La maison de Madeleine est petite et ne paie pas de mine. Mais elle y est chez elle, et c'est ce qui lui importe. Elle aime son quartier et a aménagé son petit nid selon ses besoins et ceux de son fils de 17 ans.

Divorcée depuis une dizaine d'années, la Montréalaise de 48 ans trouve toutefois de plus en plus difficile d'assumer seule les frais liés à sa maison.

Pour y arriver, elle doit occuper deux emplois depuis quelques années. « Je travaille 13 jours sur 14, raconte-t-elle. C'est sûr que ma vie sociale a pris le bord, avec seulement deux jours de congé par mois. Heureusement que je l'aime, ma maison, parce que c'est ici que je passe toutes mes soirées ! »

Madeleine en a pour 15 ans avant de terminer le remboursement de son hypothèque, en plus de rembourser, pour encore 16 ans, la part de son ex-conjoint qu'elle a rachetée au moment du divorce. Ces paiements, additionnés aux taxes municipales, pèsent lourd sur son budget de mère seule, surtout depuis que le père de son fils s'est retrouvé au chômage, il y a quelques mois, et a dû suspendre le paiement de la pension alimentaire (430 $ par mois) qu'il versait pour l'adolescent.

Mais ce n'est pas tout. La maison n'est plus toute jeune et a régulièrement besoin d'entretien et de rénovations. Ces dernières années, Madeleine s'est endettée de 20 000 $ pour refaire ses balcons, qui menaçaient de s'écrouler, et changer son système de chauffage archaïque. Elle a utilisé sa carte de crédit et a contracté un prêt personnel, qui lui coûtent cher en intérêt, en plus d'emprunter de l'argent à un ami qui, lui, heureusement, n'exige pas d'intérêt.

Mais dans une maison, l'entretien et les améliorations ne finissent jamais : bientôt, c'est le toit qui aura besoin d'être remplacé, ou le chauffe-eau qui rendra l'âme, ou encore la plomberie qui fera des siennes.

« Je n'ai pas d'auto, je ne fume pas, je ne bois pas, je sors peu, j'apporte toujours mon lunch au travail. Garder et rénover ma maison est mon objectif principal de vie, mais je m'endette chaque fois que je veux y apporter des améliorations, déplore Madeleine. Avec les taxes municipales et scolaires qui ne cessent de monter, tout comme le prix de la nourriture, des vêtements, des transports et tout le reste, je n'arrive pas à boucler mon budget et je trouve ça lourd. J'ai l'impression que la maison prend tout, mais je ne veux pas la perdre. »

Pourquoi tient-elle autant à sa bicoque, au point de travailler presque sans relâche pour pouvoir l'entretenir et payer son hypothèque ? « La dernière fois que j'ai été locataire, il y avait des voisins bruyants, alors que le calme est très important pour moi, répond Madeleine. Dans ma maison, j'ai la paix, personne ne me dérange, j'ai une grande cour, je peux faire ce que je veux. En plus, j'aime mon quartier, et tous les amis de mon fils habitent près d'ici. »

« Je ne crois pas que je pourrai garder ma maison à la retraite, mais j'essaie de ne pas y penser. »

Les dépenses liées à sa maison ne sont pas seules responsables de ses ennuis financiers : Madeleine avoue aussi se laisser tenter par des achats de livres, de films et de gadgets électroniques. « Je crois que je dépense pour combler un vide, puisque je suis seule et que je n'ai pas de vie sociale, confie-t-elle. Ça me donne de la satisfaction sur le coup, mais ensuite je m'en veux, je me sens sombrer dans un gouffre financier à cause de ces dépenses. Mon deuxième emploi, finalement, ne sert qu'à rembourser mes dettes de consommation. »

Elle n'a pas de portrait clair et précis de ses dépenses. Elle sait qu'elle doit d'abord s'astreindre à cet exercice, pour pouvoir ensuite faire des choix en connaissance de cause. « J'aurais besoin d'aide pour me faire un plan, dit-elle. C'est difficile de m'y mettre toute seule. Si j'avais un objectif précis, ça serait plus motivant. »

PORTRAIT

Madeleine, 48 ans

Occupe deux emplois dans le commerce de détail

Vit seule avec son fils de 17 ans

Revenu : 40 000 $

Paiements mensuels

Hypothèque : 100 000 $ à 4,19 % d'intérêts - 750 $

Dette envers son ex-conjoint (pour le rachat de sa part de la maison) : 39 000 $ - 200 $

Prêt personnel : 10 500 $ à 13,75 % d'intérêts - 270 $

Carte de crédit : 5500 $ à 17,99 % d'intérêts - 200 $

Prêt d'un ami : 3000 $, sans intérêts - 200 $

Valeur de la maison : 350 000 $

REER : 55 000 $

Dépenses principales :

Impôt foncier et taxe scolaire : 275 $/mois

Électricité : 200 $/mois

Épicerie : 300 $/mois

Soin des animaux : 200 $/mois

SOLUTION: Lourde, lourde, la maison

Pas étonnant que Madeleine perçoive sa maison comme un fardeau financier : ses dépenses de logement accaparent 44 % de son revenu brut, alors que les experts recommandent de ne pas dépasser une proportion de 30 %.

Bien sûr, si elle tient très fort à garder sa maison, elle peut décider qu'il est justifié, dans son cas, d'y consacrer près de la moitié de ses revenus. Mais elle devra alors réduire ses autres dépenses pour équilibrer son budget et rembourser ses dettes, souligne Hélène Hétu, conseillère budgétaire à l'ACEF de la Rive-Sud de Montréal.

« Si c'est réellement son objectif, ça doit la motiver à moins dépenser pour autre chose », dit la conseillère, qui croit que Madeleine sous-estime sans doute ses dépenses actuelles, notamment pour l'alimentation. « Elle n'a pas non plus indiqué combien elle donne d'argent de poche à son fils », note Mme Hétu.

Pour bien mesurer ce que lui coûte sa maison et se demander si le jeu en vaut la chandelle, la dame doit déterminer à quel point ce serait plus économique de louer un appartement dans le secteur où elle habite. Actuellement, ses mensualités hypothécaires, le remboursement à son ex-conjoint et les taxes totalisent 1225 $ par mois. « Si elle payait un loyer de 900 $, ça ferait une différence de 325 $ chaque mois, sans compter que ses frais de chauffage et d'assurance seraient réduits et qu'elle n'aurait plus de dépenses d'entretien et de rénovations », souligne la conseillère de l'ACEF.

Pour poursuivre sa réflexion et prendre les décisions qui s'imposent, Madeleine a des devoirs à faire et des pistes à explorer.

Faire son portrait financier réel

Madeleine doit savoir précisément comment elle dépense son argent en remplissant une grille mensuelle de ses dépenses. Il existe des grilles sur papier, disponibles dans les ACEF de chaque région, des outils en ligne ou des applications pour suivre son budget.

Faire son budget sans le montant de la pension alimentaire

Depuis que son ex-conjoint a perdu son emploi, Madeleine ne reçoit plus la pension alimentaire de 430 $ par mois pour les dépenses de son fils. Impossible pour elle de savoir si elle touchera à nouveau une pension et quel en sera le montant. Mieux vaut ne pas compter là-dessus pour retrouver l'équilibre de son budget, note Hélène Hétu.

Faire son budget sans les allocations pour enfant

Elle reçoit actuellement près de 6000 $ par année en prestations gouvernementales pour enfant. Mais son fils aura bientôt 18 ans, de sorte qu'elle n'y aura plus droit. Ça signifie un gros trou dans son budget. « Est-ce que son fils sera encore aux études ? Est-ce qu'il travaille ? Si c'est le cas, elle peut lui demander une pension », suggère la conseillère.

Songer à utiliser son REER pour rembourser ses dettes

Cette proposition peut sembler étonnante, mais Madeleine devrait l'envisager si elle ne parvient pas à réduire ses dépenses suffisamment pour équilibrer son budget. « Tant que son fils est à sa charge, c'est peut-être le bon moment pour retirer des fonds de son REER sans payer trop d'impôts, note Hélène Hétu. Elle pourrait au moins se débarrasser des deux dettes qui lui coûtent cher en intérêts, et ça lui permettrait d'équilibrer son budget. » Elle devrait d'abord consulter un comptable ou un fiscaliste pour connaître l'impact réel d'un tel retrait. Et ensuite, surtout, ne plus avoir recours au crédit !

Faire son budget en prévoyant les dépenses d'entretien de la maison

Pour éviter d'autres dettes, Madeleine doit prévoir les dépenses à venir pour l'entretien et les rénovations de sa maison. Et elle doit mettre de côté les sommes nécessaires chaque mois pour être en mesure de payer ces dépenses au moment nécessaire. « Des dépenses d'entretien, il va toujours y en avoir », souligne Mme Hétu.

Regarder l'avenir

Combien de temps pourra-t-elle maintenir son rythme de travail actuel, avec deux emplois et très peu de congés ? Combien de temps acceptera-t-elle de restreindre ses autres dépenses pour consacrer autant d'argent à sa maison ? Son fils restera-t-il longtemps avec elle ? Combien doit-elle épargner en prévision de sa retraite ? Voilà quelques-unes des questions que Madeleine doit se poser pour prendre des décisions à plus long terme.

Songer à vendre la maison

Après s'être posé toutes ces questions, Madeleine sera en mesure de décider s'il est réaliste de conserver sa maison encore plusieurs années. « Elle en a encore pour 15 ans à payer son hypothèque et pour 16 ans à rembourser ce qu'elle doit à son ex-conjoint. C'est long, si elle doit se serrer la ceinture pendant tout ce temps », fait remarquer Hélène Hétu.

PERSPECTIVE: Le coût d'un toit

Le prix des maisons a grimpé en flèche ces dernières années. Les consommateurs, surtout dans les grands centres, déplorent que l'accès à la propriété soit de plus en plus difficile pour les ménages moyens.

Pourtant, la proportion de propriétaires est en hausse : le Québec comptait 61,2 % de propriétaires en 2011 contre 55,5 % en 1991 et 47,4 % en 1971. Mais pour avoir leur toit à eux, bien des ménages s'endettent de façon importante, comme l'illustre l'augmentation constante du taux d'endettement.

Pourquoi ce désir si fort de posséder sa maison, parfois au prix de sacrifices financiers importants ? « Bien des gens veulent se sentir chez eux, être autonomes », répond Marie-Hélène Legault, économiste à l'UQAM, qui donne des cours sur l'accession à la propriété depuis 20 ans à l'ACEF de l'Est. « Certains se sont déjà fait évincer parce que leur propriétaire voulait reprendre leur logement. Ils ont été obligés de déménager et ne veulent plus vivre cette insécurité. Ils sont prêts à se serrer la ceinture pour avoir le contrôle. »

Cependant, ceux qui caressent ce projet oublient souvent les frais importants qui font grimper la facture d'un tel achat, notamment l'impôt foncier et l'entretien.

« Quand leur toit coule et qu'ils doivent le faire réparer, les gens disent que c'est de la malchance, un imprévu. Mais ce n'est pas le cas, fait remarquer Mme Legault. Un toit a une certaine durée de vie, un système de chauffage aussi, tout comme un revêtement de brique et un balcon. Une maison, ça s'use ! Il faut prévoir le coût de ces travaux et mettre de côté les sommes requises. Si notre budget ne nous le permet pas, c'est qu'on n'a pas les moyens d'avoir une maison. »

Comment prévoir les montants nécessaires ? La spécialiste suggère, au moment de l'achat, de s'inspirer du rapport d'inspection de la propriété. S'il indique que le toit peut encore durer 10 ans, par exemple, on s'informe des coûts de réfection d'une toiture et on calcule combien mettre de côté chaque mois pour amasser ce qu'il faut pour payer la facture quand il se mettra à pleuvoir dans la maison. Discipline, discipline...

Les mêmes précautions devraient être prises à l'achat d'un condo. « Rares sont les copropriétés divises qui ont un fonds de prévoyance adéquat », souligne Marie-Hélène Legault. Quand des travaux coûteux sont nécessaires, les copropriétaires se font alors imposer des cotisations spéciales qui peuvent être très salées.

Un toit pour ses vieux jours ?

Bien des propriétaires comptent aussi sur leur maison pour leur permettre d'être bien logés à la retraite, quand leurs revenus diminueront, mais que leur hypothèque sera remboursée. Pour les ménages locataires, en effet, la hausse constante des loyers est un élément d'incertitude. Mais les propriétaires ne doivent pas oublier l'augmentation des taxes municipales et scolaires.

« On remarque aussi, de plus en plus, que les gens n'ont pas fini de payer leur hypothèque au moment de leur retraite, dit Marie-Hélène Legault. À cause du phénomène de la consolidation de dettes au moyen du prêt hypothécaire et des marges de crédit hypothécaires, qui servent à financer d'autres achats. »

Mme Legault recommande aux futurs acheteurs de s'informer auprès de sources indépendantes avant de magasiner les propriétés, pour déterminer si leur budget est suffisant. Les ratios utilisés par les institutions financières pour déterminer combien elles sont prêtes à vous prêter ne doivent pas être utilisés comme des indicateurs de votre capacité d'accéder à la propriété, puisqu'ils ne tiennent pas compte de toutes vos dépenses.