Depuis cinq ans, Béatrice est propriétaire d'un duplex évalué à 256 000 $ dans le secteur Lemoyne tout près de Saint-Lambert. L'enseignante de 38 ans occupe tout le rez-de-chaussée qui est pourvu d'une grande cour. Éventuellement, elle pourrait louer son appartement pour environ 750 $ par mois.

Actuellement, elle paie une hypothèque de 220 000 $. Le logement du haut lui rapporte 650 $ mensuellement. En renégociant son hypothèque, elle a libéré une marge de crédit de 30 000 $. «J'aimerais bien réinvestir cet argent en achetant un autre duplex, idéalement un triplex et même un quadruplex.»

«Ce n'est pas seulement pour faire de l'argent, précise-t-elle. Je veux jouer au Monopoly et garder longtemps mes immeubles. Je veux aussi me créer une sécurité au cas où un jour, je voudrais faire autre chose qu'enseigner.»

À l'approche de la fin de l'année financière, elle observe que les prix baissent de façon notable. «En avril, on demandait 460 000 $ pour un triplex dans la rue Iberville à Montréal et en novembre, il revenait à 430 000 $.»

Béatrice se demande si elle doit conserver ce pécule de 30 000 $ pour entreprendre des travaux de rénovation. Elle prévoit la réfection du toit de son duplex.

D'autre part, elle est fortement tentée par l'idée d'acheter un condominium situé dans le sud-ouest de Montréal qui coûte environ 240 000 $.

Ses craintes: «J'ai peur de l'endettement si je ne loue pas immédiatement un logement devenu vacant. Je risque d'être juste dans mes paiements. Puis, à 38 ans, j'ai envie de me gâter et de me rendre au Brésil en juin 2014, une dépense d'environ 5000 $.»

PORTRAIT

Béatrice, 38 ans

Enseignante au secondaire

Salaire : 68 000 $

REER : 28 000 $ + Fonds FTQ : 12 000 $

CELI : 0 $

Bien immobilier : Immeuble d'une valeur de 256 000 $ acheté en 2008

Hypothèque : 220 000 $ (1200 $ par mois)

Taxes municipales et scolaire : 2146 $

Assurances, maison et voiture : 1600 $

Électricité : 121 $ par mois

Cellulaire : 30 $ par mois

Nourriture : 200 $ par mois

Essence : 160 $ par mois

Sorties : 10 $ par mois

Épargne : 3000 $

Droits de scolarité : 1000 $ par année

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Un choix inéluctable: réinvestir dans son duplex

Le planificateur et banquier privé, Pierre D'Argenzio, de RBC Gestion de patrimoine, suggère à Béatrice de réinvestir d'abord dans son duplex. «Si elle veut maintenir la qualité et la valeur de son immeuble, elle n'a pas le choix d'entreprendre des rénovations.»

«La réfection d'un toit, ajoute-t-il, représente un investissement important. Elle doit le prévoir.»

L'expert financier recommande de se servir de la marge de crédit de 30 000 $ pour des rénovations. «Par la suite, elle devrait se constituer un fonds d'urgence, soit l'équivalent de neuf mois de salaire.»

L'enseignante de 38 ans évitera ainsi de s'endetter dans le cas du départ précipité d'un locataire ou de réparations majeures qui peuvent survenir inopinément.

En dehors de son travail, Béatrice a entrepris un certificat en sciences de l'environnement à l'UQAM. Elle admet s'astreindre à une vie ascétique. Elle consacre environ 100 $ par mois pour ses sorties et 200 $ pour la nourriture.

Si Béatrice investit dans l'achat d'une autre propriété, elle doit tenir compte des nombreux frais encourus, dont le déménagement, le paiement du notaire, des droits de mutation (la «taxe de bienvenue»), de la nouvelle assurance et des taxes municipales et scolaires.

Un marché immobilier au ralenti

Vaut-il encore la peine d'investir dans le secteur immobilier, alors que le prix des propriétés atteint un sommet inégalé?

Plusieurs experts sont sceptiques. «Au cours des cinq ou dix dernières années, c'était une bonne chose en raison du marché favorable, explique Robert Gorgui, planificateur financier, RBC Gestion de patrimoine. En ce moment, il y a un ralentissement. Les rendements ne sont plus comme autrefois, alors qu'ils étaient d'environ 10 % par année. En contrepartie, un portefeuille équilibré génère entre 5 et 6 % de rendement».

On constate les mêmes réserves chez Jacques Lépine, président fondateur du Club d'investisseurs immobiliers du Québec et auteur de L'indépendance financière grâce à l'immobilier.

«On vient d'atteindre une certaine saturation dans le marché immobilier et la valeur des immeubles augmente beaucoup moins rapidement», observe M. Lépine.

Durant les 12 dernières années, le prix des propriétés, à Montréal, a augmenté de 150 %.

«Va-t-on subir une forte chute?, se demande-t-il. J'en doute fort. Pour l'instant, le marché tend vers un meilleur équilibre entre l'offre et la demande.»

En espérant le Klondike

L'ascension des prix dans le domaine immobilier a suscité beaucoup d'espoir chez les investisseurs attirés par l'appât d'un gain rapide. « Les gens pensent que l'immobilier, c'est comparable au Klondike. Dans mon bureau, je rencontre des clients qui tentent actuellement de se départir de leurs immeubles parce qu'ils sont proches de la retraite et aspirent à une plus grande tranquillité d'esprit », dit Pierre D'Argenzio.

De son côté, Jacques Lépine dresse un constat encore plus sévère. « Plusieurs se sont improvisés spéculateurs immobiliers en espérant faire un coup d'argent. En ce moment, ils sont nombreux à vouloir vendre parce qu'ils ont payé leurs propriétés beaucoup trop cher », constate M. Lépine.

Ratio d'endettement élevé

Dans le cas de Béatrice, le planificateur financier Pierre D'Argenzio et son collègue Robert Gorgui ont évalué les différents scénarios.

Si elle loue le rez-de-chaussée de son duplex au prix de 750 $ et le logement du 2e étage pour 650 $, il est vrai que l'immeuble se paiera tout seul. «Elle ne fait toutefois aucun profit et a peu de liquidités. À l'heure actuelle, son duplex lui rapporte à peine 3 % de rendement depuis les cinq dernières années», estime M. Gorgui.

Si elle devient propriétaire d'un condominium à Montréal au prix de 240 000 $, avec une mise de fonds de 5 %, il lui reste tout de même une hypothèque mensuelle de 1821 $. «L'achat d'un condo devient une forme d'épargne. Cependant, elle peut manquer de liquidités advenant des problèmes de santé, une perte d'emploi, etc.», ajoute-t-il.

Son collègue, M. D'Argenzio, s'inquiète de son taux d'endettement élevé si elle va de l'avant avec le projet d'acquisition du triplex de la rue Iberville à Montréal. «Elle aura alors une hypothèque de 650 000 $ avec un revenu de 68 000 $ par année. Si un loyer devient vacant, elle risque de se retrouver dans une situation précaire.»

«C'est un risque trop important. Je lui conseille de s'astreindre à une discipline d'épargne durant cinq ou six ans en versant peut-être 200 $ par semaine par exemple dans un CELI [Compte d'épargne libre d'impôt].»

Son confrère, M. Gorgui, ajoute: «Il y aura sans doute encore de bonnes occasions à saisir. Entretemps, Béatrice accumulera des économies et sera prête à affronter les imprévus, surtout si une de ses propriétés a besoin de beaucoup d'amour.»