Chaque dimanche, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Willem Hanskamp, vice-président principal et chef des placements chez Gestion d'investissements Heward, à Montréal.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

Nous avons vu récemment des offres de prise de contrôle de grandes entreprises en Europe qui proviennent de leurs semblables américaines (Pfizer pour Astra Zeneca, GE pour Alstom).

Ces offres semblent motivées en partie par des considérations fiscales, avec la possibilité de déménager des sièges sociaux vers des juridictions fiscalement avantageuses.

Cela survient dans un contexte où plusieurs grandes entreprises américaines ont accumulé d'énormes réserves de liquidités hors des États-Unis, qui sont en fait leurs profits internationaux qu'elles évitent de rapatrier pour des raisons fiscales.

Or, ces entreprises semblent maintenant vouloir utiliser ces réserves de liquidités pour faire des acquisitions de croissance hors des États-Unis.

Par conséquent, je ne serais pas surpris de voir bientôt d'autres projets d'acquisitions ou de fusions à l'étranger de la part de grandes entreprises américaines. Et pas seulement en Europe. Même des entreprises canadiennes pourraient en être touchées.

Dans ce contexte, chez Heward, nous aimons mieux investir ces temps-ci dans des actions internationales et canadiennes plutôt qu'américaines. En se basant sur leur valeur courante, d'une part, mais aussi sur leur potentiel de plus-value si le niveau d'activités en fusions et acquisitions d'entreprises devait s'accroître.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Les meilleurs indicateurs de l'activité économique, à mon avis, se retrouvent parmi les « indices des directeurs d'achats » (indices PMI en anglais). Ces indices sont mesurés selon les principaux secteurs d'activité économique, mais aussi selon les pays ou les principales régions économiques.

L'avantage de « prévisibilité » de ces indices PMI est certainement supérieur à la plupart des autres indicateurs avancés parce qu'ils nous informent sur la perception de l'économie du point de vue des dirigeants d'entreprise.

Par conséquent, ces indices PMI sont de bien meilleurs indicateurs de l'état réel de la croissance économique dans un pays ou une région.

De mon expérience, le suivi de ces indices PMI de mois en mois s'avère relativement fiable pour anticiper l'évolution de la conjoncture économique dans un secteur d'activité ou une région donnée.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Nos portefeuilles sont toujours assez bien diversifiés, mais nous privilégions divers thèmes d'investissement à la fois.

L'un de ces thèmes est la recherche d'actions d'entreprises à bon potentiel de hausse de leur dividende. Cela nous amène à investir surtout dans des entreprises qui ont des bénéfices et des flux de trésorerie prévisibles, et qui ont augmenté leur dividende sur une base régulière dans le passé.

Les actions de ce type d'entreprises ont très bien fait au cours des dernières années. Et même si, cette année, elles semblent être moins performantes, c'est parce qu'on les compare au rebond des secteurs de l'énergie et des matières. Pourtant, ce sont deux secteurs beaucoup plus risqués et moins prévisibles sur les plans du bénéfice et de leur politique de dividende.

Dans ce contexte, je m'attends à que les actions à dividendes croissants regagnent bientôt la faveur des investisseurs boursiers, alors que les marchés cherchent leur voie.

Pour les particuliers investisseurs, il y a plusieurs moyens d'investir dans ce type d'actions à dividende croissant, notamment par des fonds négociés en Bourse (FNB) et des fonds communs spécialisés.

Toutefois, il faut prendre garde à ne pas confondre les actions à bon potentiel de croissance du dividende et les actions d'entreprises à dividende déjà élevé. Ces dernières cachent parfois un risque élevé de réduction de dividende - et donc de forte dépréciation en Bourse - en cas de difficultés momentanées, avec leurs revenus et leur bénéfice.

L'un de nos autres thèmes d'investissement ces temps-ci se trouve du côté des économies émergentes. Les marchés boursiers dans ces économies ont pris du retard en raison d'un cycle de croissance ralentie. Mais nous croyons que ce cycle défavorable se terminera bientôt.

Par conséquent, nous suivons particulièrement les marchés de l'Asie du Sud-Est et de l'Europe de l'Est, à l'exclusion de la Russie. Parmi les marchés du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), nous préférons l'Inde.

Pour la plupart des particuliers investisseurs, le meilleur moyen d'investir dans ces marchés est sans doute d'utiliser des FNB qui se concentrent dans ces régions ou dans certains pays en particulier

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Pour l'essentiel : le marché de l'or et les titres des entreprises aurifères.

C'est encore très difficile de bien comprendre les fondements de ce marché et, partant, d'en dégager une perspective fiable.

La dernière fois que le prix de l'or a beaucoup bougé en hausse, c'était lorsque les deux principales devises du monde, l'euro et le dollar américain, étaient toutes deux considérées comme risquées et vulnérables. Mais ce n'est plus le cas, ce qui réduit considérablement l'attrait de l'or comme valeur refuge.

Certes, une telle conjoncture de stress monétaire pourrait se reproduire à l'avenir. Mais pour le moment, il n'y a aucun indice à cet effet à l'horizon économique.

Évidemment, des facteurs à court terme pourraient faire sursauter le prix de l'or, comme la situation en Ukraine ou d'autres événements géopolitiques. Mais ces facteurs ne semblent pas assez forts pour faire renaître un cycle haussier du prix de l'or.

Dans ce contexte, je considère que, pour l'avenir prévisible, les actions du secteur aurifère ne présentent pas de bon potentiel de valorisation à long terme.

D'ailleurs, nous n'en avons plus dans nos portefeuilles.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

Avec tout l'accent mis sur le ralentissement de la croissance en Chine, les marchés émergents en général ont été relégués à l'arrière-ban parmi les investisseurs boursiers internationaux.

Pourtant, je crois qu'ils en sont rendus à sous-estimer le potentiel de valorisation des placements dans les marchés émergents.

D'autant plus que, dans certains marchés d'importance comme la Chine, on voit maintenant en Bourse des multiples cours/bénéfice à leur plus bas niveau depuis plusieurs années.

C'est de plus en plus attrayant pour la portion « croissance » des portefeuilles de placements.

Cela dit, c'est vrai que les marchés boursiers des pays émergents ont connu une période difficile au cours des dernières années, en raison surtout d'une croissance économique nettement ralentie par rapport à son rythme antérieur.

Il faut considérer qu'une telle croissance était insoutenable à moyen et long terme. Depuis quelques mois, on voit une amélioration des indicateurs de croissance dans plusieurs économies émergentes en dehors du BRIC. C'est le cas notamment au Mexique, en Malaisie et aux Philippines du côté de l'Asie, ainsi qu'en Pologne et en République tchèque du côté de l'Europe.

Ce regain de croissance semble passer encore relativement inaperçu parmi les investisseurs boursiers internationaux, qui se concentrent trop, à mon avis, sur les chiffres encore décevants qui nous parviennent des économies du BRIC.

Pourtant, c'est en Russie et au Brésil que les problèmes sont plus sérieux et vraiment nuisibles à la croissance économique pour l'avenir prévisible.

Dans les autres pays du BRIC, l'Inde pourrait se démarquer prochainement si le nouveau gouvernement [élu la semaine dernière] parvient à lancer des mesures pour rehausser la situation économique.

En Chine, la croissance économique ralentit. Mais autour de 7 %, elle demeure tout de même avantageuse et, surtout, de meilleure qualité qu'auparavant.

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Willem Hanskamp est vice-président principal et chef des placements chez Gestion d'investissements Heward. Cette firme montréalaise gère 850 millions en actifs provenant surtout de fortunes privées de la grande région de Montréal et de l'est de l'Ontario, dont Ottawa.

L'autre part de la clientèle de Heward provient du secteur des investisseurs dits semi-institutionnels, comme les fondations privées et les fonds communs à distribution restreinte.