Il ne reste que quelques jours pour confesser vos revenus au fisc. Devez-vous de l'argent ou recevrez-vous un remboursement ? Peu importe le résultat de l'opération, vous avez intérêt à être vigilant : les erreurs sont fréquentes, les informations, pas toujours claires, et un retard de paiement pourrait vous coûter cher en intérêts et pénalités.

LE TROU NOIR DES TRANSFERTS ENTRE CONJOINTS

Vous avez droit à un remboursement d'impôts, alors que votre conjoint doit en payer. En remplissant votre déclaration de revenus, vous demandez à Revenu Québec d'utiliser la somme qu'il vous doit pour payer la dette de votre conjoint. Logique !

Les couples qui choisissent cette option doivent toutefois être vigilants, et scruter attentivement les documents qu'ils recevront de Revenu Québec. Le fisc ne calculera peut-être pas immédiatement le montant transféré par le conjoint et demandera la totalité du paiement à celui qui a une dette. Si vous versez ce qu'on vous réclame, ce qui revient à payer en trop, ça pourrait être long avant que vous soyez mis au courant, et que vous receviez un remboursement.

C'est ce que Mariève Paradis a appris à ses dépens : elle a découvert il y a quelques semaines que Revenu Québec lui devait plus de 2000 $ depuis un an. Personne ne l'avait informée qu'elle avait payé cette somme en trop : elle l'a appris par hasard, en voulant obtenir confirmation qu'elle n'avait pas de dette fiscale, à la demande de son prêteur hypothécaire.

« Comment se fait-il que je n'avais pas été contactée ? Je l'aurais su quand ? Et maintenant, pourquoi suis-je obligée de courir après mon argent ? », s'insurge la jeune femme.

« Je viens de renouveler mon hypothèque, c'est clair qu'une telle somme m'aurait été utile ! Et Revenu Québec ne me paiera pas d'intérêts, alors que si c'était moi qui devais de l'argent depuis tout ce temps, ça m'aurait coûté cher en intérêts et pénalités. » - Mariève Paradis

Selon plusieurs experts habitués aux démêlés entre le fisc et les contribuables, cette situation illustre bien les lacunes de Revenu Québec quant aux communications avec les citoyens et à la transmission d'informations claires et compréhensibles.

« Les documents sont très difficiles à comprendre pour les gens ordinaires, alors si Revenu Québec fait une erreur, le contribuable n'a aucun moyen de s'en rendre compte, souligne Marc Bachand, professeur de fiscalité à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Ça exige tellement de temps et d'efforts pour s'y retrouver, on a l'impression qu'ils veulent décourager le contribuable pour qu'il laisse tomber le morceau. »

UNE DETTE PAYÉE EN DOUBLE

La mauvaise synchronisation des transferts entre conjoints a été portée à l'attention de Revenu Québec il y a quelques années par l'Association de planification financière et fiscale (APFF), dont les membres rapportaient plusieurs cas problématiques chaque année. Le fisc a modifié certaines procédures, mais des irritants persistent.

En avril 2014, le conjoint de Mariève Paradis a demandé dans sa déclaration de revenus que son remboursement de 2300 $ soit utilisé pour payer la dette de sa conjointe. Travailleuse autonome, elle devait plus de 6000 $ à Revenu Québec.

L'avis de cotisation qu'elle a reçu un mois plus tard s'élevait à 6390 $. Elle a payé cette somme, croyant qu'il s'agissait du résultat d'un nouveau calcul. Puis, plus de nouvelles.

En mars dernier, elle a tenté d'accéder à son dossier fiscal en ligne, pour prouver qu'il était en règle. Alors que son conjoint y est parvenu sans problème, Mme Paradis n'y arrivait pas. « J'ai téléphoné à Revenu Québec parce que j'avais besoin rapidement d'une confirmation pour mon institution financière », relate-t-elle.

« On m'a dit que c'était impossible d'envoyer cette confirmation par courriel, et que mon dossier n'était pas accessible en ligne parce qu'il était créditeur. J'ai demandé ce que ça signifiait, et la préposée m'a d'abord répondu qu'elle ne pouvait pas me le dire. » - Mariève Paradis

Après plus d'une heure au téléphone, à poser des questions et à se faire mettre en attente avant chaque réponse, la travailleuse autonome a fini par apprendre que Revenu Québec lui devait de l'argent, sans que l'on puisse lui préciser le montant.

Elle a dû se rendre dans un bureau de l'agence gouvernementale pour obtenir l'attestation demandée, et pour finalement être informée de la dette de 2112 $ que Revenu Québec avait envers elle. On lui a demandé de s'inscrire au dépôt direct pour pouvoir toucher son dû, après un délai d'au moins 30 jours.

Mme Paradis n'a pas pu savoir quand son argent lui aurait été remboursé si elle ne l'avait pas demandé. Aurait-il servi à payer son dû pour l'année 2014 ? « Pas nécessairement, m'a-t-on dit, puisque chaque année est considérée de façon indépendante », répond-elle.

PEU DE MOYENS DE SURVEILLER SES INTÉRÊTS

Mariève Paradis n'est pas la seule à faire face à un tel problème. « Des cabinets comptables se sont plaints du fait que Revenu Québec envoyait des avis de compte à payer sans tenir compte des transferts entre conjoints, souligne Nicolas Lemelin, professeur de fiscalité à l'UQTR. Une fois qu'ils enregistrent le montant transféré, ils devraient envoyer un nouvel état de compte. Mais Revenu Québec n'est pas très proactif pour informer les contribuables et rembourser les sommes qu'il leur doit. »

Si, en plus, il est impossible d'avoir accès à son compte en ligne dans ces circonstances, le contribuable a peu de moyens de surveiller ses intérêts.

Revenu Québec traite les déclarations de revenus et expédie les remboursements d'impôts très rapidement depuis que les documents lui sont transmis électroniquement, note la comptable Luce Morin, d'Activ services comptables et fiscaux, ce qui explique qu'un avis de cotisation est parfois envoyé avant que le transfert du conjoint ne soit connu.

« Ils devraient traiter les déclarations des deux conjoints en même temps, ce qui réglerait le problème. » - Luce Morin, comptable chez Activ services comptables et fiscaux

Chez Revenu Québec, on explique qu'une note est ajoutée à l'avis de cotisation indiquant que, lorsque la déclaration de revenus du conjoint sera traitée, le montant transféré sera pris en compte dans le calcul du solde à payer.

Et quand une somme excédentaire est payée, comme dans le cas de Mariève Paradis, pourquoi n'y a-t-il pas de remboursement ? Le dossier doit d'abord être analysé pour « s'assurer que le particulier n'a aucune dette envers Revenu Québec (autres systèmes) ou envers certains autres ministères ou organismes, que le paiement excédentaire n'est pas un acompte provisionnel, que le paiement n'a pas été effectué en paiement d'un avis de nouvelle cotisation dont l'émission est retardée, etc. », répond par courriel Geneviève Laurier, porte-parole de l'agence, qui ajoute que ces analyses exigent du temps.

Les vérifications peuvent prendre entre 120 et 180 jours, explique-t-elle. Il semble donc que Mariève Paradis ait attendu plus longtemps que la moyenne avant d'être remboursée. Revenu Québec lui versera des intérêts de 25,21 $, calculés à partir du 15 juin 2014, sur la somme qui lui est due.

La nécessité de faire ces vérifications explique que le contribuable se trouvant dans une telle situation ne peut avoir accès à son dossier en ligne, ajoute Mme Laurier.

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PRIS DANS LA MACHINE DU FISC

Réclamations gonflées, ajouts injustifiés d'intérêts, recouvrements illégaux, explications nébuleuses, intransigeance dans l'application des règles, délais indus pour verser des remboursements, dossiers incomplets, refus de faire des vérifications simples pour régler des problèmes... Année après année, le Protecteur du citoyen fait état des problèmes vécus par les contribuables dans leurs rapports avec Revenu Québec.

L'an dernier, le nombre de plaintes fondées à l'endroit du fisc provincial a diminué à 86, comparativement à 130 au cours de l'année précédente, un record. Mais l'organisme chargé de faire respecter les droits des citoyens face à la machine gouvernementale déplore tout de même « un manque d'écoute et de considération des demandes qu'adressent les citoyens à Revenu Québec », ainsi qu'une « attitude de fermeture et de rigidité ».

Son rapport annuel donne plusieurs exemples de ces problèmes, notamment des cas où des citoyens se sont fait demander de rembourser certaines sommes versées en trop, dans un délai de trois semaines, avec la menace de voir s'y ajouter des intérêts, alors que c'est Revenu Québec qui était responsable de l'erreur.

Les comptables et fiscalistes voient de nombreux cas semblables chaque année. Ils doivent souvent intervenir auprès des fonctionnaires pour faire corriger des erreurs et obtenir des explications sur les dossiers de leurs clients.

« Mais la plus grande partie de la population ne peut pas se payer les services d'un professionnel, note Me Christopher Mostovac, avocat en fiscalité du cabinet Starmino Mostovac. C'est un système tellement complexe, les gens qui sont seuls pour essayer de faire corriger une erreur se font écraser. »

ÉTAT DE COMPTE INCOMPRÉHENSIBLE

C'est l'un des principaux griefs de ceux qui ont affaire au système : il faut se lever de bonne heure, et idéalement être diplômé en finances, pour déchiffrer les documents envoyés par le fisc, pour comprendre les explications quand on téléphone et pour faire valoir ses droits si on estime être victime d'une erreur.

Un client de Me Caroline Desrosiers, du cabinet CD Legal, a récemment tenté de comprendre d'où venaient les 5000 $ réclamés par Revenu Québec, mais son relevé de compte est incompréhensible. Les problèmes ? Un solde est inscrit comme débiteur et créditeur en même temps ; des virements proviennent de « comptes de répartition », sans aucune indication de leur provenance - ils peuvent venir d'un autre ministère, mais impossible de le savoir ; des montants négatifs et des montants positifs apparaissant dans la colonne crédit de même que dans la colonne débit - s'agit-il de crédit négatif (donc un montant soustrait) ou de débit négatif (donc un crédit) ?

« Ça devient assez complexe pour une personne de comprendre comment les calculs ont été faits pour en arriver au solde dû, dont on ne connaît pas le vrai montant, vu la mention de crédit et débit en même temps », déplore l'avocate.

« On ne permet pas au contribuable de comprendre ce qui se passe avec son argent. Pourquoi un état de compte de Revenu Québec ne pourrait-il pas être aussi clair qu'un relevé bancaire ? » - Me Caroline Desrosiers, avocate au cabinet CD Legal

Autre élément de confusion : « Les paiements envoyés par un contribuable sont parfois utilisés pour payer autre chose, comme des acomptes provisionnels. C'est difficile à suivre », note la comptable Luce Morin, du cabinet Activ services comptables et fiscaux, dont les clients sont des travailleurs autonomes et des PME.

UN CHANGEMENT DE CULTURE

Des experts du cabinet de services financiers Richter ont démontré récemment, en suivant les dossiers de 40 PME ayant reçu des réclamations de Revenu Québec, que les sommes réclamées au départ étaient gonflées de 89 %. Dans la moitié des cas, les entreprises n'avaient en fait rien à payer.

Selon ces experts, les problèmes de communication et les informations embrouillées sont en partie responsables de ces erreurs. On dénonce aussi la culture au sein de l'appareil fiscal, qui entraîne « une judiciarisation inutile - et coûteuse pour tous - de différends qui, dès le départ, n'ont pas leur raison d'être », souligne le Protecteur du citoyen dans son dernier rapport annuel.

« Les vérificateurs fonctionnent avec des cibles de montants à récupérer, alors qu'ils devraient plutôt chercher à régler le plus de dossiers possible, de la façon la plus efficace possible », souligne Me Martin Delisle, avocat en litige fiscal au cabinet De Grandpré Chait. « Oui, il faut attraper les fraudeurs, mais on "attrape" beaucoup de gens honnêtes en même temps. »

Le fisc n'aura peut-être d'autre choix que de changer ses façons de faire, puisque le système de justice mise de plus en plus sur les règlements à l'amiable pour résoudre les litiges de façon plus rapide et moins coûteuse.

Relisez la chronique de Stéphanie Grammond sur la médiation fiscale et les réclamations gonflées de Revenu Québec.

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POUR ÉVITER DE PERDRE SA CHEMISE... ET LA RAISON

C'est le fouillis dans vos documents fiscaux ? Vous produirez votre déclaration de revenus en retard ? Vous ne comprenez pas ce que le fisc vous réclame ? Vous avez des dettes d'impôts ? Voici quelques trucs pour minimiser les dommages.

PAYEZ !

Même si vous ne connaissez pas la somme exacte que vous aurez à verser, envoyez un chèque dès que possible pour stopper le calcul des intérêts avant qu'ils ne soient trop élevés. « Si vous contestez les sommes réclamées, indiquez qu'il s'agit d'un paiement sous protêt », suggère Me Christopher Mostovac.

NÉGOCIEZ UNE ENTENTE

Si vous êtes incapable de payer, demandez une entente pour échelonner vos paiements. Vous pourriez être obligé de fournir une preuve de vos revenus et dépenses, explique la comptable Luce Morin. « Vous devez respecter l'entente et ne pas être en retard. Si on laisse traîner les choses, les problèmes commencent et nos comptes bancaires et autres actifs peuvent être saisis. »

LES ÉCRITS RESTENT

Quand vous recevez des explications d'un employé au téléphone, résumez-les par écrit et envoyez-les par courriel à Revenu Québec, pour avoir une preuve de ce qu'on vous a dit et afin que les informations soient inscrites au dossier.

LES ÉCRITS RESTENT (BIS)

Si vous ne pouvez obtenir une réponse précise en téléphonant au service à la clientèle, demandez à obtenir une réponse écrite des services spécialisés. Les délais de réponse peuvent toutefois atteindre sept mois, selon Me Étienne Gadbois. « Vous pouvez aussi faire une demande d'accès à l'information pour avoir une copie du rapport du vérificateur qui s'est chargé de votre dossier », dit-il.

VISEZ PLUS HAUT

Demandez à parler au supérieur si les explications reçues ne sont pas satisfaisantes.

D'autres pistes, suggérées par le Protecteur du citoyen, en cas de problème avec Revenu Québec

En cas de problème avec Agence du revenu du Canada, adressez-vous à l'ombudsman des contribuables.