Il sera bientôt temps de rentrer au bercail. Carole habite aux États-Unis depuis 1995 et prévoit revenir au Québec en 2014.

Elle avait auparavant travaillé sept ans dans le milieu hospitalier québécois.

«Je travaillais pour une entreprise américaine au Québec et j'ai été transférée en Californie, raconte-t-elle. Finalement, j'ai passé la plus grande partie de ma carrière aux États-Unis.»

Elle travaille maintenant sur la Côte Est, toujours pour la même entreprise.

«J'ai l'intention de prendre une jeune retraite pour aller faire autre chose.»

Elle aura 50 ans en 2014, révèle-t-elle.

«Chez mon employeur, l'âge minimal pour la retraite est 50 ans et 10 ans de service, et je vais avoir 22 ans de service avec eux, explique Carole. J'ai commencé à 38 ans à préparer ma retraite pour la prendre à 50 ans.»

Il y a trois ans, elle a acquis une maison en Estrie, louée pour l'instant, qu'elle prévoit occuper l'été prochain. «Un des dominos très importants pour que je puisse prendre ma retraite est que ma maison au Québec soit payée. En principe, elle devrait l'être en juillet 2014.»

Elle possède une maison aux États-Unis, qui sera mise en vente l'an prochain. «Dans la région où j'habite, dit-elle, les propriétés se vendent assez bien.» Elle estime qu'après les frais de courtage immobilier, le remboursement du solde hypothécaire et les coûts de son déménagement, il lui restera environ 10 000 $ en poche.

Ses interrogations: comment organiser sa retraite au Québec alors que ses économies et son fonds de retraite sont de l'autre côté de la frontière?

Son employeur a un régime de retraite qui procurera à Carole une prestation mensuelle de 4069 $. Elle participe aussi à un régime 401K - l'équivalent approximatif de nos REER - , auquel elle a contribué avec son employeur.

Elle possède des « restricted stock units » de son entreprise - des unités d'action assujettie à des restrictions, selon l'OLF - , c'est-à-dire des actions qui ne tombent véritablement en sa possession qu'après un certain temps passé au service de l'entreprise.

Elle a enfin acheté des parts de fonds communs par l'intermédiaire d'une firme spécialisée en planification financière.

«Je détiens une assurance vie qui peut se convertir en soins longue durée, ajoute-t-elle. C'est ma dernière acquisition, parce que je ne sais pas comment ça fonctionne au Québec à présent par rapport aux soins de santé, etc.»

Ainsi bardée, elle ne s'inquiète pas du confort de sa retraite - elle est prête à travailler à temps partiel si nécessaire - , mais ignore comment elle s'organisera.

«Ce que je veux vraiment comprendre, c'est ce que mes économies américaines vont donner au Québec», indique Carole. « Je ne connais rien à propos du transfert au Québec de l'argent détenu aux États-Unis. Que se passe-t-il avec les impôts?»

PORTRAIT

Carole, 49 ans

Célibataire et sans enfant

Possède une maison aux États-Unis. Liquidités après vente et déménagement : 10 000 $

Possède aussi une maison au Québec, en location pour l'instant. Le solde hypothécaire de 47 000 $ sera entièrement acquitté en juillet 2014.

Unités d'actions assujetties à des restrictions : une valeur de 82 000 $ est déjà acquise ; 76 000 $ seront encore acquis d'ici 2016.

Prestation de retraite du régime de son employeur : 4069 $/mois

Pension fédérale américaine : 1765 $ à partir de 62 ans

Assurance vie/soins de longue durée : 450 000 $

90 % de la valeur de la police peut être utilisée en soins de longue durée.

Fonds communs détenus aux États-Unis : 46 000 $

PERSPECTIVE : L'ABC DU TRAVAIL À L'ÉTRANGER

Pour savoir à qui payer vos impôts et à qui réclamer vos prestations de sécurité sociale, il faudra déterminer si vous êtes un résident de fait, un résident réputé, un non-résident ou un non-résident réputé du Canada.

Vous êtes résident canadien de fait si vous gardez des liens de résidence importants au Canada pendant que vous vivez à l'étranger - votre travail à l'étranger est temporaire, par exemple. Aux fins de l'impôt, vous êtes résident canadien.

Est-ce un départ permanent?

Un Canadien qui travaille et réside à l'étranger de façon permanente peut néanmoins avoir un statut de résident canadien réputé. C'est le cas, par exemple, des membres des Forces canadiennes, ou des personnes qui travaillent dans un pays avec lequel une entente fiscale a été signée, et qui sont exemptés de l'impôt de ce pays sur 90 % de leurs revenus de toutes provenances.

Si vous vous établissez à l'étranger et rompez vos liens de résidence avec le Canada, vous devenez un non-résident. L'année de votre départ, vous avez aux yeux du fisc un statut d'émigrant.

Mêlons encore plus les cartes : un résident canadien (de fait ou réputé) pourrait avoir un statut de non-résident réputé aux fins de l'impôt. Ce sera le cas si, selon les clauses d'une convention fiscale signée avec un pays étranger, on est considéré comme résident de ce pays.

Au Canada, le non-résident réputé est soumis aux mêmes règles fiscales que le non-résident.

Les revenus gagnés à l'étranger

Si vous avez un statut de non-résident canadien ou de non-résident réputé, l'impôt sur le revenu sera payé dans votre pays de résidence selon les lois qui y sont en vigueur.

Si vous résidez au Québec durant toute l'année civile et que vous gagnez un revenu partiel à l'étranger durant la même année, vous devrez déclarer au Québec - et au Canada, bien sûr - tous les revenus gagnés à l'extérieur - revenus d'emplois, revenus d'intérêts, revenus d'entreprise, prestations d'assurance-emploi. Dans vos déclarations provinciale et fédérale, vous pourrez toutefois demander un crédit pour l'impôt sur le revenu payé à l'étranger.

La pension de la Sécurité de la vieillesse fédérale

Premier critère pour toucher la pension de la Sécurité de la vieillesse du Canada (PSV): vous devez avoir 65 ans.

Vous habitez au Canada au moment de votre demande? Vous devez avoir le statut de citoyen canadien ou de résident autorisé et avoir habité au Canada pendant au moins 10 ans après l'âge de 18 ans. C'est déjà le cas de Carole, qui touchera donc la PSV.

Vous habitez à l'étranger au moment de votre demande? Vous deviez avoir le statut de citoyen canadien ou de résident autorisé le jour précédant votre départ. Vous devez en outre avoir habité au Canada pendant au moins 20 ans après l'âge de 18 ans.

Vous ne satisfaites pas aux critères d'aucune de ces deux situations? Tout n'est pas perdu. Vous pourriez tout de même toucher une pension du Canada, d'un autre pays, ou même des deux, si vous avez habité dans l'un des pays qui ont conclu un accord de sécurité sociale avec le Canada, ou encore si vous avez cotisé au régime de sécurité sociale d'un de ces pays.

Le Canada a conclu des conventions fiscales avec quelque 90 pays. De son côté, le Québec a signé des ententes avec 32 d'entre eux.

Assurance maladie 

Si vous résidez à l'étranger pendant 183 jours ou plus durant l'année, vous n'êtes plus admissible au régime d'assurance maladie du Québec. Si vous vous établissez à l'extérieur du Canada de façon permanente, vous n'êtes plus couvert à compter du jour de votre départ. Vous devez aviser la RAMQ et rendre votre carte d'assurance maladie dès que possible. L'assurance médicaments prend également fin le jour du départ.

Le retour au Québec

Quand vous rentrez au Québec de façon permanente, toutefois, vous regagnez votre admissibilité à l'assurance maladie. Le plus tôt possible à votre retour, communiquez avec la RAMQ pour obtenir et remplir un formulaire d'inscription.

«Pour un citoyen québécois qui rentre au Québec, il y a toutefois une période d'attente de trois mois après son inscription, ce qu'on appelle un délai de carence, explique Catherine Poulin, porte-parole de la Régie de l'assurance maladie du Québec. La régie ne rembourse pas les frais de santé engagés durant cette période, sauf exception.»

Il faudra donc prévoir pour l'intervalle une assurance maladie privée, avise la fiscaliste Brigitte Rémillard.

Rente de retraite de la RRQ

Vous avez travaillé au Québec et avez des revenus de travail inscrits au Régime de rentes du Québec? Où que vous habitiez, vous pourrez toucher, dès 60 ans (ou plus tard, à votre choix), la rente à laquelle votre âge et vos cotisations vous donnent droit.

Vous pouvez demander à la Régie des rentes du Québec (RRQ) de vous verser votre rente en devises étrangères.

La pension gagnée à l'étranger? 

Votre conjoint ou vous avez travaillé dans un pays signataire d'une entente de sécurité sociale avec le Québec? Si vous avez contribué au régime de sécurité sociale de ce pays, vous pourriez toucher une rente de retraite de ce pays, ou encore une prestation pour invalidité ou une prestation de conjoint survivant.

Des ententes ont notamment été signées avec les États-Unis, plusieurs pays européens, le Maroc, les Philippines, le Chili, l'Uruguay, la Dominique.

«Certains pays ne permettent pas de laisser sortir l'argent du pays, explique Nicole Poirier, chef du Bureau des ententes de sécurité sociale du Québec. L'entente permet à des gens qui vivent au Québec et qui ont travaillé dans un des pays avec lesquels une entente a été signée de faire la demande et de recevoir cette pension. On accompagne les gens dans leurs démarches dans un des 32 pays avec lesquels il y a une entente.»

Cette rente étrangère n'influe en rien sur la rente de la RRQ à laquelle vous auriez droit. L'inverse n'est cependant pas toujours vrai: dans certains pays, les rentes versées au Québec peuvent réduire les prestations touchées à l'étranger.

«L'autre avantage est ce qu'on appelle la revalorisation, poursuit Mme Poirier. Si une personne peut avoir droit à une pension de retraite, de survivant ou d'invalidité mais n'a pas cotisé suffisamment pour y être admissible, il y a alors un échange de renseignements entre les deux pays. Le fait d'avoir cotisé au Québec pourrait lui permettre de la rendre admissible.»

SOLUTION : LES JOIES FISCALES DU RETOUR À LA MAISON

Simplifions au maximum: Carole a tout intérêt à consulter un spécialiste québécois en fiscalité américaine. Ou, si elle préfère, un spécialiste américain en fiscalité québécoise - si elle le trouve.

Mais pour lui donner déjà un avant-goût de cet agréable moment, Brigitte Rémillard, directrice principale pour la fiscalité américaine chez Deloitte, à Québec, énonce à son intention quelques principes.

«Pour savoir comment une personne est imposée, il faut déterminer de quel pays elle est résidante», indique-t-elle d'abord.

Pas moyen de laisser ses responsabilités fiscales derrière soi : elles traversent la frontière. «En s'établissant au Canada, Carole devient résidante du Canada, et elle sera imposée au Canada sur ses revenus mondiaux.»

Ennui : parce qu'elle détient une carte verte de résident permanent aux États-Unis, «elle demeure, aux fins fiscales, résidente américaine également, ajoute-t-elle. Ce qui veut dire qu'elle est imposée aux États-Unis sur ses revenus mondiaux, tant qu'elle conserve sa carte verte.»

Les rentes versées par le régime de retraite de son employeur américain, tout comme les retraits de son régime enregistré 401(k), seront donc imposables des deux côtés de la frontière. Hélas.

C'est le pire des deux mondes, mais rassurons-nous: la Convention fiscale signée entre les deux pays permet d'éviter, ou à tout le moins de réduire, la double imposition.

Un des deux pays accordera généralement un crédit pour les impôts payés dans l'autre. Lequel a l'initiative de cette amabilité?

«On regarde le pays de résidence et la source des revenus, répond Brigitte Rémillard. Généralement, pour la personne qui réside au Canada et qui reçoit une pension de retraite en provenance des États-Unis, c'est le Canada qui va accorder un crédit pour impôt étranger.»

Essayons d'en tirer une règle: pour un résidant canadien, «de façon générale, on peut poser en principe que c'est le Canada qui va donner le crédit pour impôt étranger sur les revenus de sources américaines, formule-t-elle. Si la personne est également résidente américaine, les États-Unis accorderont de leur côté un crédit d'impôt sur les revenus de sources canadiennes».

Dans certains cas, une part des revenus pourrait tout de même subir une double imposition. Sur certains revenus dits passifs en provenance des États-Unis - les dividendes, par exemple -, le crédit pour impôt étranger accordé au Canada serait limité à 15 %, même si le taux de l'impôt payé à l'étranger a été supérieur.

Vaut-il la peine alors de remettre sa carte verte américaine? Une fois la carte verte abandonnée, certains revenus passifs pourraient par exemple être imposés aux États-Unis au taux unique de 30 %, plutôt qu'aux taux gradués habituels, lesquels peuvent atteindre 39,6 %, voire dans certains cas 43,4 %.

Mais il faut d'abord être certain que la décision de rentrer au Québec est définitive et consulter un avocat spécialisé en immigration américaine.

Prestations de sécurité sociale

Les prestations de sécurité sociale américaines font pour leur part l'objet d'une entente spécifique. «Selon la Convention, la pension de sécurité sociale américaine ne sera pas taxable aux États-Unis, mais seulement dans le pays de résidence, soit au Canada, explique notre experte. Carole aura droit à une déduction fiscale de 15 %, et ne sera donc imposée au Canada que sur 85 % de ce revenu.»

Le régime de pension 401(k)

En vertu de la Convention, les revenus gagnés dans le 401(k) - semblable à un REER collectif - s'accumulent à l'abri des impôts américains et canadiens, tant qu'ils demeurent dans le régime. «Carole pourrait donc laisser les sommes dans le régime jusqu'à la retraite, même après son retour au Canada», observe Brigitte Rémillard.

Toutefois, si elle préfère gérer les sommes elle-même et les rapatrier au Canada, il est possible de les transférer dans un REER canadien, sans égard aux droits de cotisation accumulés au Canada... si les règles relatives aux transferts sont respectées, bien sûr.

Mais pourquoi faire les choses simplement: dans un tel cas, les sommes retirées du 401(k) constituent un revenu pleinement imposable aux États-Unis, tout comme c'est le cas dans le cadre d'un retrait dans un REER canadien. L'impôt américain, qui peut atteindre 39,6 %, pourra donner droit au Canada à un crédit pour impôt étranger, jusqu'à concurrence des impôts canadiens payables sur ces revenus.

«Si c'est fait de la bonne façon et que Carole respecte les conditions fiscales d'un transfert, les impôts payés aux États-Unis pourraient être récupérables au Canada en tout ou en partie, souligne Mme Rémillard. Mais il faut qu'il y ait des impôts à payer au Canada!»

En effet, si Carole transfère ainsi quelque 400 000 $ en une seule fois, la facture fiscale américaine pourrait approcher 160 000 $. Il est peu probable que ses autres revenus imposables au Canada soient suffisamment élevés pour qu'une telle somme puisse être entièrement récupérée grâce au crédit pour impôt payé à l'étranger.

«Souvent, il faut faire une simulation pour voir si c'est vraiment avantageux», précise la fiscaliste.

Malgré tout, les Canadiens préféreront souvent transférer ces sommes au Canada pour faciliter la gestion.

Pour réduire l'impact fiscal, Carole pourrait faire son retrait en deux ans, voire davantage. Il faut toutefois s'assurer de bien respecter les règles, car seuls les transferts de sommes forfaitaires sont admissibles, avise Mme Rémillard. «Normalement, c'est une bonne option quand c'est bien fait et qu'on planifie adéquatement.»

Autre précaution: tout retrait du 401k avant cinquante-neuf ans et demi encourt généralement une pénalité automatique de 10 %.

Fonds communs américains

Que se passe-t-il avec les fonds communs non enregistrés? À l'arrivée de Carole au Canada, il y aura « disposition et acquisition réputée» des placements à leur valeur du jour. «Dans ce cas-là, il est important de demander à son courtier de fournir un relevé des valeurs marchandes au jour du retour au Canada», avise Mme Rémillard. Lorsque Carole disposera réellement de ses placements, seule la variation de valeur après l'arrivée au Canada sera considérée par le fisc.

Rien n'empêche d'ailleurs Carole de se départir de ses fonds et d'être imposée en conséquence aux États-Unis, puis de réinvestir les liquidités une fois qu'elle sera rentrée au Canada.

La maison aux États-Unis

Le même principe s'applique d'ailleurs à sa propriété américaine. «Si, en arrivant au Canada, sa maison aux États-Unis n'est pas encore vendue, il y a encore une disposition et acquisition réputée à la valeur marchande au moment de l'entrée au pays. Il est habituellement préférable de la vendre le plus rapidement possible.»

Complexe? C'est un mauvais moment fiscal à passer, mais la retraite fera tout pardonner.