Chaque dimanche, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Stephen Takacsy, de Gestion d'actifs Lester, à Montréal.

Quel a été l'événement le plus significatif des derniers jours en Bourse ?

La décision de la Banque centrale européenne d'activer la machine à imprimer des euros en achetant 60 milliards d'obligations par mois a retenu mon attention. Mais je pense que ça vient trop tard. L'Europe est en déflation avec des taux d'intérêt déjà bas. C'est une mauvaise situation.

La nouvelle de la semaine est toutefois venue de la Banque du Canada en abaissant son taux directeur, ce qui a fait chuter le huard. C'est bon pour nos exportateurs, mais c'est un signe de faiblesse dans l'économie lié à la chute du prix du pétrole. Néanmoins, c'est positif, car ça démontre que la Banque veut être « en avant de la courbe » en s'y prenant d'avance pour stimuler les choses avant que l'économie de l'Ouest ne s'affaiblisse trop. Ceci confirme aussi que les taux resteront bas encore longtemps.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement ?

On ne met pas beaucoup d'accent sur les « indicateurs » traditionnels, mais on suit attentivement ce qui se passe sur les marchés internationaux. Ça nous aide à décider dans quoi ne pas investir, comme, par exemple, les ressources si la Chine ralentit. On consacre notre temps à la micro-analyse des sociétés dans lesquelles nous investissons et aux facteurs qui peuvent les toucher. Nous sommes des investisseurs à très long terme. Nous détenons des titres comme Logistec, Direct Cash, Asian Television Network et Velan depuis plus de huit ans. Le « bruit » des indicateurs à court terme ne change pas nos décisions en général.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

La seule façon de faire de l'argent de façon constante, c'est avec une philosophie qui ne se limite pas à imiter les indices ou à acheter les titres des grandes sociétés qui composent les indices.

Les meilleurs rendements à long terme sont générés par les titres de sociétés de faible et moyenne capitalisation, souvent moins liquides, et qui se négocient avec des escomptes importants par rapport à leurs valeurs intrinsèques. En général, les bourses sont chères par rapport aux perspectives de croissance économique.

On n'investit généralement pas par secteur, mais il y a des aubaines présentement parmi les sociétés qui vendent des produits et services à l'industrie pétrolière, telles que Questor Technology, Badger Daylighting et Newalta.

En ce moment, on préfère des entreprises dans le secteur industriel qui génèrent une majorité de leurs ventes en dollars américains (Com Dev, Ag Growth et Velan). Nous aimons aussi les télécoms (BCE et Telus), les technologies (QHR, NeuLion et Wi-LAN), l'énergie renouvelable (Boralex et Innergex), les infrastructures (comme les pipelines) ainsi que des sociétés canadiennes qui payent des dividendes et qui sont capables de les faire croître.

Quel placement évitez-vous à tout prix ?

Il faut éviter les ressources, notamment les sociétés minières. C'est un secteur qui comporte toujours d'énormes risques d'exécution et qui nécessite beaucoup de capitaux. Exploration, développement, permis, facteurs environnementaux, construction, exploitation, risques politiques, etc. Et après avoir surmonté les défis, il reste un immense trou vide dans la terre et il faut tout recommencer ! C'est la pire business au monde. Avec le ralentissement en Chine, ça sera encore plus difficile. En plus, je n'aime pas les secteurs ou le PDG n'a pas de contrôle sur le prix de vente du produit. Il faut aussi éviter d'investir dans des pays où la corruption et la comptabilité douteuses règnent, ce qui est le cas de la plupart des marchés émergents.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus ?

Les marchés surestiment la croissance économique mondiale. Il y a juste l'Amérique du Nord qui s'en tire bien depuis la crise financière, il y a déjà sept ans. Le Japon est en déclin et sa banque centrale ne peut arrêter la déflation. L'Europe vivra la même chose éventuellement avec des tendances démographiques similaires, un niveau d'endettement surélevé et une absence de croissance économique. Ça va continuer de brasser dans la zone euro, car comment veux-tu que tout ce monde-là s'entende sur les mêmes stratégies politiques, économiques, monétaires et fiscales ?

La Chine a aussi d'énormes problèmes de crédit à régler, ayant beaucoup trop dépensé pour des folies industrielles, d'infrastructures et d'immobiliers. Son économie ralentira plus qu'on pense. Il y aura éventuellement des défis sociaux à résoudre là-bas aussi.

En d'autres mots, les marchés sous-estiment les risques économiques outremer et leurs impacts sur le système financier mondial. Mieux vaut investir dans des entreprises d'ici qu'on connaît bien et qui sont à l'abri des chocs externes internationaux.

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Stephen Takacsy est directeur des placements et gestionnaire de portefeuille chez Gestion d'actifs Lester, à Montréal. Il y travaille depuis 2006. Auparavant, il a notamment travaillé chez Richardson Greenshields ainsi qu'à la Banque Royale.