Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Bernard Letendre, vice-président principal et directeur des produits de placement, services aux particuliers, à la Financière Manuvie.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

Le principal moteur des marchés, non seulement ces derniers jours mais depuis le début de l'année, a été la politique monétaire des banques centrales, en particulier de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Les principales banques centrales du monde ont abaissé leurs taux plus de 20 fois déjà cette année, et la Fed demeure l'une des seules banques affichant encore un biais neutre ou de possibles rehaussements de taux.

La Fed a récemment ouvert la porte à une telle hausse en retirant le mot « patiente » de son communiqué, mais sans signifier pour autant qu'elle est imminente. En fait, malgré l'amélioration des données économiques aux États-Unis, la Fed demeure hésitante face à l'évolution de la conjoncture économique mondiale.

En Bourse, tant que les investisseurs continueront de spéculer sur le moment et l'ampleur des hausses du taux de la Fed, nous observerons de la volatilité dans les marchés.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Le taux de chômage et le niveau d'inflation aux États-Unis parce qu'ils nous donneront un peu plus de clarté quant aux actions possibles de la Fed avec son taux directeur.

Depuis 12 mois, les États-Unis ont créé en moyenne 274 000 emplois par mois. Il faut remonter à 1994 pour retrouver une telle série de plus de 200 000 nouveaux emplois par mois pendant 12 mois consécutifs.

Le taux de chômage est maintenant de 5,5 %, bien en deçà de la cible de la Fed. Toutefois, le niveau d'inflation demeure sous la cible de la Fed, qui est d'atteindre un niveau de 2 % à long terme.

Aussi, l'indice des dépenses personnelles des consommateurs américains (PCE) demeure inférieur au taux cible de la Fed, en raison du prix du pétrole sous les 50$US le baril et la hausse des salaires de seulement 2,2 % par an.

Enfin, nous surveillons également l'indice des acheteurs du secteur manufacturier (PMI) aux États-Unis, car il s'agit d'un important indicateur de la santé de l'économie mondiale.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Compte tenu de l'augmentation de la volatilité attendue cette année, nous sommes passés chez Manuvie à une répartition des actifs plus traditionnelle de 60 % en actions et 40 % en titres à revenu fixe.

Nous sommes aussi plus conservateurs quant à nos choix de titres, privilégiant les sociétés connues qui versent des dividendes, avec un biais pour les américaines.

En Europe, bien que les titres y aient très bien fait cette année, le mouvement s'explique surtout par l'assouplissement quantitatif annoncé par la BCE, plutôt que par une amélioration significative des données fondamentales.

Quant à nos préférences sectorielles, nous tenons compte du fait que les consommateurs américains sont de retour après une période de désendettement qui les place dans une situation plus avantageuse. Ceci devrait favoriser les entreprises de services financiers et celles du secteur de la consommation aux États-Unis.

Dans le secteur financier, d'ailleurs, la Fed a publié les résultats de ses tests annuels de solvabilité des banques (les stress tests) qui indiquent que les 31 banques vérifiées, d'envergure nationale ou régionale, ont toutes été jugées assez solides pour résister à une crise économique sévère sans aide du gouvernement.

Aussi, les analystes estiment que, d'ici 15 mois, les banques américaines pourraient rehausser les paiements à leurs actionnaires (dividendes, rachats d'actions) de 53 % en moyenne, approchant les 109 milliards US en valeur.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Dans le contexte actuel, il est préférable d'éviter les obligations souveraines des pays développés. Les rendements ne sont tout simplement pas assez attrayants, et sont même devenus négatifs dans certains pays d'Europe.

Nous nous attendons à une courbe de rendement plus élevée aux États-Unis, avec une augmentation des rendements obligataires sur 10 ans. Mais cette augmentation sera vraisemblablement légère. De plus, toute augmentation des rendements aura un effet négatif sur la valeur des obligations courantes dans les marchés.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

À notre avis, ce sont les opportunités en Asie, tant au chapitre des actions que des titres à revenu fixe. La corrélation avec les marchés d'économies développées a augmenté ces dernières années, et l'Asie procure maintenant aux investisseurs une opportunité de diversification intéressante.

Dans les titres à revenu fixe, les obligations souveraines en Asie offrent un rendement plus élevé que celles des pays d'économies développées. De plus, ces pays d'Asie sont moins endettés que leurs homologues des marchés développés.

Le marché asiatique des obligations corporatives est aussi intéressant, d'autant qu'il s'est accru considérablement depuis 2008, passant de 700 à 2200 milliards US en valeur.

Bernard Letendre est vice-président principal et directeur des placements, services aux particuliers, à la Financière Manuvie. Il dirige la gestion et la distribution de produits d'investissement dont l'actif totalise plusieurs milliards de dollars. Il supervise aussi ces temps-ci l'intégration des produits de placement de la filiale canadienne de Standard Life, basée à Montréal et acquise par Manuvie récemment.

Chez Manuvie depuis 2009, M. Letendre a dirigé auparavant les services de gestion privée pour clients fortunés, ainsi que les services de gestion d'avoir des particuliers pour l'est du Canada.