Si vous cherchez un appartement à louer, soyez sur vos gardes : des fraudeurs proposent des logements bidon sur les sites de petites annonces dans le but de soutirer de l'argent aux consommateurs trop peu méfiants. Ils ont fait de nombreuses victimes, en profitant notamment des failles du système de transfert de fonds de Western Union.

Un logement trop beau pour être vrai

Le Centre antifraude du Canada (CAFC) a reçu près de 700 plaintes, depuis janvier 2013, pour des fraudes liées à de fausses annonces d'appartements à louer. « Ce n'est que la pointe de l'iceberg, parce qu'on nous signale peut-être seulement 1 % des cas, note Daniel Williams, porte-parole du CAFC. C'est un fléau depuis quelques années. »

Malgré les efforts de certains sites web, comme Kijiji, pour déjouer les fraudeurs, ceux-ci réussissent encore à faire des victimes. Voici comment ils s'y prennent.

CHIFFRES :

Depuis janvier 2013, plaintes au Centre antifraude du Canada pour des annonces frauduleuses d'appartements : 688

Victimes ayant perdu de l'argent : 265

Sommes perdues : 326 300 $, soit 1230 $ par victime en moyenne.

Les règles de sécurité de Western Union mises en cause

Pour détrousser leurs victimes, les fraudeurs de divers pays utilisent les failles du réseau de transfert de fonds Western Union, dont les règles de sécurité semblent faciles à déjouer.

En principe, pour toucher un montant envoyé à son nom par Western Union, le destinataire doit montrer une pièce d'identité, fournir le numéro de transaction qui a été remis à l'expéditeur et, parfois, répondre à une question test.

Dans les faits, il semble que le numéro de transaction ne soit pas toujours exigé au moment de remettre l'argent, dans les comptoirs Western Union de certains pays. « On a entendu parler de plusieurs cas où les employés, à l'autre bout, ne respectaient pas les règles », souligne Daniel Gardner, professeur de droit à l'Université Laval.

C'est ce qui permet aux arnaqueurs de s'en mettre plein les poches, alors que les victimes sont convaincues que personne ne peut toucher à leur argent tant qu'elles gardent leur numéro de transaction secret.

C'est de cette façon que Steeve* s'est fait avoir, en janvier 2014. Après avoir repéré un appartement au coeur du Mile End loué 850 $ par mois sur un site web, il contacte l'annonceur, qui lui demande de lui envoyer l'équivalent de deux mois de loyer via Western Union. « Le fraudeur m'avait dit que sans le code de sécurité, il ne pourrait pas avoir accès aux fonds, raconte Steeve. On m'a dit exactement la même chose au bureau de Western Union à Montréal, où je suis allé pour faire le transfert. » À sa grande surprise, ses 1500 $ avaient disparu quelques minutes après qu'il a eu rempli un mandat pour la France.

« Dans beaucoup de cas, les arnaqueurs sont basés au Bénin ou au Nigeria, mais on a aussi eu des cas en Grande-Bretagne, au Danemark ou ailleurs au Canada, explique Daniel Williams, porte-parole du Centre antifraude de la GRC. Ce sont des groupes criminels très bien organisés qui ont des collaborateurs partout dans le monde. »

« Une fois que l'argent est envoyé, vous n'avez plus aucun recours. Les fraudeurs savent comment se servir du système de Western Union. C'est comme si vous leur remettiez votre argent dans un sac de papier brun. »

Des victimes québécoises de ce type d'arnaque ont cependant eu gain de cause aux petites créances contre Western Union.

Laxisme dans le respect des procédures

L'entreprise fait des mises en garde à ses clients, pour souligner que son service ne doit pas être utilisé pour conclure des transactions d'affaires. « Afin d'éviter d'être victime d'une fraude, n'envoyez jamais d'argent à un étranger via un service de transfert d'argent, écrit l'entreprise sur son site web. Méfiez-vous des occasions qui semblent trop belles pour être vraies. N'utilisez pas de services de transfert d'argent pour payer des enchères en ligne, par exemple. »

Les consommateurs qui se renseignent un peu auront facilement accès à des informations sur les méthodes des fraudeurs et pourront les reconnaître, évitant ainsi de s'y laisser prendre, souligne Daniel Gardner.

Cependant, à partir du moment où la firme promet à ses clients des transactions sécuritaires, protégées par un code de sécurité, elle doit respecter ses engagements. « La vigilance des consommateurs est endormie par la publicité de Western Union qui dit qu'il n'y a pas de danger, dit le professeur, spécialiste du droit des consommateurs. L'entreprise fait son argent en permettant le transfert de fonds dans tous les pays, alors c'est à eux de s'assurer que chacun des pays respecte la procédure. »

Comme les comptoirs Western Union sont installés dans divers commerces, ce ne sont pas des employés de l'entreprise qui effectuent les transactions, mais des mandataires qui touchent une commission. Cela explique sans doute pourquoi les procédures varient d'un endroit à l'autre, ouvrant de ce fait la porte à des erreurs, de la négligence ou de la fraude. « Comme Western Union préfère sous-traiter ses services, ils doivent en assumer les conséquences, dit M. Gardner. Ça leur coûterait plus cher d'avoir leurs propres employés avec leur propre bureau. Je suis sûr que, dans leur rapport coût-bénéfice, ils ont fait le calcul. »

* Nom fictif pour préserver l'anonymat.

Western Union condamnée à rembourser plusieurs victimes de fraude

Western Union a été condamnée plusieurs fois, en Cour des petites créances, à rembourser des milliers de dollars à des victimes de fraude, en raison des lacunes dans ses contrôles de sécurité qui ont permis aux criminels de faire main basse sur d'importantes sommes.

« Western Union a complété le transfert d'argent sans respecter les normes stipulées au contrat conclu avec [sa cliente] », écrit notamment la juge Josée Bélanger, dans une décision rendue en avril 2013 qui oblige l'entreprise à rembourser 2300 $ à une femme de Rouyn-Noranda. Jacqueline Gaumond, croyant acheter une voiture usagée annoncée sur Kijiji, avait transféré cette somme à un individu qui disait se trouver au Bénin pour son travail et qui s'est avéré être un fraudeur.

Avant le dépôt des fonds, l'employée du comptoir Western Union lui a affirmé que le numéro de transaction et la réponse à la « question test » étaient nécessaires pour que le destinataire retire l'argent. Elle n'a communiqué ces informations à personne, mais le fraudeur a quand même pu s'approprier les fonds.

Voici d'autres exemples de victimes de fraude qui ont réclamé des remboursements à Western Union aux petites créances :

-En janvier 2014, Western Union est condamnée à rembourser 545 $ à Louis Ross, de Montréal, qui avait envoyé ce montant aux États-Unis pour payer l'achat de marchandises commandées par l'internet, qui n'ont jamais été livrées. « Contrairement aux affirmations des employés [de Western Union], le destinataire a pu toucher les fonds sans fournir le numéro, ce qui a enlevé à [M. Ross] le contrôle de la transaction. [...] Le destinataire s'est payé sans l'autorisation du plaignant et sans lui envoyer les marchandises vendues », souligne le jugement.

-En novembre 2013, Western Union est condamnée à rembourser 4724 $ à Mance Plante, de Rouyn-Noranda. Comme Mme Gaumond, Mme Plante a transféré cette somme au pseudo-vendeur d'une voiture annoncée sur l'internet, qui disait se trouver au Sénégal pour son travail. Le destinataire a pu toucher l'argent, même si la plaignante ne lui a jamais transmis le numéro de transaction et la réponse à la « question test ».

-Guy Cossette, de Trois-Rivières, a transféré 6300 $ par Western Union à une femme rencontrée sur l'internet. Il s'agissait d'une Nigériane se faisant passer pour une Américaine grâce à de faux papiers d'identité. « Tel que requis par le demandeur, tous les transferts qui ont été exécutés ont fait l'objet d'une remise à la destinataire, laquelle produisait de fausses pièces d'identité. [Western Union] n'a aucunement participé à cette fraude, elle n'est qu'une intermédiaire, et le demandeur est victime de sa propre naïveté. Il a entretenu une relation à distance avec une personne inconnue, qui l'a floué, et a fait fi de nombreux indices qui auraient dû l'amener à douter des véritables intentions de la destinataire », indique le jugement rendu le 1er mars 2013, qui rejette la demande de remboursement de M. Cossette.

-En septembre 2012, Western Union est condamnée à payer 1740 $ à Ginette Lépine, de Saint-Hyacinthe, qui a été victime de fraude en envoyant de l'argent en Grande-Bretagne, à la suite d'échanges avec une agence de placement. Les sommes déposées chez Western Union devaient servir au paiement d'un visa pour la fille de Mme Lépine, Élisabeth, qui voulait partir travailler en Angleterre comme aide domestique pendant l'été. Élisabeth devait faire elle-même le retrait à son arrivée sur place, en présentant des pièces d'identité. Pourtant, quelqu'un a retiré l'argent dès que Mme Lépine l'a déposé. Western Union a été condamnée à payer 500 $ pour dommages moraux, en plus de rembourser les sommes perdues.

-En août 2012, Western Union est condamnée à payer 500 $ à Michel Binette, de Joliette, qui a envoyé cette somme pour la location d'un logement en Ontario. Bien que la victime ait eu l'assurance, au comptoir Western Union du Walmart de Joliette, que personne ne pourrait encaisser son envoi sans fournir le numéro de transaction, l'argent a été retiré. Western Union « n'a pas réussi à prouver que le numéro de contrôle de transfert d'argent n'a pu être acheminé au fraudeur par son propre système informatique ou par toute autre personne à l'interne », indique le jugement.

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Déjouez les fraudeurs

Conseils pour éviter les arnaques dans la recherche d'un appartement.

Méfiez-vous si :

1 - L'appartement est offert à un prix trop beau pour être vrai.

2-Le locateur n'est jamais en mesure de vous rencontrer en personne.

3-On demande de l'argent par virement électronique, surtout à l'étranger.

4 - On demande un virement par l'intermédiaire d'une entreprise de transfert de fonds (Western Union ou MoneyGram).

5 - On vous demande un acompte : au Québec, cette pratique est interdite. Un propriétaire a seulement le droit de demander le paiement du premier mois de loyer à la signature du bail.

Un truc pour vérifier la légitimité d'une annonce : faites un copier-coller d'une phrase dans un outil de recherche. Vous verrez peut-être que la même annonce a été reproduite avec des photos ou des informations différentes. Des applications de reconnaissance de photos permettent aussi de voir si les images de l'appartement ont été « empruntées », note Daniel Williams, du Centre antifraude. Pour pousser la recherche encore plus loin, vérifiez l'adresse et le nom du propriétaire de l'appartement au registre foncier (pour Montréal »»)

Sources : Kijiji, Régie du logement Québec, Centre antifraude du Canada, Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec.