Chaque dimanche, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Pierre Ouimet, de la firme UBS à Montréal.

Quel a été l'événement le plus significatif des derniers jours en Bourse ?

Il y en a toujours une multitude, mais en début de mois, on se préoccupe davantage des chiffres sur l'emploi aux États-Unis, qui ont confirmé vendredi une reprise soutenue dans l'économie américaine. Dans cette perspective, la Réserve fédérale devrait maintenir son intention de normaliser les taux d'intérêt au cours de la première moitié de 2015.

On s'attarde aussi à la baisse soutenue du prix du pétrole et son impact sur les perspectives inflationnistes et sur la conjoncture de l'économie canadienne. La récente baisse dépasse de loin les attentes et a entraîné à la baisse les taux d'intérêt dans les pays développés, qui enregistrent maintenant des chiffres d'inflation négatifs. Ces craintes déflationnistes ont également alimenté une certaine anxiété dans les marchés financiers.

Pour ce qui est de l'économie canadienne, la baisse du cours du pétrole pourrait retrancher jusqu'à 0,5 % sur la croissance anticipée en 2015, causer une chute des profits corporatifs et entraîner un retour aux déficits sur notre balance commerciale avec des conséquences négatives pour le dollar canadien.

Quels indicateurs suivez-vous le plus attentivement ?

Nous suivons de très près la conjoncture économique mondiale et, en particulier, l'Europe. Nous avons bon espoir que la reprise américaine est bien amorcée, mais nous cherchons des signes encourageants en provenance de la zone euro. Nous ne croyons pas que la croissance risque de s'emballer, mais nous entrevoyons une amélioration graduelle de la conjoncture suite aux mesures de stimulus de la Banque centrale européenne, de la baisse du prix du pétrole, du fléchissement de l'euro et d'un regain de confiance des entreprises.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Nous croyons toujours que les actifs à risque doivent être privilégiés. Plusieurs facteurs militent en faveur d'une croissance soutenue de la conjoncture mondiale, tels que la baisse des devises (euro, yen, dollar canadien) vis-à-vis du dollar américain, les politiques monétaires très favorables, la baisse du prix du pétrole qui, à elle seule, devrait ajouter environ 1 % au PIB des pays consommateurs et le bas niveau des taux d'intérêt.

Pour le moment, nous sommes favorables (surpondérés) au marché des actions américaines.

Du côté des titres à revenu fixe, nous mettons l'accent sur les titres de crédit corporatif de haute qualité, au détriment des titres de dette souveraine.

Pour ce qui est des secteurs boursiers, nous croyons que 2015 pourrait surprendre. Un retour vers les secteurs cycliques est à prévoir au fur et à mesure que les craintes déflationnistes s'estompent. Alors que les secteurs défensifs ont bien fait en 2014, les évaluations sont devenues difficiles à justifier. On s'attend donc à une rotation vers les titres dans l'énergie, les métaux, les matériaux de base et les sociétés industrielles au cours de l'année. Nous restons cependant prudents dans la mise en place de cette stratégie, préférant attendre une stabilisation des marchés et une reprise des anticipations inflationnistes.

Quel placement évitez-vous à tout prix ?

Nous évitons les obligations souveraines ou corporatives de longue échéance. Nous ne croyons pas que le cycle économique tire à sa fin et que les risques de déflation vont s'accentuer. Au contraire, nous avons tout à craindre d'une légère reprise des attentes inflationnistes, ce qui pourrait entraîner à la hausse les taux d'intérêt. Les taux d'obligations à long terme sont à des niveaux anormalement bas.

Historiquement, les taux sur les obligations 10 ans du Trésor américain ont évolué au même niveau que le taux de croissance nominale du PNB, qui se situe aujourd'hui entre 4,5 % et 5 %. Le taux courant des obligations du Trésor américain 10 ans se situe à environ 2 %, bien en deçà des normes historiques.

Nous évitons également la dette et les actions des pays émergents ayant un endettement élevé, particulièrement en devises étrangères et, surtout, en dollars américains.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus ?

Nous croyons que les marchés sous-estiment le potentiel de hausse des taux d'intérêt aux États-Unis. Il y a beaucoup de complaisance dans les marchés à revenu fixe. Lorsque la Fed se verra contrainte de normaliser son taux directeur, le marché obligataire réagira et les taux à long terme s'ajusteront, peut-être avec un peu de retard, mais inévitablement.

Dans ce contexte, les attentes déflationnistes se dissiperont rapidement, les taux d'utilisation continueront d'augmenter, les surplus de main-d'oeuvre vont diminuer et la pression à la hausse sur les prix se fera sentir, ce qui entraînera les taux à long terme à la hausse. Nous croyons que la phase de croissance du cycle économique actuel ne fait que débuter.

Les perspectives à l'extérieur des États-Unis sont moins solides, mais nous entrevoyons quand même une légère amélioration par rapport à 2014.

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Pierre Ouimet est stratège en placements sénior chez UBS à Montréal depuis trois ans. Auparavant, il a été gestionnaire de portefeuille pendant près de 20 ans chez UBS. Il a fait ses études à l'Université McGill.