Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Dominique Vincent, vice-présidente et gestionnaire de portefeuilles privés chez la firme MacDougal, MacDougal & MacTier, à Montréal.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

La situation en Ukraine a certainement eu une incidence sur les marchés au début de la semaine, en faisant augmenter le prix du pétrole, de l'or et des denrées et en faisant reculer les bourses à l'échelle mondiale.

Les marchés réagissent rapidement aux bonnes comme aux mauvaises nouvelles, mais ces mouvements - parfois violents - ont tendance à être de courte durée. J'exclus la crise de 2008 dans cet énoncé, car nous avons connu et nous subissons toujours les impacts d'une crise structurelle, qui a ébranlé les fondements mêmes de notre système financier.

Dans le cas de la crise en Ukraine, la diminution des tensions à court terme s'est aussitôt traduite par un recul du baril et de l'or, combiné à une remontée des Bourses.

Toutefois, cette situation demeure sérieuse. Une détérioration pourrait avoir une incidence majeure sur l'économie européenne, qui demeure dans une situation fragile, mais également sur le reste du monde.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Comme gestionnaire de nombreux portefeuilles privés et diversifiés, je demeure à l'affût de plusieurs indicateurs.

Je suis la progression de l'économie américaine, notamment les chiffres relatifs à l'emploi, la production manufacturière, les nouvelles constructions.

Les gouvernements et les banques centrales ont joué un rôle important dans la reprise. Les entreprises sont en meilleure position, après avoir fait le ménage dans leur bilan dans un contexte de faibles taux d'intérêt. Elles doivent maintenant reprendre leur rôle de moteur de la croissance et de la création d'emplois.

Quant aux marchés boursiers, ils ont connu une très forte reprise depuis la crise de 2008 et certains sont inquiets devant la possibilité d'un repli, parce qu'ils seraient surévalués. Je suis moins de cet avis, tout en demeurant attentive aux multiples de valeur en Bourse.

Les rendements boursiers sur cinq ans ont en effet été remarquables. Mais si vous regardez la progression de l'indice Dow Jones depuis le sommet de décembre 2007, son rendement annualisé est plus modeste, de l'ordre de 5,6 %.

Sur la Bourse canadienne, l'indice S & P/TSX demeure sous le sommet atteint en juin 2008.

Les multiples cours/bénéfice, qui étaient alors de 18 fois environ, sont aujourd'hui autour de 17 fois les bénéfices courants. Et à 15 fois les bénéfices de l'an prochain.

Pendant ce temps, les taux d'intérêt demeurent historiquement faibles. En fait, le rendement en dividende sur le S&P/TSX est d'environ 3 %, comparativement à 2,4 % sur les bons du Trésor de 10 ans.

Par ailleurs, en marge des marchés boursiers, je considère les clients-investisseurs avec qui je travaille comme un indicateur très puissant.

Je pose beaucoup de questions afin de comprendre les tendances de consommation et les enjeux auxquels font face les entreprises où ils travaillent ou qu'ils dirigent.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

L'ensemble des actifs de portefeuilles privés que je gère est composé approximativement d'un tiers en titres à revenu fixe (obligations à court terme et à taux flottants) et d'un tiers dans la Bourse américaine, surtout des entreprises qui participent à la croissance de l'économie mondiale.

Néanmoins, l'activité économique aux États-Unis demeure un facteur important, tant dans le secteur de l'énergie que de la production manufacturière. Dans l'énergie, j'apprécie notamment l'entreprise Schlumberger, dans les technologies et les services à la production pétrolière.

Dans le secteur industriel, mes placements incluent Lyondellbassell (pétrochimie) ainsi que le conglomérat GE et le groupe d'ingénierie Fluor. Je m'intéresse aussi à l'industrie automobile.

Quant au troisième tiers des actifs que je gère, il est dans la Bourse canadienne, principalement des actions d'entreprises de télécommunications, des services financiers, des pipelines et de l'énergie.

Au Canada, je continue à investir dans le secteur financier, soit dans les banques, mais également dans les compagnies d'assurances, dont Manuvie.

Dans les autres secteurs, je considère aussi comme achats des entreprises comme Canadian Tire (consommation), Baytex (énergie) et Absolute Software (technologie).

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci?

La diversification est importante dans les portefeuilles privés que je gère. Je n'évite donc pas un secteur, mais je modifie la pondération entre les secteurs en fonction de l'évolution du contexte économique.

Actuellement, je réduis mes positions dans les secteurs qui ont profité de la faiblesse des taux, comme les pipelines et les télécommunications.

Une hausse éventuelle des taux risque d'avoir une incidence négative sur les marges bénéficiaires de ces entreprises, parce qu'elles ont un niveau d'endettement élevé.

Aussi, nombre de ces entreprises s'échangent à des multiples de valeur boursière relativement élevés. Le multiple cours/bénéfice, le taux d'endettement et l'usage des flux monétaires sont des critères importants, à mon avis.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

L'or. Les coûts de production ont augmenté et peu de mines sont rentables au niveau actuel. Il n'y a pas de découverte majeure et la demande demeure forte, particulièrement en provenance de la Chine, de l'Inde et de l'Europe.

Je favorise donc les placements dans les lingots d'or ou les producteurs aurifères à faible coût, comme Goldcorp.

Par ailleurs, après une forte baisse, le secteur des matières premières pourrait bientôt représenter une occasion de placement. Mais je demeure prudente, car nous sous-estimons peut-être les difficultés de la Chine à maintenir sa croissance industrielle dans un environnement sain.

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À titre de vice-présidente chez MacDougal, MacDougal & MacTier, Dominique Vincent gère surtout les portefeuilles de quelque 200 familles fortunées provenant du Québec, d'ailleurs au Canada et de France.

Dirigée de Montréal, la firme surnommée 3Macs est la descendante d'ex-firmes de placement de longue expérience qui se sont regroupées au fil des ans. 3Macs comptabilise plus de 5 milliards en actifs sous gestion provenant d'une clientèle fortunée desservie par 5 bureaux, au Québec et en Ontario, qui regroupent 200 employés.