Comme une portion grandissante de la population, Valérie et Samuel sont pigistes. Ils gagnent bien leur vie, ne manquent pas de contrats et leur quotidien est loin d'être monotone. Mais leurs revenus sont irréguliers, soumis aux aléas des besoins de leurs clients.

Ils sont tout de même privilégiés comparativement à d'autres travailleurs autonomes: ils ont accès à des assurances collectives et à un régime de retraite par l'intermédiaire de leur association professionnelle respective, l'Union des artistes et l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son. Pour chacun de leurs contrats, une somme de 5 % est versée dans leur fonds de pension, payée à parts égales par eux et l'employeur, ce qui leur a permis de garnir leurs REER.

Mais ils ne comptent pas trop sur ces placements pour assurer leurs vieux jours. Ils misent plutôt sur l'immobilier, motivés par la bonne affaire qu'ils ont faite avec leur premier duplex. «On l'a vendu l'année dernière après quatre ans, avec un profit de 30 000 $, sans avoir investi un sou parce qu'on l'avait acheté sans mise de fonds, raconte Valérie, fière de son coup. Grâce à ça, on a pu acheter un autre plex l'été dernier.» Le couple a maintenant trois propriétés dans son portefeuille immobilier: la maison unifamiliale qu'il habite en banlieue et un chalet à la campagne, en plus du nouveau triplex.

Pendant ce temps, les placements de Valérie et Samuel ont plutôt fait du sur-place. Ils voient donc un avenir plus solide dans la brique et le mortier de leurs propriétés que dans les colonnes de chiffres de leurs relevés d'investissement. Ils comptent même acheter deux autres immeubles à revenu au cours des dix prochaines années, en s'assurant d'attendre les bonnes occasions.

Mais ils ont parfois quelques doutes au sujet de leur stratégie. S'agit-il vraiment de la meilleure utilisation de leurs ressources? Et surtout, combien doivent-ils amasser en prévision de leur retraite? Ils pensent à l'avenir, mais n'ont pas calculé leurs besoins futurs. «En plus, nous ne sommes pas certains que nous pourrons maintenir notre revenu actuel jusqu'à la retraite», souligne Valérie.

Autre interrogation: Valérie et Samuel ont formé leur propre compagnie, qui facture leurs clients pour leurs services et leur verse ensuite un salaire, histoire de réduire leur taux d'imposition. Leur triplex est aussi détenu par leur société, plutôt que de leur appartenir en mains propres, puisque ce sont des liquidités accumulées dans la compagnie qui ont servi à la mise de fonds. Est-ce une bonne stratégie?

PORTRAIT

Valérie, 37 ans

Pigiste dans le domaine des médias

Revenu : 49 000 $

REER : 60 000 $

Samuel, 38 ans

Pigiste dans le domaine du cinéma

Revenu : 49 000 $

REER : 60 000 $

Incorporés au sein de leur propre société, qui leur verse un salaire, rembourse leurs dépenses reliées à l'emploi et leur verse des dividendes de 3000 à 5000 $ par an.

Une partie des revenus de leurs contrats reste dans la société.

Deux enfants de 8 et 10 ans

Actifs immobiliers :

- Résidence familiale : 260 000 $

Hypothèque de 60 000 $

- Chalet : 115 000 $

Hypothèque de 119 000 $ (travaux importants à réaliser en raison d'un vice majeur)

- Triplex locatif : 300 000 $ (détenu par leur compagnie)

Hypothèque : 250 000 $, revenus de location : 1745 $/mois

Avancer avec prudence dans l'immobilier

Valérie et Samuel font plus confiance à leurs immeubles qu'à leurs placements pour leur assurer une retraite confortable. « Pour nous, l'immobilier, c'est plus concret que des fonds de placement, explique la jeune femme. On a confiance en nos connaissances pour choisir des immeubles qui sont susceptibles de prendre de la valeur. »

Ont-ils raison? Si on pouvait prédire l'évolution de la valeur des placements et celle des propriétés dans les 25 prochaines années, on aurait la réponse à cette question. «C'est surtout une question de choix du couple, note le planificateur financier Gaétan Veillette, du Groupe Investors. Il faut toutefois réduire le risque en évitant que tous les investissements soient dans le même secteur.»

Bien des petits épargnants disent, comme Valérie et Samuel, qu'ils ont été déçus par les mauvaises performances de leurs placements ces dernières années. Mais le marché immobilier n'est sans doute pas la planche de salut espérée. «Dans la région de Montréal, le prix des immeubles locatifs a tellement augmenté ces dernières années que la rentabilité est loin d'être évidente, souligne Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ). Actuellement, les faibles taux d'intérêt compensent pour les prix élevés, mais ça ne sera pas toujours le cas.»

Une récente étude dévoilée par la CORPIQ vient renforcer cette mise en garde. Selon le professeur François Des Rosiers, spécialiste en immobilier de l'Université Laval, les immeubles de 4 et 6 logements ayant changé de mains ces dernières années dans le quartier Rosemont, à Montréal, ne seraient pas rentables sur une période de 10 ans, en raison des loyers peu élevés. Les propriétaires risquent même une perte au moment de la revente, selon le professeur.

Après avoir grimpé en flèche, la valeur des propriétés monte beaucoup moins depuis un moment et stagne même à certains endroits. Par exemple, la valeur des plex dans l'ensemble du Québec a augmenté de 24 % au cours des cinq dernières années, mais elle a baissé de 1 % depuis un an, selon les données de la Fédération des chambres immobilières du Québec. À Montréal, les plex se sont appréciés de 27 % en cinq ans, mais de seulement 2 % au cours de la dernière année. Dans les Laurentides, la région où Valérie et Samuel ont acheté leur triplex l'été dernier, les prix ont chuté de 9 % depuis un an. Le couple veut conserver sa propriété longtemps, mais il est difficile de dire de combien elle se sera appréciée quand viendra le temps de la vendre. Entre-temps, les revenus que le couple en tire couvrent tout juste les dépenses.

Acheter directement plutôt que par la société

Le couple peut tout de même décider de continuer à miser sur l'immobilier en comptant sur son flair. Mais Gaétan Veillette lui suggère, s'il fait d'autres acquisitions, d'acheter directement, et non par l'entremise de sa société. En effet, si les revenus locatifs sont versés à la compagnie, l'impôt à payer est de 46,6 %, alors qu'il serait de 38,4 % si les revenus étaient versés directement à Valérie et Samuel (les revenus de location, pour les sociétés, sont considérés comme des revenus de placements).

«De plus, s'ils ont une perte locative une année, elle peut être déduite de leurs revenus personnels», ajoute M. Veillette.

Pourquoi ne pas étudier le REEE?

Même s'ils n'ont pas suivi de stratégie précise d'épargne et d'investissement, Valérie et Samuel ont eu de bons réflexes pour leurs décisions financières. S'ils continuent sur la même lancée, leur retraite est assurée, s'ils travaillent jusqu'à 65 ans et que leurs revenus sont stables, selon le planificateur financier Gaétan Veillette, du Groupe Investors.

Ce qui les aide, c'est notamment leur train de vie raisonnable, qui leur permet de conserver des surplus dans leur société. Une recette pleine de sagesse, puisqu'ils ne sont pas à l'abri d'une année de vaches maigres. M. Veillette a tout de même quelques suggestions pour les aider à faire fructifier leurs précieux actifs au maximum.

Se ruer sur le REEE

«Ils ont intérêt à utiliser le Régime enregistré d'épargne-études (REEE) pour obtenir les subventions de 30 %, dit le planificateur financier. Comme leur aîné a 10 ans, c'est leur dernière année pour aller chercher la subvention maximale en allant récupérer les cotisations qu'ils n'ont pas faites dans les dernières années.» Pour en tirer le maximum, le couple devrait verser 5000 $ par année par enfant dans un REEE. Il aura droit à une subvention de 3000 $ sur son investissement de 10 000 $.

Valérie raconte que, depuis le printemps, le couple a accéléré le remboursement de son hypothèque en y consacrant une somme supplémentaire de 5000 $. Mais cette somme aurait été beaucoup mieux utilisée dans le REEE, note Gaétan Veillette.

Où mettre 5000 $ ?

Rembourser l'hypothèque :

À 3 % d'intérêt, sur 10 ans : permet d'épargner 580 $ en intérêts

Investir dans un REEE : donne droit à une subvention de 1500 $

Total à investir : 6500 $

Investi sur 10 ans, avec un rendement de 4,5 % : génère des intérêts de 3600 $

Total récupéré en sus des 5000 $ : 5100 $

Ne pas négliger les REER

Même s'ils veulent acheter d'autres immeubles, Valérie et Samuel devraient s'assurer de verser 3000 $ par an chacun dans leurs REER. Histoire de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier. «Quand leurs enfants auront terminé leurs études et quitté le foyer, ils auront des surplus budgétaires qui leur permettront d'augmenter leurs cotisations», souligne Gaétan Veillette. Plus leurs revenus et leur taux d'imposition augmentent, plus ils ont intérêt à utiliser les REER pour réduire l'impôt à payer, fait-il remarquer.

En suivant ce plan, les deux conjoints pourront maintenir à la retraite leur rythme de vie actuel. S'ils achètent d'autres propriétés, bien choisies, celles-ci pourraient enrichir encore plus leur patrimoine. De quoi leur permettre de se la couler douce plus tard. Ou de dire plus vite adieu au monde du travail.