Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale, division des marchés financiers.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

C'est la saison des bénéfices des entreprises au deuxième trimestre, sur la Bourse américaine surtout, qui s'avère meilleure que prévu.

Alors que les attentes misaient sur une contraction de près de 6 %, il semble plutôt que nous nous alignions pour une croissance positive.

Cette performance étonne dans un contexte de forte appréciation du dollar américain, qui peut nuire à la rentabilité et à la compétitivité des entreprises américaines sur les marchés mondiaux. De plus, la performance des économies américaine et mondiale avait été décevante durant la première moitié de l'année.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

C'est la valeur du dollar américain par rapport aux autres devises d'importance dans l'économie mondiale parce que la monnaie américaine demeure de loin la devise la plus utilisée dans le commerce et les transactions financières internationales.

Son appréciation déjà considérable, si elle s'amplifie, pourrait fragiliser les marchés financiers internationaux. Une appréciation continue du dollar américain pourrait aussi accentuer l'écart entre le tonus retrouvé de l'économie des États-Unis par rapport aux autres principales économies du monde.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Dans le contexte actuel où les ramifications d'une majoration possible du taux directeur de la Réserve fédérale américaine - une première en 10 ans - sont méconnues, il faut s'attendre à des marchés financiers volatils pour les prochains mois.

C'est pourquoi je suggère une stratégie de placement plus défensive avec une répartition d'actifs équipondérée entre les obligations et les actions, tout en gardant un niveau rehaussé d'encaisse, jusqu'à 20 %, afin de pouvoir profiter d'occasions de placement qui pourraient survenir lors de la prochaine remontée des taux par la Fed.

Sur la Bourse canadienne, je m'attends à ce que la dépréciation du dollar canadien face à son voisin américain se poursuive et s'avère bénéfique pour les entreprises exportatrices.

Aussi, le rendement en dividende offert par les actions des banques canadiennes - autour de 4 % - est intéressant dans le contexte où le ralentissement de l'économie canadienne demeure sectoriel, plutôt que généralisé.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

C'est surtout du côté des économies émergentes, en attendant que le dollar américain se stabilise sur le marché des devises après une appréciation considérable.

Pourquoi ce lien ? Parce que dans la plupart de ces économies émergentes, comme la Chine, le Brésil, le Chili et la Russie, la combinaison d'un dollar américain fort et d'une volatilité accrue des cours aux matières premières ajoute une pression de conjoncture négative sur des économies qui étaient confrontées à des problèmes structuraux découlant de la mauvaise gouvernance et de la corruption.

Par conséquent, tant que cette conjoncture troublante ne sera pas éclaircie, je considère qu'il faut demeurer très prudent avant d'investir davantage dans des placements liés à ces économies émergentes.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

C'est la possibilité d'une croissance beaucoup plus forte qu'attendu de l'économie américaine en seconde moitié d'année - de l'ordre de 4 % à 5 % dès le 3e trimestre - qui se répercuterait aussi favorablement dans l'économie mondiale.

Dans ce contexte, la Réserve fédérale américaine (FED) pourrait décider dès septembre d'une majoration de son taux directeur. Dans les marchés financiers, la réaction des investisseurs et l'impact sur les multiples (de valeur) déjà élevés sur la Bourse américaine dépendront évidemment beaucoup de la teneur des propos et des motifs de la Fed.

Néanmoins, j'estime que les marchés financiers pourraient être surpris par la vigueur retrouvée de l'économie américaine. Elle s'annonce déjà par le rebond substantiel de certains indicateurs-clés comme la demande de crédit (nouveaux emprunts) dans les banques américaines et le taux de propriété dans le marché résidentiel.

STÉFANE MARION EN BREF

À titre d'économiste et de stratège en chef des marchés financiers à la Banque Nationale, Stéfane Marion est le principal auteur des analyses de conjoncture qui servent surtout à la clientèle d'investisseurs institutionnels de la banque, mais aussi à son réseau de conseillers en placement et de gestionnaires de portefeuilles pour sa clientèle de particuliers investisseurs.