds. Dans le cas d'un tel régime, les fonds doivent être transférés dans un compte de retraite immobilisé (CRI), où un RAP n'est pas permis.

De toute manière, un travailleur autonome devrait être circonspect avec le Régime d'accès à la propriété : « J'hypothèque mon avenir plutôt que mon immeuble », énonce David Paré.

En outre, il serait plus simple et plus sûr qu'Émilie laisse ses fonds dans ce régime de retraite.

Il ajoute un dernier conseil : « Si elle déménage avec son ami, qu'ils achètent une propriété ou non, il y a toujours une convention de vie commune à prévoir. Mieux vaut le faire au début, pendant que ça va bien. »