Tous les grands gestionnaires de portefeuille prônent d'investir à long terme. Mais garder les mêmes titres en portefeuille relève de l'exploit pour l'investisseur. Chaque jour, une avalanche de nouvelles informations financières et économiques, d'échos des banques centrales ou de mouvement sur l'échiquier politique mondial suggèrent de modifier les positions en portefeuille. Acheter ceci, vendre cela...

La patience n'est pas une vertu pour rien. Même le sage milliardaire Warren Buffett, qui a comme règle d'investir dans une entreprise comme s'il devait la garder à vie, cède occasionnellement à la tentation d'encaisser.

Un fonds commun d'investissement prospère pourtant sans avoir effectué de transaction boursière depuis 80 ans. Le Voya Corporate Leaders Trust Fund a acheté en 1935 en quantités égales les actions de 30 grandes entreprises américaines bien choisies et n'en a jamais plus acquis ni vendu depuis.

Mille neuf cent trente-cinq, c'était avant même la Seconde Guerre mondiale. C'est l'année où Babe Ruth frappe son dernier coup de circuit et que Louis Lumière présente le cinéma en relief. Plus près de nous, la Banque du Canada est officiellement créée et le ministre Honoré Mercier fils forme la Commission d'électricité du Québec. Parallèlement, les Maroons de Montréal remportent la Coupe Stanley pour la deuxième et dernière fois de leur histoire tandis que 35 des 200 marcheurs de la faim, partis de Montréal et se dirigeant vers Ottawa pour manifester contre la dureté du chômage, sont arrêtés en cours de route par la police. Comme quoi...

RENDEMENT HORS PAIR

Ce qui est extraordinaire, c'est que le fonds de 1,6 milliard US a battu 98 % de ses pairs au cours des 10 dernières années. De février 2005 à février 2015, le fonds a rapporté en moyenne 9,4 % par an, déduction faite des frais, soit 1,3 point de plus que l'indice général américain S&P 500. En fait, selon ses promoteurs, le fonds bat le S&P 500 et le Dow Jones depuis au moins 40 ans et aurait 75 années de « solides performances » au compteur.

C'est ainsi que 10 000 $ investis dans ce panier de « blue chips » en 1970 vaudraient 1,2 million de dollars aujourd'hui, plutôt que 852 000 $ pour un fonds négocié en Bourse calquant le S&P 500 ou 212 000 $ pour un FNB reproduisant la performance boursière des 30 industrielles du Dow Jones.

Il faut dire que le fonds passif ne coûte pas cher à gérer : 0,52 % par année seulement alors que la plupart des fonds communs coûtent plus du triple. Les impôts sur les gains de capital sont rares, grâce au faible roulement. Le fonds doit quand même transiger un peu pour honorer les remboursements et réinvestir le nouvel argent. On le retrouve sur le NASDAQ sous le sigle LEXCX.

UN CONCENTRÉ D'HISTOIRE

Ce portefeuille est un véritable concentré de l'histoire de Wall Street. Il ne reste en fait que 21 des 30 entreprises choisies en 1935. Les géants DuPont, General Electric, Procter & Gamble et Union Pacific ont survécu et prospéré cependant que certaines sociétés, telles American Can et Pennsylvania Railroad, ont disparu de la carte.

Le fonds octogénaire détient par contre des positions dans de nouvelles entreprises nées de fusions ou de scissions. Par exemple, il a aujourd'hui des actions du réseau de télévision CBS, qui n'était pas une option dans les années 30, obtenues grâce à un essaimage de la vénérable Westinghouse Electric. Sa position de 1935 dans le grand détaillant F.W. Woolworth lui vaut de même aujourd'hui une participation significative dans la chaîne de magasins d'articles de sport Foot Locker. Il possède également des parts de Berkshire Hathaway, le conglomérat de Warren Buffett, via une position initiale dans Atchison Topeka et Santa Fe Railway.

ÉLOGE DE LA PARESSE

De fait, une nouvelle recherche, celle-ci signée par Michaela Pagel, de la Columbia Business School, prouve qu'il vaut mieux ne pas prêter trop d'attention à son portefeuille. Puisque la perspective de perdre de l'argent inflige généralement plus de douleur qu'il n'y a de plaisir à en gagner, les investisseurs qui suivent la Bourse de trop près sont enclins à retirer leurs billes. Or, le marché peut casser certains jours même si la tendance à long terme est fondamentalement haussière.

« Si vous êtes toujours malheureux quand vous entendez de mauvaises nouvelles et que vous êtes heureux seulement quand les nouvelles sont bonnes, cela implique qu'en somme, regarder votre portefeuille est douloureux, explique la professeure d'économie et de finances. La plupart des gens, s'ils sont forcés de regarder leur portefeuille chaque jour, vont prendre de mauvaises décisions d'investissement. Ils vont trouver ça si pénible qu'ils ne voudront plus investir quoi que ce soit. »

Le blogueur financier Eric McWhinnie, du USA Today, raconte aussi la patience extrême de Ronald Read, pompiste et employé d'entretien dans une station-service du Vermont, mort à 92 ans. Le diplômé du secondaire était réputé pour sa frugalité, son plus grand plaisir étant de prendre son petit-déjeuner au café du coin. Après sa mort, on le découvrit multimillionnaire. Au cours des décennies, il avait en effet amassé tranquillement une fortune de 8 millions US en investissant dans des titres qui payaient de gros dividendes, comme AT&T, Deere et General Electric.

LES PRINCIPAUX AVOIRS DU FONDS VOYA

(En proportion, au 31 mars 2015)

Union Pacific : 14,8 %

Berkshire Hathaway : 10,4 %

ExxonMobil : 8,9 %

Praxair : 7,8 %

Chevron : 6,7 %

Honeywell International : 5,6 %

Procter & Gamble : 5,2 %

Marathon Petroleum : 5,0 %

DuPont E. I. de Nemours & Co. : 3,8 %

Foot Locker : 3,4 %