Testament ? Le mot s'imprime toujours en noir. « J'ai des clients qui sont conjoints de fait avec quatre enfants, mais ils n'ont pas de testament », raconte la notaire Guylaine Lafleur, du cabinet de planification financière Bachand Lafleur groupe conseil.

« Ça fait plusieurs fois qu'on s'assoit et aussitôt qu'on essaie de parler de testament, la dame pleure parce qu'elle ne peut pas concevoir qu'elle pourrait mourir et laisser ses enfants en plan. Ce qui fait qu'on ne règle rien. Ça fait quatre ans que ça traîne. »

Il faut voir le testament comme un vaccin : ça pique un peu sur le moment, mais on est ensuite immunisé pour quelques années.

La rédaction d'un testament constitue habituellement la dernière étape d'une planification successorale, quoiqu'il fasse sentir sa présence tout au long de la démarche.

La séquence de règlement de succession aura elle aussi une influence sur la planification du testament. « Dans cette séquence, il faut vérifier le testament... qui n'existe pas encore, parce qu'on veut justement le planifier ! », décrit Me Lafleur, pour illustrer les subtilités de l'entreprise.

Voici un peu de lumière sur le testament...

QUEL EST L'ORDRE DE PRIORITÉ ?

Le testament, le contrat de mariage, le régime matrimonial, les règles sur le patrimoine familial, le fisc, le Code civil... Qui a le premier mot dans la séquence de règlement de succession ?

1. Le fisc récolte en premier. Le défunt est présumé avoir disposé de ses biens le jour de son décès, et il est imposé en conséquence. Mais encore faut-il préciser quels sont ces biens et qui en héritera. Par exemple, les REER peuvent être cédés au conjoint sans impact fiscal immédiat.

2. Êtes-vous marié ou uni civilement ? Si c'est le cas, les règles sur le patrimoine familial s'appliquent en priorité. « C'est une créance du conjoint face à la succession », décrit Me Lafleur.

Ces règles prévoient qu'à la fin de l'union, la valeur du patrimoine familial est partagée également entre les conjoints. Celui-ci inclut notamment : la valeur nette accumulée durant l'union sur les résidences familiales acquises durant le mariage, les meubles et véhicules à l'usage de la famille, tous les droits et épargnes de retraite accumulés durant l'union.

Qu'advient-il de la part du conjoint décédé et de ses autres biens ? Tout dépend du point suivant.

3. Si un contrat de mariage ou d'union civile existe, ses clauses sont alors appliquées, dans la mesure où elles respectent les dispositions sur le patrimoine familial.

4. Si vous êtes marié sans contrat de mariage, c'est le régime matrimonial par défaut qui intervient après le partage du patrimoine familial. Depuis 1970, les conjoints mariés sans contrat sont unis sous le régime de la société d'acquêts. En cas de décès, ce régime prévoit notamment que la valeur des biens acquis avant le mariage (et de ceux reçus durant le mariage par héritage ou donation) demeure propriété du conjoint concerné, tandis que la valeur des biens acquis durant le mariage est partageable.

5. « Ensuite, informe Me Lafleur, il nous reste la valeur du reste de la succession à remettre aux légataires ou aux héritiers » (Ah ? Il y a une différence ? Voir notre définition.)

Si le conjoint défunt a fait un testament, ses clauses règlent le solde de la succession. Si le contrat de mariage comportait lui aussi des clauses testamentaires, c'est le plus récent des deux qui prévaut.

Mais il y a des nuances que nous vous épargnons lorsque le conjoint survivant se retrouve avec une créance successorale...

6. Rien qui ressemble à un testament ou une clause testamentaire ? Le Code civil décide de la dévolution de la succession.

Héritier ou légataire ?

Au sens strict, un héritier est « une personne appelée par la loi à recueillir la succession d'un défunt qui n'avait pas fait de testament ». Un légataire est le bénéficiaire d'un legs testamentaire.

Mais au sens large, un héritier est toute personne qui hérite, quelle que soit la manière.

L'ÉNIGME DU DÉFUNT INTESTAT

Ange Toussaint et sa conjointe Céleste Paradis sont mariés. Ils ont trois enfants âgés de 2 à 7 ans. Ange décède dans un accident de voiture, mais il n'avait jamais rédigé de testament. Quelle proportion de sa succession Céleste touchera-t-elle ?

a) La totalité

b) La moitié

c) Le tiers

d) Le quart

e) Rien du tout.

Réponse : c) Le tiers. En l'absence de testament et de clause testamentaire dans le contrat de mariage (ou d'union civile), c'est le Code civil qui détermine qui seront les héritiers et quelle sera leur part de la succession. Dans notre exemple, les deux tiers de la succession de M. Toussaint (après règlement du patrimoine familial et du régime matrimonial) sont dévolus aux enfants, et le tiers au conjoint survivant, Céleste.

La réponse serait nettement plus simple s'ils étaient seulement conjoints de fait : tout irait aux enfants.

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VRAI OU FAUX ?

Même si Crésus Lafortune n'a pas de testament, sa conjointe de fait Laure Arien peut hériter de sa succession grâce à leur contrat de vie commune. 

Faux. Le contrat de vie commune s'applique aux conséquences d'une séparation. « On ne peut prévoir, dans une convention de vie commune, de clauses relatives au décès », précise Me Guylaine Lafleur. Puisque le Code civil ne reconnaît pas les conjoints de fait, Laure Arien ne touchera pas un sou sans testament.

Dans le testament où il lègue sa maison à son fils aîné, Pacifique Despars-Sansregret peut exiger que son fils remette la propriété s'il se sépare de sa conjointe.

Faux. On peut mettre des clauses conditionnelles pour l'acceptation du legs, « mais rien qui dicte la conduite future » après que ce legs ait été accepté, informe Me Lafleur. Par contre, « selon la jurisprudence, un legs conditionnel à la présence aux funérailles est valide », ajoute-t-elle avec un sourire dans la voix.

Nathan-Paul Lamarre peut inclure dans son testament des clauses qui interfèrent avec les règles sur le patrimoine familial - par exemple léguer tous ses REER à son fils issu d'une première union, même si la valeur d'une partie de ceux-ci était attribuable à sa conjointe actuelle.

Vrai. Mais attention, en cas de décès, sa conjointe doit tout de même hériter d'une valeur au moins équivalente à celle que lui vaudraient les règles sur le patrimoine familial. Sinon, elle peut refuser le legs et demander plutôt sa part du patrimoine selon les dispositions de la loi.

Quoi mettre dans son testament?

Quelques éléments à considérer avant de rencontrer son notaire, ou avec lui.

-Faire un bilan au moins sommaire des actifs et des dettes

-Décider comment et à qui nos biens seront légués

-Estimer la valeur de cette répartition pour chacun des légataires

-Évaluer, avec un conseiller fiscal si nécessaire, les ponctions fiscales sur ces legs

-Prévoir des tuteurs pour les enfants mineurs

-Définir les mesures de gestion et de remise des legs aux enfants mineurs ou jeunes adultes

-Fixer les pouvoirs d'administration du liquidateur

-Considérer en parallèle les besoins d'assurance vie avec un conseiller en sécurité financière

-Songer aux clauses de don d'organes (dans la mesure où l'incinération ne précède pas la lecture du testament, bien sûr)