Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Martin Roberge, directeur général de la stratégie de portefeuille nord-américain pour la firme d'investissement boursier Canaccord Genuity.

L'ÉVÉNEMENT DE LA SEMAINE

La décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de laisser son taux directeur inchangé, ce qui prolonge l'incertitude sur les marchés financiers liée à la première remontée de taux. Cette incertitude explique en partie la nervosité des marchés depuis le début de l'année.

Par ailleurs, il est peu probable que s'atténuent bientôt les risques sur la croissance mondiale qui proviennent de la faiblesse des économies émergentes, en particulier la Chine.

Dans ce contexte, la Fed pourrait se retrouver encore en position attentiste le mois prochain, et même jusqu'en décembre.

Entre-temps, la crédibilité des communications et des prévisions de la Fed, un peu entachée ces derniers temps, demeure un risque supplémentaire pour les marchés financiers.

L'INDICATEUR À SUIVRE

L'évolution du taux de change du dollar américain par rapport aux devises des pays d'économie émergente.

Pourquoi ? Dans le passé, à chaque période de fortes secousses boursières suscitées par une faiblesse des économies émergentes, seule une stabilisation des monnaies de ces pays émergents s'est avérée l'antidote suffisant pour calmer les marchés.

Par ailleurs, le principal moyen pour ces monnaies émergentes de s'apprécier fut une dépréciation forcée du dollar américain avec une baisse de taux directeur de la Fed.

Cette fois-ci, la Fed ne peut pas réduire son taux directeur, déjà à zéro. Tout au plus, elle peut freiner l'élan du dollar américain en atténuant de façon marquée les attentes envers une remontée de taux.

Malheureusement, la Fed ne l'a fait que partiellement dans son énoncé de jeudi dernier. Pourtant, il devient primordial que le dollar américain se déprécie progressivement afin de stabiliser les devises de pays émergents.

OÙ INVESTIR ?

En obligations, je commencerais l'achat de titres de pays émergents afin de profiter de leur appréciation lorsque les banques centrales de ces pays baisseront leurs taux d'intérêt, dans le but d'atténuer la volatilité de leurs marchés et de revigorer leur croissance économique.

En actions, je miserais en partie sur un rebond éventuel des pays émergents et son impact haussier prévisible dans les secteurs des titres aurifères, des matières premières et des pétrolières intégrées sur la Bourse canadienne.

Pour l'autre partie d'un placement en actions, j'irais surtout vers l'Europe, où la valorisation des marchés boursiers et les perspectives de croissance des bénéfices des entreprises sont nettement plus attrayantes que sur la Bourse américaine.

LES PLACEMENTS À ÉVITER

Les obligations gouvernementales au Canada.

Parce que les écarts de taux de rendement entre le Canada et les États-Unis se sont creusés beaucoup trop en défaveur des obligations canadiennes. Ces écarts sont aussi un reflet de la « récession technique » de l'économie canadienne et l'absence d'une hausse de taux pour l'avenir prévisible.

En Bourse, je suggère d'éviter ces temps-ci des placements en actions à dividendes élevés comme les entreprises de pipelines, de services publics (utilities) et de télécommunications, ainsi que les fiducies de revenu immobilières.

Cette catégorie de titres boursiers sera vulnérable si les écarts (de taux) déjà très élargis entre les obligations canadiennes et les obligations américaines devaient se rétrécir soudainement.

LE PLUS SOUS-ESTIMÉ

C'est la marge de manoeuvre en politique monétaire (NDLR les baisses de taux) qui est encore disponible parmi les banques centrales des pays d'économie émergente.

Il est faux de prétendre que ces banques centrales n'ont plus de munitions pour stimuler leur économie et, du coup, influencer la croissance mondiale.

Alors que dans les pays d'économie développée, les taux directeurs sont près de zéro, il ne faut pas négliger qu'ils demeurent autour de 5 % dans les pays d'économie émergente. 

Dans ce contexte, considérant aussi que ces économies émergentes pèsent près de 70 % de la croissance mondiale, il est prématuré de prévoir un fort repli de l'économie mondiale et le déclenchement d'un cycle baissier en Bourse.

L'EXPERT DE LA SEMAINE

Martin Roberge dirige la stratégie de portefeuille nord-américain pour la firme Canaccord Genuity, à Montréal. Son expérience sert aux conseillers en placement de la firme ainsi qu'à leurs clients investisseurs, pour la gestion de quelque 10 milliards en actifs investis.

Avec plus de 20 ans d'expérience en valeurs mobilières, M. Roberge fait partie de la sélection annuelle des « analystes étoiles » de la firme Brendan Woods International.

Martin Roberge détient le titre d'analyste financier certifié (CFA), ainsi qu'une maîtrise et un baccalauréat en finances des Universités de Sherbrooke et Bishop.