C'est reculer pour mieux sauter. «J'aimerais prendre une année sabbatique afin de retourner aux études, car j'aimerais changer de carrière», nous apprend Joëlle, de sa voix chantante.

Elle entreprendra dès janvier trois semestres successifs à temps complet, qui lui permettront de décrocher en décembre un diplôme d'études supérieures spécialisées.

Ce n'est pas une décision sans conséquence à court terme. La femme de 38 ans et son conjoint Stéphane sont parents de trois enfants d'âge scolaire.

Joëlle et Stéphane gagnent respectivement 65 000 $ et 68 000 $ par année. «Net, je fais environ 675 $ par semaine», évalue Joëlle.

Autant de moins pendant un an.

Joëlle estime le budget du ménage à 7500 $ par mois, dont 1400 $ pour le paiement hypothécaire et 800 $ en placements variés. Les dépenses courantes du couple totalisent donc 6700 $.

«On fait des épargnes systématiques pour les REER, le REEE, décrit-elle. Ces épargnes vont être suspendues pendant un an.»

Ils sont propriétaires d'une maison valant environ 230 000 $, sur laquelle court un solde hypothécaire de 150 000 $.

«J'ai fait un RAP que je rembourse à raison de 400 $ par année», indique-t-elle.

«Notre questionnement: si on trouve difficile de gérer notre budget à deux revenus, comment y arriver à un seul?»

Ils envisagent quelques solutions, dont le Régime d'encouragement à l'éducation permanente (REEP). «Mon conjoint peut faire des heures supplémentaires, et on a calculé qu'elles pourraient nous donner environ 5000 $ net par année.»

Joëlle prévoit aussi maximiser la préparation des aliments à la maison. «Tout va être fait à la maison: les soupes, les biscuits, les lunchs à la cafétéria, etc.»

Elle pense économiser ainsi quelque 5000 $ par année. «C'est l'équivalent d'environ 100 $ d'épicerie de moins par semaine.»

Ce n'est pas une mince tâche, pour une famille de trois petits gourmands, qui viennent justement de rentrer de l'école, en cette fin d'après-midi.

«Nous sommes en train de faire nos biscuits maison, confie Joëlle en riant. On commence déjà à tester le nouveau budget!»

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LE PORTRAIT

Joëlle, 38 ans

Revenus annuels : 65 000 $

Régime de retraite complémentaire avec son employeur

REER : 36 000 $

Solde d'un RAP : 3500 $, remboursé à raison de 400 $ par année

Projet : année sabbatique d'un an pour études

Son conjoint Stéphane, 40 ans

Revenus annuels : 68 000 $

Régime de retraite complémentaire avec son employeur

REER : 32 000 $

Les actifs

Trois (beaux) enfants

Propriété : valeur de 230 000 $

Solde hypothécaire : 150 000 $

Dépenses mensuelles : 7500 $, épargnes incluses (REEE, REER, etc.)

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LA SOLUTION : BIEN RÉSOUDRE L'ÉQUATION

Un cas qui fait école.

La planificatrice financière et administratrice agréée Hélène Bronsard s'est mise au tableau pour faire la démonstration.

Pour bien poser le problème, il faut d'abord démêler les faits et vérifier les chiffres.

À vue de nez, le revenu net du ménage semble très en deçà du budget de 7500 $ par mois annoncé par Joëlle.

Une révision de sa part permet de corriger les paramètres.

Elle incluait notamment son épargne REER de 175 $ dans les dépenses familiales, alors qu'elle est en fait prélevée à la source, ce qui réduit d'autant son revenu net.

«Les 7500 $ de dépenses deviennent 6500 $ par mois, indique-t-elle. J'ai trouvé quelques chiffres calculés deux fois. Par exemple: les comptes de taxes sont déjà inclus dans l'hypothèque, le REER était déduit deux fois, l'épargne vacances de 6000 $ passe à 2500 $, car nous ne ferons pas de voyage en 2014.»

À 6500 $ par mois, les dépenses totalisent donc 78 000 $ par année. Hélène Bronsard en soustrait encore les 400 $ du remboursement annuel de l'emprunt RAP, que Joëlle interrompra en 2014. Coût de vie du ménage en 2014: 77 600 $.

Revenons aux revenus

Passons à l'autre moitié de l'équation: les revenus.

Le couple perd les 35 000 $ de salaire net de Joëlle. Toutefois, cette perte a un effet positif sur le revenu net de Stéphane, qui prendra (fiscalement) en charge sa conjointe et ses trois enfants en 2014. Les droits de scolarité de Joëlle pourront aussi être transférés sur sa déclaration de revenus.

«Je calcule une économie fiscale d'environ 4500 $ par rapport à ce qu'il paie actuellement, indique Hélène Bronsard. Sur un salaire de 68 000 $, j'ai estimé qu'il lui resterait environ 50 000 $ en revenus nets.»

Il faut y ajouter les 2400 $ par année que la famille touche actuellement avec les paiements de soutien aux enfants et la prestation fiscale canadienne aux enfants. «La prestation de soutien aux enfants devrait être majorée d'environ 1920 $, selon un calcul sur l'internet basé sur des revenus moindres», souligne la planificatrice.

Joëlle estime que son conjoint pourrait gagner un supplément de 5000 $ en heures supplémentaires, et qu'elle-même réussirait à réduire de 5000 $ la facture d'épicerie en cuisinant davantage à la maison. De ces 10 000 $ de gains potentiels, Hélène Bronsard ne retient que la moitié, question de faire la part de la réalité.

«Un peu d'économies d'épicerie, un peu d'heures supplémentaires», résume-t-elle.

Les revenus du couple atteignent ainsi 59 320 $. Avec des dépenses de 77 600 $, le manque à gagner s'établit donc à 18 280 $.

Combler le fossé

Où trouver ces 18 000 $ ?

Selon les règles du Régime d'encouragement à l'éducation permanente, Joëlle peut retirer 10 000 $ par année de son REER. Hélène Bronsard les applique aux paiements des droits de scolarité et des manuels, que Joëlle évalue à un total de 4500 $ pour trois semestres de neuf crédits. Les 5000 $ restants serviront à combler une partie du manque à gagner budgétaire.

Rappelons que cet emprunt au REER n'est pas gratuit. Pendant que les 10 000 $ n'y sont plus, ils ne rapportent aucun intérêt. Le rendement manquant représente le coût de cet emprunt à soi-même.

Il y a moyen d'emprunter à meilleur coût avec l'Aide financière aux études. Durant les études, c'est le gouvernement qui prend en charge le paiement des intérêts sur le prêt. Coût en intérêt durant l'année d'études de Joëlle: 0 $.

Selon une estimation sommaire faite avec le simulateur du site de l'Aide financière aux études, en considérant le revenu de Stéphane et les trois enfants d'âge scolaire, Joëlle pourrait obtenir un prêt de 1870 $ pour chacun des trois semestres, soit un total de 5610 $.

Il reste 7400 $ à trouver.

Un peu de marge de manoeuvre

Les institutions financières proposent des marges de crédit pour étudiants dont seuls les intérêts sont payables durant les études. Joëlle peut ainsi emprunter progressivement selon ses besoins. Un exemple parmi d'autres : chez une grande banque canadienne, le taux d'intérêt est celui du taux préférentiel plus 1 %, soit 4 % à l'heure actuelle.

Le remboursement du capital ne commence que six mois après la fin des études, ce qui donnera peut-être le temps à Joëlle d'accéder à un poste mieux rémunéré.

«À la fin de ses études, une augmentation de salaire de 20 000 $ dégagerait un revenu net supplémentaire d'environ 12 000 $», donne en exemple la planificatrice.

Ce projet doit être planifié sous tous ses aspects. Hélène Bronsard souligne un des paramètres à considérer: «L'un des deux conjoints a-t-il un plan familial d'assurances?»

Si une malchance survenait - invalidité, maladie grave -, la petite famille en souffrirait-elle les conséquences? «Il faut que tout soit mis en place.»

CQFD.

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REER, REEE, RAP, REEP : GRRR !

Notre retraite dépend de notre REER. On contribue à un REEE. On a fait un retrait RAP. On doit rembourser un REEP.

Où placer la priorité?

Voici quelques dilemmes, et autant de réponses.

Épargne enregistrée ou remboursement des dettes?

La priorité va aux dettes douloureuses, grevées des taux d'intérêt les plus élevés, indique le CGA et planificateur financier Éric Brassard, de Brassard Goulet Yargeau/Patrimoine Dundee. «Les mauvaises dettes en premier : cartes de crédit et autres», insiste-t-il.

La question est de savoir si on gagne plus d'argent en plaçant l'argent dans son REER qu'on en économise en remboursant plus vite nos dettes. La priorité va au taux d'intérêt le plus élevé.

REER ou REEE?

Une somme de 1000 $ traîne dans mes poches : je rembourse mon hypothèque, je cotise au REER ou je verse la somme dans un régime enregistré d'épargne-études (REEE)? «Le REEE est un abri fiscal dont il faut profiter le plus vite possible, répond Éric Brassard. En plus, j'ai un cadeau de 30 % et peut-être de 60 % en subventions. Ça bat la dette, ça bat le REER. Je vais mettre l'argent dans l'épargne-études, même s'il est certain que mon enfant ne fera jamais d'études postsecondaires.»

Car ça ne serait pas dramatique. «Dans le pire du pire, on rembourse la subvention, mais on garde le rendement sur la subvention et sur le capital versé, ajoute-t-il. On transfère ce rendement dans un REER. Et dans tous les cas, on conserve le capital.»

Remboursement minimal au RAP ou cotisation au REER?

Seuls 1000 $ sont disponibles, et vous vous demandez si vous devez faire le remboursement minimal de votre régime d'accession à la propriété (RAP) ou cotiser à votre REER?

«Les gens stressent avec ça: ils disent qu'ils ne cotisent pas à leur REER, mais qu'ils vont au moins rembourser leur RAP. En fait, c'est la même décision», fait valoir Éric Brassard.

«En ne cotisant pas au REER, on accepte un paiement d'impôt supérieur. Le fait de ne pas rembourser son RAP a le même effet: le remboursement non réalisé s'ajoute à notre revenu imposable.»

Rembourser plus vite le RAP (ou le REEP) ou cotiser au REER?

Faut-il rembourser davantage que le minimum requis à son RAP ou son REEP (régime d'encouragement à l'éducation permanente), ou faire une cotisation à son REER ? Dans tous les cas, l'argent est versé dans le REER, où son rendement sera à l'abri de l'impôt. Il y a toutefois une nuance de taille. «Entre le REER et le remboursement accéléré du RAP [ou du REEP], le choix n'est pas difficile, énonce Sylvain Chartier, expert-conseil chez Gestion privée 1859 de la Banque Nationale. Dans le premier cas, j'ai une déduction fiscale et dans le second cas je n'en ai pas, alors que les deux vont être imposables à la sortie. L'accélération du RAP et du REEP se ferait donc en tout dernier lieu.»

Accélérer le REEP ou le RAP?

L'effet est le même: on rembourse son REER. L'essentiel est d'au moins faire le remboursement minimal pour chacun, pour éviter que le paiement dû soit ajouté au revenu imposable de l'année.

Notez que la période de remboursement - et, par conséquent, le remboursement minimal - n'est pas la même: 10 ans avec le REEP, 15 ans avec le RAP. Pour 10 000 $ retirés, il faut rembourser un minimum de 666 $ par année dans le cas du RAP, et de 1000 $ dans celui du REEE.

REER ou remboursement accéléré de l'hypothèque?

Une réponse courante: faites les deux, cotisez à votre REER et utilisez le remboursement d'impôt pour faire un paiement de capital sur l'hypothèque. Sylvain Chartier a un autre point de vue. «Suggérer de faire les deux ressemble à ne pas savoir quoi répondre, dit-il. La question est de savoir si je mets mes 1000 $ dans mon REER ou sur mon hypothèque. La réponse est de les verser dans le REER. Je reçois un remboursement de 400 $. La question se pose de nouveau: que faire avec ces 400 $? Mais, cette fois, pourquoi la réponse serait-elle différente?»

REER ou CELI? Réponse: épargne

«C'est le taux d'impôt à l'entrée en comparaison du taux d'impôt à la sortie qui donne la réponse, indique Sylvain Chartier. Habituellement, les revenus à la retraite diminuent, ce qui favoriserait une contribution au REER. Sauf qu'il faut également considérer les programmes sociaux. Une femme seule avec deux enfants et un revenu de 30 000 $ a un taux effectif marginal d'imposition de près de 90 % [sur 100 $ de revenus supplémentaires, elle perdrait 90 $ en impôts et avantages sociaux]. Il est clair que, pour elle, il vaut la peine de cotiser à son REER: elle y met 1000 $, et elle récupère 900 $ en remboursements d'impôt et en augmentation de programmes sociaux.» Dans d'autres situations, le taux effectif marginal d'imposition peut avoir l'effet inverse.

En fait, les écarts de taux d'imposition entre le moment de la cotisation au REER et celui du retrait sont rarement considérables. CELI ou REER? «Ce ne sont pas ces décisions qui font que je peux ou non prendre ma retraite, insiste Sylvain Chartier. Le plus grand exploit, le plus gros du travail, c'est d'avoir fait de l'épargne.»