Le coeur a ses raisons que la raison essaie de financer. À 48 ans, Caroline est tombée amoureuse en France. Et de la France. Elle veut y travailler, puis y prendre sa retraite à 60 ans.

Pour l'instant, Caroline travaille dans la fonction publique québécoise, où elle bénéficie du régime de retraite des employés du gouvernement - le RREGOP.

En 2015, profitant d'un an de congé à traitement différé, rémunéré à 75 % de son salaire normal de 79 000 $, elle vit en France avec son amoureux français.

Elle travaille dans sa petite entreprise pour un salaire annuel d'environ 25 000 euros. Son retour au travail au Québec est prévu en janvier 2016.

Pour terminer le remboursement de son congé à traitement différé, il lui restera encore 26 mois à travailler à temps plein, à 75 % de son salaire.

« Si je décide plutôt de démissionner, il me faudra rembourser à l'employeur l'équivalent de la moitié d'une année de salaire. » - Caroline

Au plus tard en 2018, elle veut donc s'installer définitivement en France pour travailler avec son ami.

SES ÉCONOMIES

Elle possède dans la région de Montréal une propriété évaluée à environ 340 000 $, sur laquelle court une créance de 170 000 $.

La location de l'appartement du sous-sol lui rapporte un revenu brut de 6840 $ par année. Son fils unique habite pour l'instant le rez-de-chaussée.

Elle détient 155 000 $ en REER, 31 000 $ en CELI et 23 000 $ dans un fonds de travailleurs.

Pour l'instant, elle habite avec son conjoint français, qui ne lui demande aucun loyer. Elle n'a pour ainsi dire que la nourriture à payer.

« J'estime être capable d'avoir une retraite confortable avec 55 % de mon revenu annuel de 79 000 $. »

Si elle n'a pas de loyer à payer, précise-t-elle, ce qui implique que l'entente avec son conjoint se perpétue.

DE NOMBREUSES QUESTIONS AUXQUELLES RÉPONDRE

« Quelle somme annuelle dois-je épargner pour atteindre mon objectif 60, en supposant que je vivrai jusqu'à 85 ans ? »

Si elle prend sa retraite à 60 ans, elle aura travaillé une dizaine d'années en douce terre de France.

Son projet soulève de nombreuses - et complexes - interrogations.

Aura-t-elle droit à une rente de retraite similaire à la RRQ ?

Peut-elle cotiser à son CELI même si elle n'a pas de gain annuel au Canada ?

Quel impôt doit-elle payer sur ses gains en France ?

Si elle prend sa retraite en France, aura-t-elle droit au plein montant de la prestation de la Sécurité de la vieillesse canadienne ? À combien s'élèvera la rente de la RRQ ? Comment et dans quel pays sera-t-elle imposée ?

PORTRAIT DE LA SITUATION

Caroline, 48 ans

Divorcée au Québec

Un fils qui achève ses études

Salaire annuel au Québec : 79 000 $

Salaire avec traitement différé de 59 000 $ en 2015.

En 2015 : habite en France avec un conjoint français.

En 2015 : salaire annuel de 25 000 euros en France

Projet : travailler en France jusqu'à 60 ans et y prendre sa retraite.

Épargnes

REER : 155 000 $

Fonds de travailleurs : 23 000 $

CELI : 31 000 $

Propriété : valeur de 340 000 $

Hypothèque : 170 000 $

Revenus locatifs de l'appartement au sous-sol : 6840 $

DOUCE FRANCE !

Le projet de Caroline est exaltant, émotif, mais hautement spéculatif.

Daniel Laverdière, directeur principal, planification financière et service-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859, a fait le voyage avec elle.

Caroline estime pouvoir vivre à la retraite avec 55 % de son salaire actuel de 79 000 $ - si elle n'a pas de loyer à payer, précise-t-elle.

À partir de 60 ans, en 2027, elle aurait donc besoin d'un revenu brut d'environ 55 000 $, si on suppose un taux d'inflation de 2 % par année.

La femme de 48 ans prévoit une fin de vie à 85 ans.

« Si la vie est belle et qu'elle est amoureuse, elle va vivre plus longtemps. L'espérance de vie d'une femme est de plus de 90 ans. » - Daniel Laverdière, de la Banque Nationale

Il est plus sûr de viser 95 ans.

Pour éviter de multiplier les scénarios, Daniel Laverdière suppose que Caroline retournera en France dans deux ans, après avoir remboursé le congé à paiement différé qu'elle achève - ce qui est le scénario financier le plus sûr.

De 50 à 60 ans, Caroline estime pouvoir vivre avec le salaire que lui versera son amoureux français.

Sur quels revenus de retraite pourra-t-elle compter ?

LA PSV

Caroline touchera sa prestation de la Sécurité de la vieillesse (PSV) à partir de 67 ans, en 2034.

Pour empocher l'entière prestation, il faut avoir résidé 40 ans au Canada à partir de 18 ans.

Si Caroline habite en France de façon permanente à partir de 50 ans, elle aura vécu un peu plus de 30 ans au Canada et aurait donc droit environ aux trois quarts de la prestation complète.

En appliquant un taux d'inflation annuel de 2 % sur la prestation actuelle, notre conseiller estime qu'elle touchera en 2034, à 67 ans, une prestation annuelle d'environ 7400 $.

RRQ ET RÉGIME DE RETRAITE

En supposant que Caroline s'installe définitivement en France à 50 ans, Daniel Laverdière calcule qu'en 2032, sa rente de la RRQ s'établirait à 65 ans à 885 $ par mois, pour un revenu annuel de 10 600 $.

Son plus récent relevé de régime de retraite des employés du gouvernement indique que si Caroline avait mis fin à son emploi le 31 décembre 2012, elle aurait eu droit à une rente de retraite annuelle de 14 700 $. En ajoutant quelques années de travail supplémentaires, notre planificateur évalue qu'elle toucherait en 2032, à 65 ans, une rente annuelle de 27 000 $, qu'il indexe ensuite à raison de 1 % par année.

LA RENTE FRANÇAISE

Si elle travaille en France de 50 à 60 ans, Caroline aura sans doute droit à une rente du régime de retraite général.

Sur la base de ces 10 années, Daniel Laverdière estime qu'elle aurait droit à 67 ans à une rente annuelle de 4475 euros, soit 6176 $ en dollars actuels. En 2034, compte tenu de l'inflation, Caroline toucherait l'équivalent de 8997 $.

Daniel Laverdière recommande à Caroline de bien comprendre ce programme et de faire confirmer ces montants en France avant toute décision.

LA MAISON

Que faire avec la maison ? « Peut-être qu'il serait plus rentable de la louer, si elle touche un loyer élevé, mais pour tous les problèmes que ça va occasionner, elle préférera peut-être simplement la vendre, constate-t-il. Il faut prendre le temps d'y réfléchir. »

Il pose en principe qu'elle la vend, ce qui lui procure un capital supplémentaire de 170 000 $, une fois le solde hypothécaire remboursé. Il y applique un rendement imposable de 3 %.

Sur tous les revenus imposables, qu'ils soient français ou canadiens, notre expert applique un impôt estimatif de l'ordre de 40 %.

REER

Caroline détient actuellement 178 000 $ en REER et fonds de travailleurs, plus 31 000 $ en CELI. Suffisent-ils aux besoins de retraite de Caroline, ou devra-t-elle épargner encore d'ici son soixantième anniversaire ? Pour le savoir, notre expert suppose qu'elle n'y ajoute rien et que ce capital fructifie à raison de 3 % par année.

Comme elle veut prendre sa retraite à 60 ans et que les régimes de rentes ou de retraite ne donnent leur pleine mesure qu'à 65 ou 67 ans, elle devra largement puiser dans ses épargnes durant les cinq premières années.

OÙ TOUT CELA NOUS MÈNE-T-IL ?

Dans ces conditions et avec ce rythme de vie, Caroline peut atteindre 95 ans avec une légère marge de manoeuvre : il lui resterait encore un peu plus de 200 000 $ d'épargne. La somme semble imposante, mais il s'agit de dollars de 2062 !

De surcroît, la moindre modification des paramètres crée des vagues qui se répercutent longuement.

Ainsi, si Caroline ne peut toucher la rente de retraite française, ses épargnes s'épuisent vers 90 ans.

Si la vente de la maison procure 50 000 $ de moins, les épargnes sont pratiquement épuisées à 95 ans.

Mais c'est l'estimation du coût de vie qui est le paramètre le plus critique. S'il se révèle qu'elle a besoin de 70 % de son salaire actuel plutôt que des 55 % prévus, ses épargnes seront à sec à 80 ans.

« Son plan de retraite est très fragilisé par la présence ou non d'un loyer gratuit. Elle devrait porter une grande attention à l'estimation de ses dépenses. » - Daniel Laverdière

Une erreur d'appréciation pourrait avoir de grandes répercussions sur ses projets français. « Elle s'apprête à laisser un emploi sûr et un régime de retraite généreux. C'est une décision à mûrir longuement. »

En d'autres mots, la solidité de sa retraite dépendra en partie de la solidité de sa relation.

Toute épargne qu'elle réalisera au cours des deux prochaines années au Canada et des 10 années en France ajoutera à sa marge de manoeuvre.

OÙ PAYER SES IMPÔTS ?

Quelles sont les conséquences d'une résidence sous des cieux étrangers ? Questions et réponses pour éviter les orages fiscaux.

Où dois-je payer mes impôts ?

Au Canada, ce n'est pas la citoyenneté, mais la résidence fiscale qui détermine le pays où les principaux impôts seront payés, souligne Natalie Hotte, expert-conseil en planification financière et fiscalité chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

On n'est plus considéré comme résident canadien lorsqu'on a coupé suffisamment ses liens avec le Canada. Ce sont les faits qui en font la démonstration.

Par exemple : y dispose-t-elle d'un foyer d'habitation permanent ? Y réside-t-elle habituellement ? Est-ce l'endroit où ses liens économiques et personnels sont les plus étroits ?

Que se passe-t-il quand on quitte le Canada ?

Lorsqu'on cesse d'être résident canadien, il faut préparer dans l'année une dernière déclaration de revenus dans laquelle on indique la date précise de la cessation de résidence canadienne.

Le fisc suppose que vous avez vendu ce jour-là certains biens à leur juste valeur marchande... et que vous les rachetez aussitôt au même prix. C'est ce qu'on appelle une disposition réputée ou présumée, qui permet au fisc d'imposer les gains et bénéfices réalisés à cette date (imposition du gain en capital réalisé sur les actions que vous détenez dans un compte non enregistré, par exemple).

Certains biens sont cependant exemptés de cette mesure, notamment les immeubles détenus au Canada et les droits accumulés dans les régimes complémentaires de retraite et les régimes enregistrés (REER, FERR, CELI...).

Une fois à l'étranger, faut-il que je paie quand même des impôts au Canada ?

Eh oui... Le non-résident canadien doit tout de même payer de l'impôt canadien sur certaines « sources de revenus canadiennes », par exemple sur des revenus d'emploi ou d'entreprise gagnés au Canada. « Pour certains revenus, il faudra faire une déclaration de revenus en bonne et due forme tandis que pour d'autres, seule une retenue d'impôt de non-résident sera applicable », indique Natalie Hotte.

Qu'est-ce qui se passe avec mes REER et mes CELI ?

Les REER et FERR demeurent enregistrés, et les revenus qu'ils procurent « demeurent à l'abri de l'impôt tant que les prestations ne sont pas versées au rentier », indique Natalie Hotte.

Dans le cas du CELI, le non-résident conserve son CELI et continue à profiter de l'exonération d'impôt au Canada sur les revenus.

Puis-je cotiser à mon CELI même si je n'ai pas de gain annuel au Canada ?

Eh non. Le non-résident ne peut pas verser de nouvelles cotisations à son CELI et aucuns nouveaux droits de cotisation ne s'accumulent tant qu'il ne sera pas considéré à nouveau résidant canadien.

Est-ce que je vais toucher mes revenus de retraite canadiens, comme la PSV et la RRQ ?

Oui, Caroline aura droit à la rente de la RRQ, calculée sur ses revenus de travail au Québec - donc, pour l'essentiel, sur ceux gagnés jusqu'à son départ pour la France.

« Une pension ou une rente payée par un pays étranger ne réduit en aucune façon le montant de la rente de retraite du Régime de rentes du Québec », informe le site de la RRQ.

Pour toucher la prestation de la Sécurité de la vieillesse, un non-résident doit avoir résidé 20 ans au Canada après son 18e anniversaire. Il faut avoir vécu au Canada 40 ans après son 18e anniversaire pour avoir droit à la pleine prestation. À défaut, la prestation sera calculée en proportion des années de résidence au Canada.

Comment mes revenus de retraite canadiens seront-ils imposés au Canada ?

Les revenus de retraite - prestations gouvernementales, rentes d'un régime complémentaire, retrait du REER, rente de la RRQ, par exemple - font l'objet de retenues d'impôt à la source à taux fixe, généralement 25 %. Cet impôt étant automatique, il n'y a pas de déclaration de revenus à produire... sauf exception, comme toujours avec les subtilités fiscales. « En effet, il sera possible pour certains revenus de choisir de produire une déclaration canadienne et ainsi payer l'impôt sur ces revenus d'une autre façon », précise notre conseillère.

Mes revenus de retraite canadiens seront-ils imposés en France ?

Selon les conventions fiscales signées avec la France, les rentes et pensions versées au Canada ne sont imposables qu'au Canada.

Est-ce que je risque d'être imposé deux fois ?

Selon les conventions fiscales signées entre le Canada et la France et le Québec et la France, les impôts payés au Canada ou au Québec sur des gains et des revenus qui sont également imposables en France seront pris en compte dans le calcul de l'impôt français afin d'éviter une double imposition.

Est-ce que je vais accumuler une rente de retraite en France ?

Si Caroline travaille en France, elle aura à verser les charges sociales courantes, qui lui donneront droit aux services sociaux, tels les soins de santé et la rente de retraite. En vertu de l'entente Québec-France en matière de sécurité sociale, elle aurait droit à la rente de retraite et même à la rente de conjoint survivant.