Quand Claudine a laissé son emploi, il y a cinq ans, pour déménager à la campagne avec son conjoint, elle prévoyait finir sa carrière en prenant des contrats à la pige, avant de couler une retraite paisible avec l'homme de sa vie.

Malheureusement, l'homme en question a changé d'idée, et a changé sa vie : sans prévenir, il a fait ses valises et quitté le domicile pour ne plus jamais revenir. «Ç'a été totalement soudain et inattendu, raconte Claudine. La veille, on était passés chez le notaire pour conclure l'achat d'un condo, un pied-à-terre à Montréal. On avait célébré ça au champagne. Et le lendemain, à la suite d'une banale chicane, il est parti. On ne s'est jamais reparlé.» Elle ne s'est pas encore remise du choc, ni émotivement ni financièrement.

Aujourd'hui, à 58 ans, Claudine sent l'inquiétude la gagner en regardant sa situation financière, qu'elle qualifie de «pathétique». C'est que, peu avant la séparation, ses revenus se sont mis à baisser de façon dramatique. «Dans le secteur culturel, où j'ai fait toute ma carrière, les budgets diminuent partout, souligne-t-elle. Il y a de moins en moins de contrats.» Au cours des années précédentes, ses revenus de travailleuse autonome variaient de 40 000 à 60 000 $. Mais l'année dernière, elle n'a fait que 15 000 $ en contrats. Et pour l'année en cours, elle ne s'attend pas à dépasser 12 000 $. «Je regarde aussi dans d'autres domaines pour trouver des contrats ou un emploi, mais à mon âge, c'est particulièrement difficile», note-t-elle.

Les détails de la séparation ont été réglés chez le notaire. L'ex-conjoint a gardé la maison de campagne, qui lui appartenait au départ et dont Claudine avait racheté la moitié. Elle a conservé le condo en ville, encore grevé d'une hypothèque de 50 000 $. Ses frais de logement ne sont pas très élevés, mais étant donné qu'elle est seule pour payer toutes les dépenses, avec un revenu qui ne cesse de fondre, elle s'inquiète pour l'avenir.

Heureusement, Claudine avait un bon bas de laine. Les spécialistes recommandent aux travailleurs autonomes de se constituer un coussin de sécurité représentant six mois de dépenses. Elle avait un peu plus que cela. Depuis l'année dernière, elle pige donc dans son compte en banque et dans son CELI pour compléter ses revenus, en plus de réduire ses dépenses autant que possible. «Avec ce qui me reste, je pourrais me rendre jusqu'en juillet, même si je n'ai aucun autre contrat, calcule-t-elle. Mais ensuite, je ne sais pas ce que je vais faire. Je suis rongée par l'inquiétude.»

À la suite de sa mésaventure, Claudine voudrait servir une mise en garde aux femmes (et aux hommes) qui prennent, par amour, des décisions qui peuvent avoir des conséquences désastreuses, si leur histoire de coeur tourne court. «Si j'avais su dans quelle situation je risquais de me retrouver, je n'aurais jamais laissé mon emploi, dit-elle. Mais j'étais tellement sûre que, avec mon conjoint, c'était pour la vie!»

PORTRAIT

Claudine, 58 ans

Revenus de travail autonome

2013 : 12 000 $

2012 : 15 000 $

2011 : 44 000 $

2010 : 38 000 $

Compte d'épargne : 5000 $

CELI : 18 000 $

REER et CRI : 149 000 $

Fonds de travailleurs : 41 000 $

Condo d'une valeur de 250 000 $

Hypothèque de 50 000 $, à 3,4 % d'intérêts, amortie sur 25 ans

Dépenses de logement (en incluant l'hypothèque) : 480 $/mois

Autres dépenses : 1500 $/mois

SOLUTION : Vivre plus longtemps avec moins d'argent

Claudine a plus de 200 000 $ d'épargne. Ce n'est pas si mal, mais ce n'est pas suffisant pour qu'elle garde son train de vie actuel, selon Daniel Laverdière, directeur principal de la planification financière pour Banque Nationale Gestion privée 1859. «Si elle ne s'était pas séparée, il n'y aurait sans doute rien d'inquiétant, dit-il. Mais dans sa situation actuelle, elle n'a pas assez d'épargne pour sa retraite.» Si elle ne trouve pas une façon d'augmenter substantiellement ses revenus dans les années à venir, elle devra réduire ses dépenses et envisager de vendre son condo dans quelques années.

M. Laverdière a fait des projections pour illustrer le cul-de-sac dans lequel se dirige Claudine, si elle conserve le même niveau de dépenses. Il a fait ses calculs en tenant compte de revenus de 15 000 $ par année jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite, à 65 ans. «En continuant de payer son hypothèque au même rythme, elle aura fini de la payer en 2038, lorsqu'elle aura 82 ans, note-t-il. Mais elle aura épuisé ses autres actifs en 2034, à 78 ans. À cet âge-là, une femme a 80 % de chances d'être toujours en vie.»

L'expert a tenté de voir quel serait l'effet sur sa situation financière de la vente de son condo dans 15 ans, quand elle aura 73 ans. Elle devra alors payer un loyer, qui risque d'être plus élevé que ses mensualités hypothécaires actuelles. Son capital sera alors épuisé en 2044, quand Claudine aura 88 ans et toujours 50 % de chances d'être de ce monde. «C'est beaucoup. Elle ne peut pas prendre le risque de se retrouver sans ressources, souligne le planificateur financier. Bien sûr, l'État prend en charge les personnes âgées démunies, mais celles qui sont toujours en santé ont encore le goût d'avoir des loisirs et des sorties.»

En réduisant dès maintenant ses dépenses d'environ 2000 $ par année, en plus de vendre son condo dans 15 ans, Claudine réussirait à faire durer ses ressources jusqu'à ce qu'elle atteigne l'âge vénérable de 97 ans, en 2052. Vous croyez peu probable qu'elle se rende jusque-là? Une femme de son âge a tout de même deux chances sur dix d'être alors toujours en vie, indique Daniel Laverdière. «Mais c'est acceptable comme risque», note-t-il.

Les dépenses de Claudine totalisent actuellement 24 000 $. Elle ne semble pas dépenser de façon frivole, selon M. Laverdière. «Dans ce contexte, ça peut être difficile pour elle de sabrer 2000 $, reconnaît-il. Mais le niveau de ses revenus ne lui permet pas de maintenir le même rythme de vie.» D'autant plus que des rendements de placements moins élevés pourraient venir assombrir ces prévisions.

L'idéal serait qu'elle puisse retrouver des revenus semblables à ceux des années précédentes. Le planificateur financier l'encourage fortement à pousser ses recherches d'emploi dans d'autres domaines que le sien. «Ses revenus actuels ne correspondent même pas au salaire minimum. Elle peut sans doute obtenir un peu plus si elle fait preuve de flexibilité, et ainsi maintenir son confort actuel.»

Les choix de Claudine :

- Maintenir des dépenses de 24 000 $ par année

Gagner un revenu de 15 000 $ par année jusqu'à sa retraite

Garder son condo

Capital épuisé à 78 ans

- Maintenir des dépenses de 24 000 $ par année

Gagner un revenu de 15 000 $ par année jusqu'à sa retraite

Vendre son condo en 2029

Capital épuisé à 88 ans

- Réduire ses dépenses à 22 000 $ par année

Gagner un revenu de 15 000 $ par année jusqu'à sa retraite

Vendre son condo en 2029

Capital épuisé à 97 ans

En supposant des rendements de 3,5 % par an sur les placements, une appréciation de la valeur de la propriété de 2,5% par an, et l'inflation à 2,5% par an.

PERSPECTIVE : Le risque de vivre vieux

Quand il leur dit qu'ils doivent avoir assez d'argent pour vivre au-delà de 90 ans, le planificateur financier Daniel Laverdière entend souvent des clients lui répondre qu'ils ne se rendront jamais jusque-là. «Ils me disent que, dans leur famille, on meurt jeune. Et que ce n'est pas dans leurs gènes de vivre vieux.»

Mais l'hérédité n'explique pas tout. En fait, elle a moins d'influence qu'on le pense sur notre espérance de vie, souligne l'expert. Nos chances de vivre longtemps dépendent surtout de notre style de vie: alimentation, activité physique, bonnes habitudes de vie. Il répond donc à ces clients: «Vos parents sont morts jeunes, mais avez-vous le même style de vie qu'eux?»

Évidemment, on ne sait pas à quel âge on s'éteindra. Mais l'augmentation de l'espérance de vie fait en sorte que la retraite dure de plus en plus longtemps - jusqu'à être parfois aussi longue que la vie active. «Si je travaille pendant 35 ans et que je dois amasser assez d'épargne pour financer une retraite de 35 ans, c'est tout un défi!», souligne Daniel Laverdière.

Comme les soins de santé nécessaires en vieillissant et l'hébergement dans des établissements spécialisés sont de plus en plus coûteux, et que l'État manque de ressources pour répondre aux besoins, les particuliers risquent de plus en plus de devoir compter sur eux-mêmes pour leurs vieux jours. Dans ce contexte, faire durer son épargne retraite plus longtemps représente tout un défi.

Espérance de vie à la naissance au Canada :

2009 :

Femmes : 83 ans

Hommes : 79 ans

1980 :

Femmes : 79 ans

Hommes : 72 ans

1950 :

Femmes : 71 ans

Hommes : 66 ans

Source : Statistique Canada

À 40 ans

Une femme a

10 % de chances de vivre jusqu'à 99 ans

30 % de chances de vivre jusqu'à 93 ans

Un homme a

10 % de chances de vivre jusqu'à 95 ans

30 % de chances de vivre jusqu'à 89 ans

Comme il s'agit des taux moyens de mortalité pour l'ensemble de la population du Québec, il faut souligner qu'une personne plus aisée financièrement ou soucieuse de sa santé a plus de chances d'être dans le groupe de 10 % de survie.

Source : Institut québécois de planification financière

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La leçon de finances personnelles de la doyenne de l'humanité

Jeanne Calment, cette Française qui a vécu jusqu'à 122 ans et a longtemps été considérée comme la doyenne de l'humanité, a-t-elle manqué d'argent en raison de sa longévité exceptionnelle? Eh non! C'est Daniel Laverdière qui rappelle l'anecdote.

D'abord, son mari, mort 55 ans avant elle, était un riche marchand qui l'a laissée à l'abri du besoin. Mais surtout, Mme Calment a conclu, à l'âge de 90 ans, une entente avec son notaire, qui s'est avérée très avantageuse pour elle: elle lui a vendu sa maison en viager, c'est-à-dire que le notaire s'est engagé à lui payer une somme de 2500 francs par mois jusqu'à sa mort, en lui laissant le droit de demeurer chez elle. Le notaire est mort avant de prendre possession de sa maison. Sa femme a continué de payer la rente à la vieille dame jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Au bout du compte, elle lui a payé plus de deux fois la valeur de sa maison.