Liberté, efficacité, frugalité. Ce pourrait être la devise de la communauté Early Retirement. Il s'agit d'un mouvement émanant principalement des États-Unis, mais également présent au Québec, bâti autour de l'idée de prendre sa retraite très tôt : vers 35 ans ou après 10 ans de travail. Comment font-ils ?

LIBERTÉ 35/45

Adam Jones prévoit prendre sa retraite à 40 ou 45 ans. Mais c'est un objectif peu ambitieux, dit-il. Une fois rendu là, le Montréalais de 32 ans compte arrêter de travailler à temps plein dans le domaine des technologies de l'information pour voyager durant plusieurs mois par année. Il envisage entre autres un pèlerinage au Japon.

Bien que son plan paraisse extravagant, il n'a rien d'extraordinaire en comparaison de celui d'autres personnes associées à la communauté Early Retirement. Ce qu'elles ont toutes en commun : la volonté de prendre leur retraite tôt. Très tôt. Plusieurs visent les 35 ans. D'autres se donnent 10 ans de travail.

Leur mot d'ordre, c'est d'épargner massivement. Adam Jones, lui, met de côté 40 % de son revenu net depuis trois ans. Il gagne 50 000 $ annuellement et vise une cagnotte totale de 300 000 $ à 500 000 $.

Jacob Lund Fisker, le blogueur américain du site Early Retirement Extreme, a épargné 75 % de sa paie pendant quelques années, ce qui lui a permis de prendre sa retraite à 33 ans.

Les objectifs du Québécois type sont bien différents. L'âge moyen prévu pour prendre sa retraite dans la province est de 61 ans, selon Question Retraite. Seulement 4 % des travailleurs de 25 à 44 ans comptent prendre leur retraite avant 55 ans.

C'est sûrement parce qu'ils économisent peu. Le taux d'épargne personnelle s'élevait à 2,7 % au Québec en 2013, selon Statistique Canada.

EFFICACITÉ, FRUGALITÉ

Mais qui sont-ils, ces super épargnants ? Un sondage de Mr. Money Mustache, sans doute le blogueur le plus connu dans la communauté, semble indiquer que les ingénieurs et les travailleurs du domaine des technologies sont surreprésentés.

Leur vocabulaire laisse transparaître leur formation. « Il faut optimiser ses dépenses en fonction de son style de vie », conseille Tim Stobbs, ingénieur chimique de jour et blogueur de soir vivant à Regina. 

Tout est dans l'efficacité. Il faut maximiser le bonheur. On peut donc se permettre de dépenser pour les choses qui sont importantes pour nous, dit le père de deux enfants dans la trentaine. Mais il faut être frugal et faire mieux pour tout le reste.

« Mes factures d'électricité m'apportent peu de joie et de bonheur », constate Tim Stobbs, qui compte prendre sa retraite dans la quarantaine. Il faut donc minimiser cette dépense, soit en consommant moins, soit augmentant son efficacité énergétique.

Plusieurs aspirants jeunes retraités ont laissé tomber le câble. Ils pédalent jusqu'au travail. Ils cuisinent plutôt que d'aller au restaurant, comme Mathieu, un technicien industriel de Montréal. Ils achètent d'occasion. Ils ont souvent un grand bagage de compétences qu'ils ont acquises de façon autodidacte. Nombre d'entre eux rénovent leur maison et réparent leur voiture.

Pour eux, il s'agit rarement de sacrifices. « Avec un peu de pratique, tu peux préparer la plupart des plats mieux que dans un restaurant », dit Greg, ingénieur logiciel de la région d'Ottawa qui prévoit prendre sa retraite en 2017, à 41 ans.

LIBERTÉ

Le sentiment de liberté est l'un des principaux facteurs qui poussent les gens à considérer une retraite précoce. Être libre de l'anxiété reliée aux dettes, être libre de travailler uniquement sur des projets stimulants sans avoir à tolérer un patron. C'est l'avis de Mr. Money Mustache.

Dans les faits, plusieurs retraités précoces continuent de travailler à leur guise, souvent comme travailleurs autonomes, de façon ponctuelle. Mais ce n'est plus du travail. Ce sont des passe-temps payants. C'est l'indépendance financière. L'argent, c'est du surplus.

Pour eux, la retraite n'est pas une fin. C'est un moyen. C'est une façon de réaliser des projets, des rêves. C'est le résultat d'un style de vie optimisé pour être heureux.

« Je ne resterai pas assis dans une chaise berçante pendant 40 ans. Ce que je veux, c'est écrire. J'ai un projet de roman. Je veux aussi rédiger un livre sur les finances personnelles pour les boomers », dit Tim Stobbs, ingénieur chimique qui habite à Régina.

L'idée, dans cette vision de la retraite, ce n'est donc pas de fuir le marché du travail. « Il faut se diriger vers quelque chose, dit Tim Stobbs. C'est motivant. »

Les calculs et les moyens pour y arriver découlent de ces motifs. Mais pour ça, il faut savoir ce qu'on veut, ce qui nous rend heureux dans la vie, dit le Montréalais Adam Jones. « C'est ça le plus difficile. »

PENSER À LA RETRAITE AVANT LE TRAVAIL

À 26 ans, Alyssa Mitchell terminera bientôt sa maîtrise en sciences biologiques à l'Université de Montréal. Son plan de retraite est clair. Si elle demeure célibataire et que l'échelle salariale dans son domaine reste stable, elle pourra quitter le marché du travail vers 40 ans.Qu'est-ce qui l'attire vers l'idée de planifier une retraite si jeune ? La liberté, l'indépendance, financière, la capacité de retomber sur un plan B si quelque chose tourne au vinaigre d'ici là.

« Je veux une sécurité. Je n'ai pas de conjoint, je vis seule et je n'ai pas de soutien parental. S'il arrive quoi que ce soit, je ne peux me fier qu'à moi-même. »

Plusieurs personnes ont besoin d'un chèque de paie régulier comme une horloge suisse, déposé exactement aux deux semaines, remarque Alyssa. « Si leur gestionnaire change, et que la relation tourne mal, ils sont condamnés, coincés, misérables, car ils n'ont pas la liberté financière de chercher ailleurs. »

Une fois retraitée, elle compte mettre ses énergies dans la couture, l'aquarelle et la musique, des loisirs pour lesquels elle a aujourd'hui peu de temps. Elle veut s'impliquer dans des projets de science citoyenne.

Alyssa désire particulièrement donner de son temps aux Guides du Canada.

« Les meilleures unités, celles où on retrouve les activités les plus amusantes, sont dirigées par des mères au foyer. Ça prend au moins une personne qui ne travaille pas à temps plein pour faire un bon travail. »

20 000 $ PAR ANNÉE

Pour réaliser son plan, Alyssa compte vivre avec environ 20 000 $ par année, soit à peine plus que ce qu'elle utilise maintenant.

Elle cuisine beaucoup, ne possède pas de télé et n'a pas l'internet sur son téléphone. Contrairement à l'étudiant stéréotypé, Alyssa ne boit pas et ne fait pas la fête non plus. « Ça ne m'intéresse pas. Le gain financier est un bonus. » Elle a l'intention de continuer à vivre ainsi.

« Je ne ressens pas le besoin de m'équiper en neuf, de changer quoi que ce soit. Mon appartement me satisfait », dit Alyssa.

Cela devrait lui permettre d'économiser en masse. Dans le domaine de l'enseignement au niveau secondaire ou collégial, où elle veut travailler,  les salaires annuels oscillent généralement entre 45 000 $ et 75 000 $.

Depuis qu'elle est à la maîtrise, son salaire annuel oscille entre 20 000 $ et 25 000 $. Elle tire des revenus de plusieurs sources : bourses, subventions, tâches d'assistance à l'enseignement.

Pour l'instant, elle est donc loin d'être riche. Malgré tout, raconte Alyssa, plusieurs personnes ont l'impression qu'elle est à l'aise financièrement parce qu'elle n'a pas d'ennuis d'argent et ne discute jamais de finances personnelles.

« Contrairement à d'autres étudiants, je ne m'inquiète pas de la date à laquelle je serai payée. On croit probablement que mes parents me soutiennent. Je doute qu'ils soient au courant de mes choix de vie. »

UN BUDGET ANNUEL POUR ÉPARGNER

Budget familial pour deux adultes et deux enfants (Chiffres de Greg, ingénieur logiciel de la région d'Ottawa)

Revenu familial après impôts : 85 000 $

Dépenses totales : 35 000 $

• Impôts fonciers : 6000 $

• Maison et services : 8300 $

• Épicerie : 6800 $

• Exercice : 5400 $

• Voiture : 4400 $

• Loisirs : 2400 $

• Vêtements : 700 $

• Restaurants : 620 $

• Matériel scolaire : 240 $

Épargne : 50 000 $

Proportion du revenu familial épargné : 58 %

DES CONSEILS POUR EMPILER LES ÉCONOMIES

La retraite très tôt, une idée charmante ? Voici quelques conseils pour franchir les barrières qui pourraient freiner l'atteinte de son objectif.

ÊTRE ÉCONOME, PAS GRATTEUX

Toutes ces histoires d'épargne extrême peuvent évoquer des images de Séraphin Poudrier chérissant son argent au détriment d'à peu près tout, y compris ses proches. Comment être super économe sans passer pour un « gratte-cenne » ?

D'abord, il faut éviter d'imposer un coût aux autres, écrit le blogueur Mr. Money Mustache. Ensuite, on peut acheter des produits plus chers s'ils sont durables.

Enfin, ne pas négliger la générosité. « S'il y a une fête pour l'ami de mon fils, j'apporterai un cadeau. Si un ami rénove, j'irai l'aider. Je ne ménage pas mes efforts », dit Greg, de la région d'Ottawa.

GÉOARBITRAGE

Vivre dans un endroit où chaque dollar vaut plus en raison d'un taux de change avantageux permet de faire plus de chemin avec son argent à la retraite. 

De même pour un travailleur : vivre là où le coût de la vie est faible et donner un service au moyen de l'internet, comme de la programmation, dans un pays où les salaires sont élevés. C'est du géoarbitrage.

« C'est ce que j'ai fait. J'ai épargné mon argent au Royaume-Uni et je suis venu vivre à Montréal », dit Robert Wringham, auteur d'Escape Everything !, un livre à paraître en 2016 traitant de l'idée de vivre sans travailler.

L'ACCÈS PRIME LA PROPRIÉTÉ

Robert Wringham est minimaliste. Il possède 32 objets. Pour lui, avoir accès aux biens dont il a besoin est plus important que de les posséder.

« Il est facile de se débrouiller quand on réalise qu'il est préférable d'utiliser des services publics plutôt que d'avoir des possessions, dit-il. On est déjà taxés pour ces services. Autant les utiliser. »

La bibliothèque, par exemple, semble être l'institution de divertissement de prédilection de beaucoup de futurs jeunes retraités.

« Plutôt que d'acheter un film ou un livre, on l'emprunte », dit Mathieu, un technicien en génie industriel de Montréal qui compte arrêter de travailler vers 45 ans. 

Ça évite également de transformer la maison en entrepôt, voire en capharnaüm.