Pour attirer la clientèle fortunée, les institutions financières rivalisent d'imagination. Mais, contrairement à la croyance populaire, les services de gestion de patrimoine ne s'adressent pas qu'aux mieux nantis. Tour d'horizon des services offerts.

LE CHEF D'ORCHESTRE  

Pour décrire ce qu'est la gestion de patrimoine, An-Lap Vo Dignard, conseiller en placement et vice-président, Financière Banque Nationale, utilise l'analogie suivante : « La gestion de patrimoine, c'est avant tout d'avoir un chef d'orchestre », dit-il.

Votre patrimoine, ce n'est pas simplement votre REER ou votre portefeuille de placements. Il est plutôt constitué de tous vos biens. Ainsi, vous devez vous doter de plusieurs services afin de le faire grandir et de le protéger de la façon la plus efficace possible.

Le chef d'orchestre est celui qui aura une vision globale de votre bilan et qui saura vous entourer des spécialistes dont vous pourriez avoir besoin.

La gestion de patrimoine consiste à gérer les deux côtés de votre bilan, soit l'actif et le passif.

« Bien gérer la dette est souvent aussi important que de réaliser de bons placements », estime An-Lap Vo Dignard, conseiller en placement et vice-président, Financière Banque Nationale.

Et c'est sans compter les services d'assurances, la fiscalité, la planification successorale, et peut-être aussi le transfert éventuel de votre entreprise.

Plus le patrimoine sera important, plus il sera complexe de le transférer à la génération suivante, constate M. Vo Dignard. « C'est pourquoi il faut s'appuyer sur de bons services fiduciaires », dit-il. Ces services comprennent entre autres la garde des valeurs, la création de fiducies testamentaires et l'exécution du testament.

Par ailleurs, l'expert de la Financière insiste pour dire que la gestion de patrimoine, c'est pour tous. « Il ne faut pas dire que je n'ai pas assez d'argent. Le patrimoine n'est jamais assez petit pour ne pas être géré », dit-il.

Pour lui, l'objectif de la gestion de patrimoine n'est pas d'abord de rendre les clients plus riches. Il consiste d'abord à protéger ce qu'ils ont gagné et ensuite à obtenir le meilleur rendement sur leurs avoirs.

AUSSI POUR LA CLASSE MOYENNE

L'image pour beaucoup de gens est que la gestion de patrimoine est le service haut de gamme parmi tous les services bancaires. Mais en fait, elle s'adresse à tous ceux qui se sentent concernés, explique Guylaine Dufresne, directrice principale, Investissement et planification financière, Banque Laurentienne.

Plusieurs événements peuvent soudainement créer un patrimoine que vous devrez gérer. Par exemple, la vente d'une maison, d'une entreprise, ou encore un héritage. « La gestion de patrimoine n'est pas réservée qu'aux gens fortunés, mais elle s'adresse également à la classe moyenne », dit M. Dufresne.

La gestion de patrimoine consiste à établir l'actif net et à bien gérer autant l'actif que le passif. « Cela va bien au-delà de la gestion des placements, dit-elle. Il faut aussi penser en termes de planification fiscale et successorale. »

Le point de départ sera d'établir les objectifs, explique-t-elle. « Il faut déterminer les besoins en revenus et ce que l'on désire laisser aux enfants », dit-elle.

Quand faut-il commencer ? Très tôt, surtout si le potentiel de revenus est élevé.

« L'avantage de commencer tôt, c'est que l'on pourra également se donner les moyens de réaliser différents projets, tel prendre une année sabbatique, ou faire des voyages, sans pour autant fragiliser les années suivantes », soutient Guylaine Dufresne, directrice principale, Investissement et planification financière à la Banque Laurentienne

Elle suggère la démarche suivante. D'abord, trouver la personne de confiance, généralement quelqu'un qui connaît tous les domaines de la planification financière. Puis, bien rassembler toutes ses choses (papiers) afin que le processus soit efficace. Enfin, procéder à l'élaboration du budget qui établira clairement les objectifs et les besoins.

Établir la valeur nette est l'exercice de base et, souvent, les gens sont surpris du résultat, explique Mme Dufresne. « Ils découvrent que leur situation est plus positive que ce qu'ils croyaient, ce qui devient un facteur très mobilisateur », dit-elle.

Et cela ne coûte pas cher, assure-t-elle. Si l'ensemble du dossier est relativement simple, le conseiller pourra tout faire lui-même. Si le dossier nécessite des connaissances plus approfondies, tels la planification financière, la fiscalité, l'investissement et le décaissement, la plupart de ces services sont fournis gratuitement. La rémunération de la banque provient généralement de la vente de ses produits financiers.

INDÉPENDANCE FINANCIÈRE

La gestion de patrimoine est la démarche à suivre si votre objectif est d'atteindre une certaine indépendance financière, explique Alexander Tkachyk, vice-président, Planification financière, Groupe financier BMO.

« Elle comportera différents volets selon la situation de chacun », dit-il. Pour certains, il s'agira de s'attaquer aux dettes. Éliminer celles qui coûtent trop cher et optimiser l'utilisation des bonnes dettes, telle l'hypothèque. Pour d'autres, en phase d'épargne, il s'agira plutôt de maximiser le rendement des placements en fonction de la tolérance au risque et de la fiscalité.

Dans tous les cas, il faut d'abord se doter d'une bonne planification financière. En somme, cela consiste à faire appel à un généraliste qui lui, après examen de toutes les facettes du patrimoine, déterminera les besoins et orientera les individus vers les bonnes personnes ressources, explique M. Thachyk.

Comment déterminer si vous avez besoin de services en gestion de patrimoine ? « Demandez-vous simplement quelle a été la performance de vos actifs, répond l'expert de la BMO. Si vous ne pouvez pas trouver la réponse précise, c'est que vous devez faire une importante introspection, et pour cela, vous avez probablement besoin d'aide. »

SERVICES SUR MESURE POUR CLIENTÈLE FORTUNÉE

La clientèle des départements de gestion privée des banques est en croissance. La concurrence est rude et tout est bon pour retenir ces clients fortunés et très courtisés. La gamme des services offerts est large et déborde des aspects de gestion de patrimoine. En voici un aperçu.

Si on en croit les banques, leur taux de rétention de cette clientèle triée sur le volet - il faut généralement avoir au moins 1 million d'actifs à investir - frôle les 100 %.

« Ce que recherchent ces entrepreneurs ou professionnels, souvent très occupés, c'est un guichet unique », constate Sophie Ducharme, vice-présidente fiducie et service-conseil Gestion privée 1859 de la Banque Nationale, où les conseillers doivent être joignables 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. 

Ces clients veulent un guichet unique pour la gestion de leur patrimoine, mais pas seulement : ils comptent sur un service personnalisé pour les aider à gérer leur vie quotidienne, des tâches les plus communes aux plus exceptionnelles. Et cela tout au long de leur vie et des événements qu'ils traversent. Même pour l'achat d'un condo en Floride, ils peuvent être accompagnés dans les différentes étapes par le Mouvement Desjardins par exemple. 

Pour les tâches administratives du quotidien, les clients fortunés aiment se faire aider. « On a une offre intégrée qui propose d'assurer leur gestion administrative : payer les factures, faire les acomptes provisionnels aux impôts, etc. Et on peut le faire pour le client, mais aussi pour sa famille proche, soit ses enfants et ses parents. Par exemple, on s'occupait de payer les factures de la mère d'un client et on s'est rendu compte que quelqu'un utilisait sa ligne pour des appels coûteux. On a averti la famille », explique Sylvain Thériault, vice-président directeur général de la gestion privée du Mouvement Desjardins, qui compte 80 employés et 1500 clients.

PAS DE LIMITE OU PRESQUE 

Dans la recherche du service le plus personnalisé possible, de nombreuses gestions privées offrent également un plus bien apprécié de ses clients : la conciergerie. « Les clients adorent et y font souvent appel », observe Sylvain Thériault, dont le groupe chargé d'assurer ce service - une vingtaine de personnes - est disponible 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. 

« Nous avons beaucoup de clients entrepreneurs qui sont très bons pour gérer leur société, mais n'ont pas toujours le temps de s'occuper de leurs finances personnelles », explique Sylvain Thériault.

Les clients peuvent demander... n'importe quoi ou presque. « Il y a peu de limites », lance Sophie Ducharme, dont la gestion privée offre également ce service. Organiser un voyage, une fête d'enfant, acheter des billets d'avion et établir un itinéraire de voyage, trouver un entraîneur personnel, un réparateur, un bijou rare, enlever une tache sur un tapis, rapatrier le corps d'un client mort à l'étranger, obtenir de l'aide juridique pour résoudre des disputes entre voisins, etc. 

En fait, les gestions privées prennent en charge la demande et se sont dotées d'un large réseau de fournisseurs qui rendent le service demandé. 

Le Mouvement Desjardins dispose même d'une équipe d'infirmières diplômées pour répondre aux questions des clients concernant leur santé : comprendre des résultats d'un examen médical, demander conseil en cas de symptômes divers, obtenir des informations sur la vaccination, etc.

Outre les services classiques de gestion de patrimoine - placement, gestion fiduciaire, services bancaires, crédit, transfert d'entreprise, planification financière, successorale -, les gestions privées offrent d'évaluer les oeuvres d'art, les caves à vin et s'occupent également des activités philanthropiques de leurs clients. « On peut les accompagner dans les dons planifiés (actions, police d'assurance, etc.), la création de fondations, etc. », souligne Sophie Ducharme, dont la gestion privée compte plus de 200 employés.

Pour le reste, les services sont ordinaires, mais adaptés à la clientèle et à ses réalités. Ainsi même la plateforme de placement du Mouvement Desjardins diffère de celle qui est accessible aux clients non fortunés. « Les types de placement ne sont pas les mêmes, et les coûts sont moindres », dit Sylvain Thériault.

SIX GRANDES TENDANCES

La population vieillit et les institutions financières qui fournissent les services en gestion de patrimoine doivent s'adapter aux besoins de leur clientèle. La gamme de services ne cesse de s'allonger. Néanmoins, certaines tendances lourdes se dégagent. En voici quelques-unes qui sont au coeur des préoccupations des experts du secteur.

LE CLIENT DOIT TOUT DÉVOILER

Bien que les clients viennent nous voir pour une raison, que ce soit les services bancaires, fiduciaires, d'investissements, ou de ventes d'entreprises, nous allons nous asseoir avec eux afin d'examiner leur situation globale, explique Jeffrey Lusher, vice-président et directeur régional, BMO Banque privée. « Ce qui nous guide, c'est l'aspect planification financière globale, dit-il. Lorsque le client a tout dévoilé de sa situation, on découvre des solutions à des problèmes dont le client ne connaissait pas nécessairement l'existence à l'origine », ironise-t-il. Le principe de cette approche est simple. Toutes les décisions doivent découler d'une bonne planification financière globale.

LA RÉPARTITION ET NON LA PERFORMANCE

Finie l'époque où l'on comptait sur un bon courtier qui allait nous permettre de sélectionner les meilleurs titres. Aujourd'hui, c'est la répartition des actifs et non plus la performance de chacun d'eux pris individuellement qui importe, explique Jeffrey Lusher. Place à la gestion synthétique. « L'avènement du concept indiciel et le développement rapide des fonds négociés en bourse (FNB) ont complètement changé la donne », dit-il. Grâce à eux, tout investisseur peut maintenant posséder un portefeuille parfaitement adapté à sa tolérance au risque et à ses objectifs de revenus. À long terme, la performance provient pour 80 % à 90 % de l'allocation d'actifs. La performance est donc devenue une commodité, selon M. Lusher.

TOUJOURS PLUS, MAIS POUR MOINS CHER

Le développement effréné de la capacité à s'informer des gens a bouleversé la relation entre fournisseurs et utilisateurs de services financiers, si bien qu'aujourd'hui le client s'attend à recevoir toujours plus à un coût moindre. Et ce phénomène va se poursuivre, croit Riccardo Magini, premier vice-président, Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Le client fortuné a souvent des préoccupations dont il est conscient, mais qu'il est incapable d'exprimer. La rencontre avec l'équipe de gestion patrimoine lui permettra de faire cette découverte, mais la forte concurrence entre les institutions financières pour s'accaparer cette clientèle fait en sorte que les coûts demeurent bas et sensiblement égaux d'une institution à l'autre, malgré que les besoins à satisfaire soient plus nombreux.

C'EST LA VALEUR AJOUTÉE QUI IMPORTE

Le service de courtage traditionnel était ce qui amenait la clientèle vers les courtiers en valeurs mobilières et les institutions financières, et qui était à la base de la rémunération. Mais avec l'arrivée des nouvelles technologies qui permettent aux clients de négocier leurs transactions financières eux-mêmes et à peu de frais, force est de constater que le courtage traditionnel va disparaître, explique Riccardo Magini. « L'institution financière est placée devant une nouvelle problématique où le client ne veut plus payer pour le transactionnel, dit-il. Il n'accepte de payer que pour la valeur ajoutée. » Et celle-ci provient de tous les autres services provenant des quatre piliers financiers regroupés, soit les services bancaires, les assurances, la planification financière et les valeurs mobilières.

ON VISE LES 40-50 ANS

Ce n'est pas simplement lorsque le patrimoine est totalement constitué que les besoins de gestion apparaissent. Cela arrive bien avant, et c'est pour cela que l'on s'intéresse à la clientèle des 40-50 ans, explique Cathy Duval, gestionnaire de portefeuilles et vice-présidente, Financière Banque Nationale. « C'est à cet âge que plusieurs, parce qu'ils sont en affaires ou chefs d'entreprise, ont besoin d'une planification financière qui leur permettra de découvrir entres autres les besoins en assurances pour protéger à la fois l'entreprise, les associés et la famille », dit-elle. De plus, c'est à cet âge qu'il faut s'attaquer à la planification successorale. « Il s'agit d'un sujet sensible auquel il importe de les conscientiser en les amenant d'abord dans la phase de réflexion », dit Mme Duval.

DES FRAIS D'HONORAIRES

Le monde des valeurs mobilières est en proie depuis quelques années à un changement important qui ne sera pas sans affecter celui de la gestion de patrimoine, explique Cathy Duval. Il s'agit du CRM 2, soit la deuxième phase de l'implantation du modèle de relation avec la clientèle pour tous les conseillers et représentants en valeurs mobilières. Le modèle apportera des changements importants aux règles de divulgation principalement en ce qui concerne les frais et les rendements. « Les clients connaîtront alors la rémunération réelle des conseillers en placement, et cela ne pourra qu'inciter plus de gens à se tourner vers la gestion de patrimoine et sa tarification sur la base d'honoraires et non de commissions », dit-elle.