Commérages et bavardages d'employés autour de la machine à café peuvent faire la fortune d'un investisseur au nez fin. Mais prenez garde à suivre ceux qui parlent à tort et à travers.

Philip Fisher, l'un des investisseurs les plus influents de tous les temps, a donné ses lettres de noblesse à la « méthode du commérage » dans son grand classique Actions ordinaires et profits extraordinaires. Ce best-seller, publié la première fois il y a 57 ans, est toujours d'actualité et est largement étudié et appliqué par les professionnels de l'investissement.

Dans le chapitre titré « Ce que les bavardages peuvent faire », Fisher met en avant l'intérêt qu'il y a d'aller à la pêche aux informations, d'interroger le personnel, les concurrents et les fournisseurs des entreprises afin de déterminer leur santé. Méthode de « rumeurs de la machine à café » qu'il considère comme essentielle.

L'entrevue informelle avec les employés d'une entreprise ciblée doit aider à répondre à 15 questions sur ses caractéristiques et la qualité de la direction, avant d'en acheter les actions. Selon lui, l'entreprise doit notamment démontrer qu'elle est intègre, accessible, ouverte au changement et pratique une bonne politique de recrutement.

Fisher savait, dit-on, brillamment entretenir son réseau de contacts, et l'exploiter avec flair pour dénicher de précieuses informations sur une entreprise. Sarcastique à l'égard des financiers, il disait : « La Bourse est pleine de gens qui connaissent le prix de tout, mais la valeur de rien ».

Le limier

Guy Le Blanc, qui a développé le modèle COTE 100 pour la firme de gestion de portefeuille du même nom à Saint-Bruno, le cite parmi ses inspirations dans son récent billet d'adieu. « Ce qui m'avait surtout attiré dans l'approche de Fisher était la qualité des entreprises et surtout la croissance à long terme. Je dois avouer que je n'aimais pas son chapitre sur les commérages et les bavardages. On retrouve ceci sur l'internet aujourd'hui et ça vaut ce que ça vaut », commente le nouveau retraité.

M. Le Blanc se souvient par contre avec fierté les bons signaux d'investissement obtenus en parlant au président, au vice-président finance et à certains clients ou fournisseur des Industries Lassonde. Le titre qui cotait à environ 4 $ à cette époque où l'information était moins disponible vaut aujourd'hui près de 140 $.

« Durant une visite, le président m'a montré un pressoir en acier inoxydable acheté en 1968 au coût de 90 000 $. Je lui ai demandé combien coûterait le même pressoir aujourd'hui. « Un demi-million de dollars «, m'a-t-il répondu. Il y avait ainsi plusieurs appareils, installés depuis longtemps, mais qui semblaient flambant neufs tant ils avaient été bien entretenus, raconte Guy Le Blanc dans La Bourse ou la vie.

« En discutant avec le vice-président finance, j'ai aussi découvert que Lassonde assurait ses immeubles, sa machinerie et ses stocks pour 110 millions, poursuit-il. En soustrayant les stocks, d'une valeur de 30 millions aux derniers états financiers, la compagnie évaluait donc la valeur de remplacement de ses immobilisations à 80 millions. Or, dans ses états financiers, ces immobilisations ne représentaient plus qu'une somme de 30 millions. »

Les « bons tuyaux »

Une étude récente incite par ailleurs à se méfier des « bons tuyaux » des collègues de bureau autour de la machine à café. C'est bien sympathique, mais le mimétisme n'est pas gagnant.

Des chercheurs ont analysé plus de 6 millions de transactions à la Bourse d'Oslo réalisées par 92 264 individus recoupés suivant l'adresse professionnelle. Les employés d'entreprises cotées en Bourse ont été écartés de l'étude, qui remonte sur 12 ans, car leurs investissements sont souvent influencés par les actions ou options qu'ils peuvent recevoir dans le cadre de leur travail.

La recherche, rapportée sur le site français Straight from the lab, nous apprend qu'un investisseur a 41 % de chances de plus d'investir lui aussi en Bourse lorsqu'il s'aperçoit que de plus en plus de ses collègues achètent des actions durant un mois donné. Plus encore : ce même investisseur a 195 % plus de chances d'acheter une action spécifique lorsque ses collègues sont plus nombreux à en accumuler.

Dommage, car « les investissements qui sont fortement influencés par les collègues n'améliorent pas et vont même parfois réduire la qualité des choix d'investissement », affirment les auteurs de l'étude, Hans Hvide et Per Östberg.

Le premier danger est la transmission de fausses rumeurs et l'imitation de mauvaises décisions de placement. Au Québec, rappelons-nous la bulle créée autour d'Orbite Aluminae en 2012.

En outre, les interactions sociales sur le lieu de travail encouragent souvent les petits investisseurs à placer leur épargne dans des entreprises actives dans leur secteur. Très mauvais point pour la diversification sectorielle. Il est encore plus grave d'investir largement dans des actions de son propre employeur : si ce dernier fait faillite, non seulement les salaires disparaissent, mais les économies aussi.

Gazouillis et Bourse

Les médias sociaux sont les nouveaux espaces-cafés pour bien des petits investisseurs. Ici encore, il y a du bon à tirer des informations glanées à ces centres de discussion impromptue, mais le risque de succomber à la saveur du jour est toujours présent.

Des firmes comme SentimenTrader ou SwanPowers scannent continuellement pour leurs riches clients les messages diffusés sur les blogues, forums, Facebook, Twitter et autres publications citoyennes pour déterminer le moral des investisseurs et prédire l'allure des cours boursiers. La firme de courtage américaine TD Ameritrade offre depuis peu le service aux petits investisseurs.

« Les tendances de l'industrie et nos propres recherches nous montrent que les investisseurs engagés considèrent Twitter comme une destination de choix pour obtenir une vue plus complète de la façon dont une société ouverte et ses marques associées s'en sortent », explique Kevin Finn, directeur général du commerce électronique chez TD Ameritrade.

Une étude menée par la firme d'information financière Markit, de Londres, démontre d'ailleurs que les titres profitant d'un sentiment positif dans les médias sociaux ont généré un rendement de 76 % entre 2012 et 2013, comparé à -14 % pour les autres. La firme britannique Derwent Capital avait même lancé un fonds, le Twitter Hedge Fund, basé sur les derniers gazouillis. Le fonds a été fermé après un mois par ses actionnaires, mais apparemment qu'il surperformait le S & P 500.

Par ailleurs, les médias sociaux ont peu la cote chez les grands investisseurs, démontre un sondage instructif publié en janvier par Havas Worldwide. Près de 85 % des grands investisseurs mondiaux considèrent leur contenu peu crédible et seulement 30 % d'entre eux les consultent régulièrement.

Pour autant, si les investisseurs n'utilisent actuellement pas les réseaux sociaux pour se renseigner, 82 % d'entre eux s'attendent à ce qu'ils deviennent une source d'information financière plus importante à l'avenir, selon l'étude intitulée « Les relations investisseurs à l'heure des médias sociaux ». L'agence a sondé 105 investisseurs institutionnels de 12 pays, dont les dirigeants des principaux fonds de pension, assurances et sociétés de gestion d'actifs.