Sa rupture est toute récente, et sa maison encore plus. «J'emménage vendredi», confie Sylvain.

Il vient de se séparer de sa conjointe de fait.

«Nous venons de vendre notre maison et après partage, nous avons 91 000 $ chacun», confie l'homme de 47 ans.

Il en a retenu 50 000 $ pour appliquer en mise de fonds sur sa maison neuve, payée 250 000 $, taxes incluses.

Amorti sur 30 ans, le prêt hypothécaire exige une mensualité de 937 $, plus 283 $ pour les impôts fonciers.

«Ça nous coûtait 28 600 $ chacun pour habiter en couple», dit-il. Il estime que sa nouvelle situation entraînera un coût de vie 3247 $ par mois (38 964 $ par année) - il tient un budget très détaillé.

Sylvain gagne un salaire de 72 000 $. Il n'a aucun régime de retraite, mais il a accumulé 90 000 $ en REER.

Il épargne 200 $ à chaque paie, soit 5200 $ par année.

Sylvain et son ex-conjointe ont deux enfants de 15 et 17 ans. «Ils sont en garde partagée, donc pas de pension », indique le papa. Pour la première fois, il prévoit ouvrir un Régime enregistré d'épargne-études pour sa fille de 15 ans. « C'est sa dernière année d'admissibilité. Je veux ouvrir un régime familial : on me dit que je pourrais utiliser les reçus pour son frère qui est plus vieux.» Mais est-ce exact?

Il trace un horizon de retraite à 60 ans, davantage pour établir une base de calcul que par désir de cesser de travailler.

Sur sa part de la maison familiale, il lui reste 41 000 $, dont il réserve 10 000 $ pour l'aménagement de la nouvelle propriété. « Que devrais-je faire avec le surplus?, demande-t-il? J'ai de l'espace dans mes REER. »

Si nécessaire, il pourrait investir 15 000 $ dans l'aménagement d'un logement au sous-sol, qui lui rapporterait quelque 650 $ par mois, estime-t-il.

Il pose le problème : «Est-ce que je vais m'en sortir? Je fonce tête première...»

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PORTRAIT


Sylvain, 47 ans

Revenus : 72 000 $

Vient de se séparer

Deux enfants en garde partagée (15 et 17 ans).

Épargne REER : 90 000 $

Aucun régime de retraite complémentaire

Épargne mensuelle : 200 $

Coût de vie estimé : 3247 $ par mois

Liquidités : 41 000 $, issus de la vente de la propriété détenue avec son ex-conjointe

Nouvelle propriété 

Prix d'achat : 250 000 $, taxes et ristournes incluses

Mise de fonds : 50 000 $, provenant de la vente de la propriété familiale

Amortissement : 30 ans

Mensualité hypothécaire : 937 $

Auto 2010 : prêt de 15 000 $ pour 3 ans, à 1,9 %.

Aucune autre dette

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VOTRE CONJOINT S'ÉLOIGNE ? VOTRE RETRAITE AUSSI, PEUT-ÊTRE.

Une séparation ou un divorce ne bouleversent pas que la vie courante. Leur onde de choc peut se répercuter jusque dans la retraite.

De quelle façon? Dans les dépenses qu'on ne se partage plus, d'abord. «La mise en commun des dépenses dans un couple procure des économies que les gens perdent s'ils se séparent et vivent chacun seul», observe la notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur, de Bachand Lafleur, groupe conseil.

Toute augmentation du budget se traduit le plus souvent par une diminution de l'épargne. D'où un effet lointain mais délétère sur la retraite.

Mais une séparation a aussi des effets sur d'autres revenus de retraite.

On le sait, les conjoints mariés civilement, religieusement ou selon les règles de l'union civile promulguées en 2002, sont soumis au partage du patrimoine familial en cas de rupture.

Outre les meubles, résidences et véhicules à usage familial, ce patrimoine comprend notamment les épargnes REER et les régimes de retraite d'employeurs.

«Toutes les années de mariage sont des années de participation qui sont comptabilisées comme des années partageables», souligne Guylaine Lafleur.

En voici les répercussions.

La RRQ

Les revenus de travail inscrits à la RRQ pour chacun des ex-conjoints durant les années du mariage sont additionnés, pour être ensuite partagés également dans les dossiers de chacun. Leur rente de la RRQ à la retraite pourrait être touchée, en plus ou en moins.

Si le jugement de rupture de l'union est rendu au Québec, la Régie fait automatiquement le partage, à moins que les deux ex-conjoints y aient expressément renoncé.

La PSV

La pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti ne font pas partie du patrimoine familial et ne sont pas partageables en vertu du Code civil - quoique les ex-conjoints puissent en faire la demande.

Cependant, la modification de l'état matrimonial et l'effet de la séparation sur les revenus de chacun à partir de 65 ans peuvent entraîner des changements aux prestations ou à l'admissibilité à la PSV.

REER et régimes de retraite

Les sommes accumulées durant le mariage dans les REER et les régimes de retraite complémentaires des deux conjoints font partie du patrimoine familial et seront partagées également en cas de séparation.

Pour les régimes de retraite à cotisations déterminées, le calcul est assez simple : les sommes qui y sont versées durant le mariage et le rendement qui leur est attribué sont partageables en deux.

Plus complexe, le partage d'un régime de retraite à prestations déterminées se fait sur la base de la valeur actuarielle du compte du participant : c'est une somme globale qui représente la valeur des prestations qui lui seraient versées à la retraite, telle qu'acquise au moment de la séparation. La partie partageable est calculée sur la base du ratio entre le nombre d'années de mariage et le nombre d'années de participation au régime.

«S'il y a 15 années de mariage durant lesquelles on a participé au régime et qu'on a participé pendant 20 ans au régime, 75 % de la valeur actuarielle sera partageable», illustre Me Lafleur.

Quel est l'effet dans le régime qui se trouve partagé? On y inscrit une rente négative équivalente à la valeur cédée. Pas très clair, dites-vous ? Allons-y encore d'un petit exemple.

Suite à leur séparation, le régime de Gaston verse à Suzon une somme de 5000 $, qui équivaut à une rente de 1000 $ par année à partir de 65 ans.

À 65 ans, la rente de Gaston sera calculée comme s'il n'y avait pas eu de partage (par exemple, 35 ans X 2 % X 40 000 $ = 28 000 $). On en soustraira toutefois une rente négative de 1000 $, qui représente la valeur cédée lors de la séparation. Gaston touchera donc à 65 ans une rente de 27 000 $.

«Le partage d'un régime à prestations déterminées est souvent l'élément, au niveau du patrimoine familial, où on a les réactions les plus viscérales», note Me Lafleur, qui intervient dans des dossiers d'expertise en divorce. «Les gens préféreront souvent transférer des REER ou encore remettre une somme hors REER. On fait alors des calculs d'équivalence.»

La situation est plus simple quand chaque conjoint a son régime de retraite ? Chacun garde le sien, pensez-vous ? Mais tous les régimes ne sont pas nés égaux. Et un des conjoints a pu sacrifier aux enfants quelques années de travail, et par conséquent, quelques milliers de dollars de rentes.

Il faudra rééquilibrer les chances.

Propriété familiale

Si la résidence a été acquise durant l'union, chaque conjoint a droit à la moitié de la valeur nette de la propriété, c'est-à-dire la valeur actuelle moins les dettes dont la propriété est encore grevée.

Si la propriété avait été achetée avant l'union, sa valeur nette actuelle sera diminuée de la valeur acquise avant le mariage, et de la part de la plus-value qui lui est attribuable.

La théorie... et la pratique

«Normalement, on essaie de régler les créances par types de biens, explique Me Lafleur. Une créance dans l'épargne enregistrée sera réglée si possible avec de l'épargne enregistrée. Autrement, il faut faire un calcul d'équivalence.»

C'est encore une source d'incompréhension et de friction.

Suzon doit partager 200 000 $ de ses REER avec Gaston. Plutôt que lui donner à 100 000 $ en épargne enregistrée, elle lui propose de lui verser 60 000 $ en fonds non enregistrés, sous l'argument qu'il aurait eu à payer 40 % d'impôt sur le REER.

«Ce n'est pas si simple, observe la notaire. Il faut tenir compte du fait que si Gaston avait détenu 100 000 $ de REER, il ne les aurait retirés ni d'un coup ni tout de suite.»

De subtils calculs tiendront compte des années de rendement qu'il resterait à courir avant la retraite, et considéreront des retraits étalés dans le temps à un taux d'imposition moindre.

«Plus les gens sont jeunes, plus les sommes REER et hors REER à verser pour résoudre la créance vont tendre à se ressembler.»

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CONJOINTS DE FAIT, CONJOINTS DÉFAITS


Une notion importante : seuls les conjoints mariés civilement ou religieusement ou unis civilement (selon l'union civile instaurée en 2002) sont assujettis aux règles de partage du patrimoine familial.

Le Code civil ne prévoit pour l'instant aucun partage de patrimoine familial pour les conjoints de fait. Si la propriété familiale est partagée, ce sera parce que les deux conjoints de fait en sont copropriétaires.

Pas de partage de régime de retraite ou de REER non plus. «S'il y a eu des contributions au REER du conjoint, c'est un don», insiste la notaire Guylaine Lafleur. «Rien n'empêche les conjoints d'adopter entre eux les règles du patrimoine familial, s'ils le désirent.» Mais bien peu le veulent, ajoute-t-elle.

«Je leur en parle, surtout lorsqu'ils ont des enfants ensemble. Si un conjoint a une carrière plus prenante et que l'autre doit compenser par une présence accrue à la maison, qu'il ne peut pas faire autant d'heures et viser le même type de poste, ça affecte toute son accumulation et ça a un impact à très long terme.»

LE SAVIEZ-VOUS ?

Le divorce est prononcé après la retraite des conjoints? Avec certains régimes à prestations déterminées, c'est l'ex-conjoint, qui était encore marié au moment de la prise de retraite, qui aurait droit à la rente de conjoint survivant. Tant pis pour la nouvelle conjointe.

«Il faut vérifier si notre régime est de ce type parce que cette réversibilité a une valeur pour le conjoint bénéficiaire qui la conserve après le divorce, indique la notaire Guylaine Lafleur. Il y a des calculs à faire.»

Pousser un CRI 

Attention : toutes les valeurs partageables ne sont pas équivalentes lorsqu'elles sont cédées à l'ex-conjoint : certaines contraintes peuvent y être attachées, qui seront transférées aussi.

Donnons un exemple. Gaston et Suzon divorcent. Gaston doit partager avec Suzon ses 200 000 $ en épargnes enregistrées - soit 80 000 $ en CRI et 120 000 $ en REER.

Il doit céder 100 000 $ à Suzon, et il propose de lui transférer ses 80 000 $ en CRI plus 20 000 $ en REER.

«Il transfère le régime qui a le plus de contraintes, prévient Me Lafleur. Si sa conjointe pensait faire des retraits à son gré dans le CRI, elle ne pourra pas.»

Planification de divorce

«On tombe dans la planification qui est peu sympathique, prévient Guylaine Lafleur. Selon les régimes, il peut faire une différence qu'on divorce avant ou après la prise de retraite.»

Ainsi, la valeur du régime de retraite qui serait partageable si le divorce était prononcé avant la retraite pourrait être inférieure à la rente partageable si le divorce avait lieu pendant la retraite.

«Si des gens planifient de divorcer, conclut la notaire, ils devraient consulter.»

Discrètement.

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SOLUTION : RENOUER AVEC LA SOLITUDE

Suivez bien la démonstration.

Avant leur séparation, Sylvain et son ex-conjointe se séparaient les dépenses familiales. Mais avec la séparation, plus de séparation.

Pour Sylvain, cela signifie que plusieurs dépenses qui étaient supportées à deux pèseront désormais sur ses seules épaules (c'est pourquoi on parle de douloureuse séparation de l'épaule).

À ce propos, Guylaine Dufresne, directrice principale, planification financière et distribution des fonds communs de placement à la Banque Laurentienne, s'inquiète de la justesse des calculs de Sylvain.

En couple, Sylvain et sa conjointe dépensaient 57 200 $ par année. Sylvain estime son budget solitaire à 39 900 $.

«J'espère qu'il a bien calculé: 17 000 $ de moins que lorsqu'il vivait avec madame, ça fait quand même une bonne différence, dit-elle. Ça m'a laissée un peu perplexe.»

Elle confie une autre préoccupation. Sylvain gagne 72 000 $ par année. Il estime qu'avec son ex-conjointe, il dépensait 28 600 $ par année. Il y aurait dû avoir place pour une épargne généreuse.

«À 47 ans, Sylvain n'a pourtant que 90 000 $ de REER, ce qui n'est pas énorme, observe Mme Dufresne. Ça ne fait pas beaucoup pour quelqu'un qui n'a pas de fonds de pension.»

Sylvain devrait donc s'assurer que son nouveau budget est réaliste, d'autant plus que son épargne mensuelle est déjà un peu juste.

S'il continue à verser 200 $ par mois dans son REER, qui s'ajouteront à son solde actuel de 91 000 $, un rendement annuel de 4,65 % lui permettrait d'accumuler 257 000 $ à 60 ans. «Pour prendre sa retraite quand on n'a pas de fonds de pension, ce n'est pas beaucoup», soulève Guylaine Dufresne.

Sortir du trou avec le sous-sol

Pour s'extraire de son trou budgétaire, Sylvain veut plonger au sous-sol pour y aménager un logement.

«C'est une excellente idée, et en fait, il n'a pas vraiment le choix, indique la planificatrice. S'il ne le fait pas, c'est sûr qu'il n'arrivera pas.»

Avec son collègue Daniel Châtelois, directeur technique, planification financière, elle a testé diverses hypothèses d'investissement en REER, CELI et hors REER, pour conclure que le projet d'appartement au sous-sol était la manière la plus rentable d'utiliser les 15 000 $ nécessaires à l'aménagement.

Si Sylvain réussit comme il l'espère à en tirer un loyer de 650 $ par mois, les travaux seraient déjà amortis après deux ans. «Ensuite, ça va lui fournir des liquidités qui vont lui permettre de ramasser un peu plus de REER, et peut-être de cotiser à un REEE, poursuit-elle. Autrement, une retraite à 60 ans ne serait vraiment pas possible.»

Avec le programme de location du sous-sol, la situation s'améliore... un peu: une retraite à 60 ans lui laisserait 51 % de ses revenus actuels jusqu'à 90 ans.

En fait, Sylvain devrait songer à travailler jusqu'à 65 ans, ce qui ajouterait quelque 160 000 $ à son pécule de retraite.

Un amortissement alangui

Mais une autre contrainte se présente. Même en retardant sa retraite à 65 ans, il lui resterait encore 12 ans avant d'acquitter sa créance hypothécaire.

«Ça signifie qu'il va finir de payer son hypothèque à 77 ans», souligne Guylaine Dufresne.

Pour ramener l'amortissement sur 20 ans, ce qui le mène tout de même à 67 ans, sa mensualité hypothécaire augmenterait de 259 $.

«Si Sylvain vit bien avec l'idée d'avoir une hypothèque jusqu'à 77 ans, il peut mettre ces 259 $ dans ses REER, mais règle générale, les gens sont psychologiquement mal à l'aise à l'idée d'avoir une hypothèque à payer durant la retraite.»

Elle lui recommande de faire des remboursements anticipés de capital aussitôt que son budget le lui permettra.

REEE à l'étude

Sur les 31 000 $ de liquidités, il reste donc 16 000 $ à placer.

Une cotisation au REEE de la plus jeune, évoque Sylvain? Excellente idée. Il y a même urgence.

Sylvain et son ex-conjointe n'ont encore jamais cotisé au REEE de leurs enfants. La plus jeune, âgée de 15 ans, est encore admissible à la Subvention canadienne d'épargne-études et à l'Incitatif québécois à l'épargne-études, qui sont versés jusque dans l'année du 17e anniversaire du bénéficiaire.

Mais, pour y avoir droit à 16 et 17 ans, il faut que des cotisations d'au moins 100 $ aient été faites au REEE au cours de chacune des quatre années précédentes. À défaut, une cotisation d'au moins 2000 $ doit être versée durant l'année civile du 15e anniversaire.

Bref, Sylvain devra cotiser au moins 2000 $ au REEE de sa fille cadette avant la fin de l'année.

Mais aussi bien y aller de la somme qui donne droit aux subventions maximales. Puisqu'il a des droits inutilisés, Sylvain pourrait cotiser 5000 $. En trois ans, Sylvain verserait ainsi 15 000 $ dans le REEE familial, y attirant 4500 $ en subventions.

L'aîné de 17 ans pourra-t-il en bénéficier?

«On a vérifié trois fois plutôt qu'une, souligne Guylaine Dufresne. Développement et Ressources humaines Canada nous confirme que si Sylvain prend un régime familial et qu'il inscrit les deux enfants comme bénéficiaires, il pourra utiliser les paiements d'aide aux études pour le frère aîné même s'il est plus âgé.»

Pour multiplier les bénéfices, la planificatrice suggère à Sylvain de placer le reste de ses liquidés dans ses REER, et d'utiliser le remboursement d'impôt subséquent pour cotiser au REEE de sa fille - quitte à emprunter temporairement pour effectuer la première cotisation de 5000 $ avant la fin 2013.