Pierre travaille dans la toundra, au Nunavik, depuis des années. Les espaces désertiques du Grand Nord lui plaisent, mais ce Montréalais d'origine descend dans le « Sud » régulièrement, histoire de faire le plein d'événements culturels et de visiter famille et amis.

C'est justement pour prendre congé du froid et de l'isolement qu'il s'est inscrit en 2010 au programme de congé à traitement différé de son employeur, une organisation gouvernementale. Pendant quatre ans, il a travaillé en touchant 80 % de son salaire. La cinquième année, il devait être libre, tout en continuant d'être payé à 80 %.

Mais quand est venu le temps d'en profiter, ce n'était pas le bon moment. Il y avait des changements au travail et Pierre a obtenu une promotion, avec une bonne augmentation de salaire.

La situation ne s'y prêtait pas non plus l'année suivante.

De report en report, les plans du célibataire de 54 ans ont changé.

« J'aimerais prendre ma retraite en décembre 2016. Je n'ai donc pas vraiment intérêt à prendre une année de congé si près de la retraite. » - Pierre

S'il ne prend pas son année sabbatique, ça signifie que son employeur devra lui remettre la somme qu'il a accumulée pendant ses années à 80 % de son salaire. En un seul paiement. Tout un magot : 65 000 $ avant impôts.

Pierre craint la facture fiscale qui accompagnera ce paiement, s'il le reçoit en même temps que son salaire de 114 000 $.

Il croyait pouvoir prendre son année sabbatique pour commencer sa retraite, mais c'est interdit par les règles du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), dont il bénéficie. Après son congé, il doit revenir travailler pendant une période au moins égale à celle de son absence.

Que faire alors ? Prendre son congé puis revenir travailler un an ? Cela repousserait son départ définitif à juin 2018.

« Ça pourrait être une façon d'apprivoiser la retraite, une année de pratique en quelque sorte », note-t-il.

Une fois retraité, il prévoit revenir s'installer dans la région de Montréal. Il veut acheter un immeuble à revenus comportant deux appartements en location et un petit logement de type garçonnière, où il s'installerait. « J'ai déjà un chalet dans les Laurentides, alors j'ai seulement besoin d'un pied-à-terre à Montréal », explique-t-il.

Une année de congé lui permettrait de magasiner les propriétés et d'y faire les travaux nécessaires en prévision de son déménagement définitif.

Mais il se demande aussi si ce projet est une bonne idée, et quelle serait la meilleure façon de le concrétiser.

Pour l'aider à prendre sa décision, il cherche des réponses au sujet des impacts financiers des différents scénarios possibles.

PORTRAIT DE LA SITUATION

Pierre, 54 ans, gestionnaire

Revenu : 104 000 $, plus prime de 10 000 $ pour travail en région nordique (Nunavik)

Pendant ses quatre années à traitement différé : 68 000 $, soit 80 % de son salaire de 85 000 $.

Somme à recevoir si le congé sabbatique n'est pas pris : environ 34 000 $ net

POUR LA RETRAITE...

Bénéficie du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP)

Revenu prévu en cas de retraite à 55 ans : 40 000 $

Revenu prévu en cas de retraite à 57 ans : 47 000 $

REER : 167 000 $

CELI : 11 000 $

Obligations d'épargne : 34 000 $

Chalet d'une valeur de 110 000 $

Hypothèque de 27 000 $

Prêt-auto : 20 000 $

L'ARGENT OU LE TEMPS ?

Congé ou pas congé ? Si Pierre décide de se prévaloir de son année sabbatique, ça signifie évidemment moins d'argent dans ses poches. Surtout que le salaire auquel il renonce est maintenant beaucoup plus juteux qu'il ne l'était au moment de son adhésion au programme de traitement différé.

Mais s'il revient travailler ensuite, ça signifie une année de salaire supplémentaire.

Alors, choisira-t-il plus de temps libre ou plus d'argent ?

Le planificateur financier Gaétan Veillette, du Groupe Investors, a potassé les données financières de Pierre pour lui permettre d'évaluer les conséquences des différentes avenues qui s'offrent à lui.

RETRAITE EN DÉCEMBRE 2016

Si Pierre part aussi tôt qu'il le souhaite, la rente versée par son régime de retraite sera amputée de 7000 $ : il touchera environ 40 000 $ par année, plutôt que 47 000 $ s'il travaille jusqu'en juin 2018.

« Cette différence de 7000 $, ajustée selon l'inflation, se poursuivra pendant toute la retraite de Pierre. Souvent, les gens pensent seulement aux conséquences pour les années suivantes, mais ils oublient l'impact à long terme. » - Gaétan Veillette, planificateur financier

Avant son départ, il toucherait les 65 000 $ qu'on lui doit pour son congé non utilisé. En plus de son salaire de 114 000 $, son revenu totaliserait 179 000 $ pour 2016.

La facture fiscale serait salée : 70 230 $, soit 32 700 $ de plus que s'il n'avait touché que son salaire de base. Les 65 000 $ qu'on lui doit seraient donc amputés de moitié par les impôts à payer. Ce versement fait en sorte que Pierre se retrouve taxé au taux d'imposition le plus élevé pour cette année-là.

SABBATIQUE EN 2016-2017 ET RETRAITE EN JUIN 2018

S'il décide de partir en congé dans un an, Pierre reviendra ensuite travailler un an. Il devra donc retarder sa retraite. Mais il touchera une rente plus élevée à son départ et pour toutes les années suivantes : 47 000 $.

Pour les années 2016 et 2017, son revenu brut serait de 192 000 $, ou 128 424 $, après impôts.

RETRAITE EN JUIN 2018 SANS ANNÉE SABBATIQUE

S'il travaille sans prendre congé pendant encore trois ans, Pierre touchera son salaire au complet, évidemment, en plus de recevoir le remboursement de 65 000 $ pour son traitement différé non utilisé. Il touchera aussi sa rente de 47 000 $ au moment de la retraite.

Pour les années 2016 et 2017, son revenu brut serait de 293 000 $, ou 185 260 $ après impôts.

C'est le scénario le plus « payant », note M. Veillette. Mais dans ce cas aussi, il devra payer une somme importante en impôts.

Pierre n'a même pas l'option de placer dans son REER une partie de la somme qu'il recevra, pour réduire la facture fiscale : il a déjà utilisé au maximum ses droits de cotisation.

SUGGESTION : UTILISER LE CHALET

S'il choisit de prendre l'argent plutôt que le congé, Pierre aura une somme additionnelle d'environ 30 000 $ à consacrer à la mise de fonds pour acheter sa future propriété. En y consacrant en plus les 11 000 $ placés dans son CELI et les 34 000 $ qu'il possède en obligations d'épargne, le total atteindrait 75 000 $.

Pierre estime qu'il devra payer environ 500 000 $ pour une propriété répondant à ses critères. Sa mise de fonds représenterait donc 15 % du coût.

Quand ils ont moins de 20 % de comptant, les emprunteurs doivent payer une prime pour faire assurer leur prêt hypothécaire par la SCHL. Il manquerait à Pierre 25 000 $ pour éviter le paiement de cette prime, souligne Gaétan Veillette.

« S'il contracte un prêt hypothécaire de 425 000 $, il devrait payer une prime de 5312 $. En somme, cette prime d'assurance coûte 21,25 % du montant de 25 000 $ qu'il lui manque pour éviter l'assurance hypothécaire. » - Gaétan Veillette

Pour éviter cette dépense, M. Veillette suggère de réhypothéquer le chalet pour un montant de 25 000 $, ce qui augmenterait le prêt hypothécaire sur la résidence secondaire à 52 500 $, tandis qu'il devra emprunter 400 000 $ pour l'achat de son immeuble à revenus.

Si Pierre décide de prendre son congé sabbatique, il aura moins de liquidités pour l'achat de sa future propriété : seulement 45 000 $, soit 9 % de la valeur de l'immeuble qu'il compte acheter.

« Dans ce cas, l'assurance sur le prêt hypothécaire passera à 2,4 %, soit 10 920 $ », indique le planificateur financier. Un prêt hypothécaire de 455 000 $ aura évidemment des mensualités plus élevées : 2300 $ par mois, s'il est amorti sur 20 ans, comparativement à 2022 $ pour un prêt de 400 000 $.

Pierre devrait faire des prévisions budgétaires, en fonction de son revenu de retraite et des dépenses anticipées, avant de se lancer dans son projet d'achat d'une propriété. Il doit tenir compte de l'entretien et des taxes, ainsi que des revenus de location, qui pourraient être d'environ 1000 $ par logement par mois pour des 5 ½, soit 24 000 $ par année, selon le secteur. Même s'il a la chance d'avoir un bon revenu de retraite, il doit s'assurer que son plan de retour dans le « Sud » tient la route.