Laurence et Thomas aiment tellement la maison dont ils sont locataires qu'ils souhaitent l'acheter. Ils ont de la chance: elle appartient aux parents de Thomas, Michelle et Réjean, qui sont disposés à leur vendre à prix d'ami, pour donner un coup de pouce à leur fils. Mais les généreux parents se demandent s'il y a une façon de réduire la facture fiscale qui accompagnera inévitablement cette transaction.

La propriété appartenait auparavant au père de Michelle. « Mon père a eu des problèmes financiers, alors, pour éviter qu'il ne perde sa maison, on l'a achetée en 2001, raconte la femme de 55 ans. Il a pu continuer ensuite d'y vivre sans frais. »

Prix de vente : 85 000 $, soit moins que la valeur marchande de l'époque.

Le grand-père est décédé en 2012. Quelques mois et 40 000 $ de rénovations plus tard, Laurence et Thomas s'installaient à leur tour dans la maison, moyennant un modeste loyer mensuel de 500 $. Un arrangement qui leur convenait, puisque Thomas n'avait pas terminé ses études et que Laurence démarrait sa carrière.

Comme Thomas s'attend à toucher un bon revenu d'ici quelques mois, lorsqu'il aura terminé son stage de fin d'études, et que le jeune couple aime son logis, ils sont prêts à devenir propriétaires.

La maison vaut aujourd'hui environ 220 000 $. Comment les parents devraient-ils procéder pour la vendre à Thomas et sa conjointe, tout en les aidant financièrement et en minimisant l'impôt sur le gain en capital ? Peuvent-ils vendre au rabais ? Ou alors aider leur fils pour la mise de fonds, en lui accordant un prêt sans intérêt ? « On serait prêts à l'aider à hauteur d'environ 20 000 $ », dit Michelle.

PORTRAIT

Laurence, 26 ans

Enseignante

Revenu : 55 000 $

Thomas, 26 ans

Étudiant

Revenu de la dernière année : 7000 $

Revenu de stagiaire pour les prochains mois : 50 000 $

Veulent acheter la maison qu'ils habitent où ils paient un loyer mensuel de 500 $

Épargne disponible pour la mise de fonds : 10 000 $

Michelle, 55 ans

Gestionnaire

Revenu : 77 000 $

Réjean, 53 ans

Entrepreneur

Revenu : 200 000 $

Propriétaires de la maison où habitent Laurence et Thomas

Valeur : 220 000 $

Libre d'hypothèques

Et de la maison où ils vivent

Valeur : 385 000 $

Libre d'hypothèques

***

Pour aider son enfant : prêt ou don ?

Michelle et Réjean ne pourront y échapper : ils devront vendre la maison à leur fils à sa juste valeur marchande et payer l'impôt sur la moitié du gain qu'ils ont réalisé depuis l'achat, puisqu'il ne s'agit pas de leur résidence principale. « S'ils vendaient sous la valeur marchande, ça ne serait pas accepté par le fisc, dit le fiscaliste Sylvain Chartier, expert-conseil à la Financière Banque Nationale. Pour l'impôt, chaque contribuable est présumé disposer d'un bien à sa juste valeur marchande. »

Un petit rappel : le gain en capital réalisé à la vente d'une résidence principale n'est pas imposable. Chaque contribuable peut désigner une résidence principale par année.

Pour aider leur fils, ils doivent donc trouver une autre stratégie que lui accorder un rabais. Un prêt sans intérêt ? Ça peut être une solution.

Sauf que Thomas et Laurence risquent d'être confrontés à un autre problème : ils ont 10 000 $ d'épargne disponible pour la mise de fonds. Cela correspond à 4,5 % du prix de vente de 220 000 $. Or, la mise de fonds minimale exigée par les institutions financières, avant d'accorder un prêt hypothécaire, est de 5 %. Et les prêts accordés par des proches ne peuvent être pris en compte dans le calcul.

Toutefois, « les dons non remboursables faits par un proche parent » sont acceptés pour la mise de fonds, indique le site web de la Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL). Michelle a justement évoqué l'idée que le prêt de 20 000 $ accordé à Thomas puisse se transformer en don, pour l'aider à partir dans la vie. Il faudrait que l'intention des parents soit claire dès le départ, pour que la banque accepte d'accorder un prêt à Thomas et Laurence. Leur mise de fonds serait donc de 14 % du montant de la transaction. Ils devront cependant payer la prime pour l'assurance hypothécaire de la SCHL, qui s'applique aux transactions avec une mise de fonds de moins de 20 %.

Faire reconnaître le don

Si cette option est retenue par les parents, la notaire Guylaine Lafleur, de la firme Bachand Lafleur, suggère une précaution supplémentaire : comme Thomas et Laurence deviendront copropriétaires de la maison, les parents voudront sans doute s'assurer que, advenant une rupture du couple et la vente de la propriété, leur fils récupérera le cadeau qu'ils lui ont fait au moment de l'achat.

« Ils pourraient signer une entente dans laquelle toutes les parties reconnaissent que le montant de 20 000 $ donné par les parents a servi à la mise de fonds pour l'achat, suggère Me Lafleur. En précisant qu'en cas de rupture ou de revente de la propriété, leur fils récupérera le montant du don et la plus-value sur cette somme. »

Cette précision pourrait aussi se retrouver dans l'acte de vente, mais comme il s'agit d'un document public, dont tous les citoyens peuvent prendre connaissance en consultant le registre foncier, note la notaire, on peut préférer ne pas y indiquer ce genre de détails. D'où sa suggestion de signer une entente distincte devant notaire.

« Le jeune couple pourrait en profiter pour signer une convention de copropriété dans laquelle ils indiquent quelles charges chacun va assumer en lien avec l'emprunt et les autres dépenses, si c'est au prorata de leurs revenus ou moitié-moitié, ajoute Me Lafleur. La reconnaissance du don pourrait être indiquée dans le même document. »

Comment réduire le gain en capital à la vente d'une propriété

Michelle et Réjean devront payer l'impôt sur le gain réalisé à la suite de la vente de leur deuxième propriété, mais il y a une façon de minimiser un peu la facture, puisque la maison est habitée par leur fils, selon Sylvain Chartier.

D'abord, le fiscaliste souligne que la maison occupée par Thomas ne pourrait être désignée comme résidence principale par les parents que pour la période où le fils y a vécu. « Vous pouvez désigner un bien comme étant votre résidence principale uniquement si vous, votre conjoint ou ex-conjoint, ou encore votre enfant, avez normalement utilisé ce bien comme logement dans l'année », indique Revenu Québec sur son site web. Même si c'est leur enfant majeur qui l'occupe, la deuxième propriété peut donc être considérée comme la résidence principale pour 2013 et 2014. Cette règle permet aussi, dans certains cas, de désigner un chalet comme résidence principale, s'il a pris plus de valeur que la maison principale et que les propriétaires veulent minimiser la facture fiscale.

Avant de décider quelle option devait être retenue, Sylvain Chartier s'est demandé ce qui serait le plus avantageux pour Michelle et Réjean. Voici un résumé de ses calculs :

Petite maison :

Payée 85 000 $ en 2001

Dépenses de rénovations de 40 000 $

Valeur de 220 000 $ en 2014

Gain : 95 000 $ en 13 ans

Soit 7300 $/an

Peut être désignée comme résidence principale pour 2 années (2013 et 2014) :

Pour un gain en capital de 14 600 $

Grosse maison :

Payée 185 000 $ en 1990

Valeur de 385 000 $ en 2014

Gain : 200 000 $ en 24 ans

Soit 8300 $/an

Pour 2013 et 2014 : gain en capital de 16 600 $

Si la petite maison devenait la résidence principale pour les deux dernières années, Michelle et Réjean ne pourraient pas profiter de l'exonération sur le gain en capital, pour ces deux années, à la vente de leur propre maison. Comme ils envisagent de vendre dans un avenir rapproché, ce n'est pas avantageux. « Généralement, on exempte la propriété ayant le plus gros gain en capital, explique M. Chartier. S'ils projetaient de vendre leur résidence dans 25 ans, ils pourraient choisir de prendre tout de suite l'exemption, mais ce n'est pas le cas. »

Le fiscaliste leur donne tout de même un truc pour économiser quelques milliers de dollars. Lors du calcul des années de détention d'une résidence principale, le fisc accorde une année de grâce. Par exemple, si Réjean et Michelle vendent leur résidence en 2015, ils peuvent calculer leur gain en capital en utilisant 24 années de détention plutôt que 25. L'année qu'ils n'ont pas utilisée est donc libre et peut servir à l'exemption sur le gain en capital pour la petite maison.

Confus ? Voici l'explication :

Quelle résidence principale selon les années ?

1990 à 2012 : grosse maison

2013 : petite maison

2014 et 2015 : grosse maison

Total des années d'exemption de l'impôt sur le gain en capital :

Grosse maison : 25 ans

Petite maison : 1 an

Comme la petite maison a elle aussi droit à cette année de grâce, elle peut donc être exemptée de l'impôt pendant deux des 13 années de détention, soit 15 % du gain en capital, ce qui représente 14 200 $ d'exemption. Le gain en capital à déclarer est donc réduit à 80 800 $, et la moitié de cette somme est imposable, soit 40 400 $. Étant donné leur taux d'imposition, ils devront payer 18 200 $ d'impôts lors de la vente. S'ils n'avaient pas utilisé cette stratégie, leur facture aurait totalisé 21 400 $, soit 3200 $ de plus.

Sylvain Chartier rappelle que si les parents doivent déclarer un gain en capital plus élevé, c'est que le prix payé au père de Michelle était inférieur à sa valeur marchande. S'ils avaient payé la maison au juste prix, leur facture aurait été moins salée.