Mélissa a acheté une maison en banlieue de Montréal, en parts égales avec son conjoint, il y a bientôt deux ans. Elle le regrette presque...

« Depuis ce temps, mon budget est très serré bien qu'il soit bien établi, confie la femme de 37 ans. Je réussis à mettre 200 $ de côté maximum par mois. Mais comme je suis contractuelle, cet argent sert souvent de tampon à mes périodes sans emploi ou pour payer des vacances aux deux ans. »

Elle gagne 53 000 $ par année. Le salaire de son conjoint avoisine 43 000 $.

Mélissa était auparavant locataire à Montréal. « J'avais pas mal plus de marge de manoeuvre », confie-t-elle.

La maison a été payée 280 000 $. Le couple a ajouté au prêt une somme de 25 000 $ pour les travaux d'aménagement et a versé la mise de fonds minimale de 5 %. Avec les impôts fonciers (taxe scolaire non comprise), la mensualité s'élève à 1822 $, avec un amortissement de 30 ans et un taux de 3,29 %.

Le léger dépassement des travaux d'aménagement et l'achat d'une voiture d'occasion ont été financés avec une marge de crédit dont le remboursement accapare encore 300 $ par mois. Le solde du prêt s'élève actuellement à 8700 $.

« J'ai une marge de 3000 $ que je n'arrive pas à rembourser », ajoute Mélissa.

Son conjoint a un jeune enfant dont il a la garde partagée. Les déplacements pour aller chercher et ramener l'enfant durant les week-ends imposent l'usage d'une voiture.

Elle n'a pas de régime de retraite ni d'épargne de retraite : « Je n'ai rien », lance-t-elle.

« C'est sûr que ma maison prend de la valeur, mais est-ce que ce sera suffisant ? Quelquefois, je me demande si c'était un bon choix d'être propriétaire. »

« Je suis inquiète pour ma retraite. Que me conseillez-vous de faire ? »

PORTRAIT

Mélissa, 37 ans

Revenu : 53 000 $

Emploi : contractuelle

Épargne de retraite : aucune

Régime de retraite : aucun

Créance sur marge de crédit personnelle : 3000 $

Revenu de son conjoint : 43 000 $

Maison achetée en commun en 2011

Prix : 280 000 $

Travaux d'aménagement : 25 000 $

Coût total : 305 000 $

Mise de fonds : 5 %

Amortissement : 30 ans

Taux d'intérêt : 3,29 %

Mensualités (hypothèque et impôts fonciers) : 1822 $

Solde hypothécaire : 287 000 $

Autre marge de crédit : solde de 8700 $

Mensualités : 300 $

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PERSPECTIVE : COMPTER SUR SA MAISON ?

Si Mélissa parvenait à 65 ans sans épargne, son conjoint et elle pourraient-ils utiliser une partie de la valeur nette de leur maison pour ajouter quelques briques à leurs revenus de retraite ?

Une des façons d'y parvenir consiste à faire appel au Programme de revenu résidentiel CHIP - ce qu'on appelle couramment l'hypothèque inversée.

L'avantage du programme CHIP réside dans la possibilité de ne rembourser l'emprunt qu'à la vente de la maison ou à la mort du conjoint survivant. Les intérêts dus chaque année peuvent être ajoutés à la dette, avec la garantie que le remboursement final n'excédera pas la valeur de la propriété.

Cette assurance a toutefois un coût, qui se traduit par un taux d'intérêt plus élevé.

Faisons l'exercice, en posant l'hypothèse que c'est aujourd'hui que Mélissa se retrouve à 65 ans avec une maison payée de 300 000 $ et aucune épargne de retraite.

Combien pourrait-elle obtenir du programme CHIP, qui verse un maximum de 40 % de la valeur nette de la propriété ?

Un appel nous renseigne : deux conjoints au milieu de la soixantaine, propriétaires d'une maison individuelle de 300 000 $ entièrement payée dans la région de Montréal, pourraient toucher environ le tiers de la valeur de leur propriété. Retenons 100 000 $.

Les taux d'intérêt courants dépendent du terme choisi : taux variable de 3,99 %, taux fixes de 5,25 % pour un an et de 5,79 % pour cinq ans.

Au contraire de ceux des institutions financières, « ce ne sont pas des taux qu'on peut magasiner », souligne Denis Doucet, directeur régional pour Laval et la Rive-Nord chez Multi-Prêts Hypothèques.

« C'est un produit de niche, qui ne s'adresse pas à tout le monde, mais qui peut être utile pour certains types de clients, observe-t-il. La plupart du temps, ces gens ne prévoient pas laisser leur maison à leur succession. »

La somme avancée peut être encaissée intégralement ou par étape. La plupart des adhérents préfèrent toucher la pleine somme et ne pas verser d'intérêts annuels. Ceux-ci s'ajoutent au prêt - ce qui revient à dire qu'ils paient des intérêts sur les intérêts.

Pour Mélissa et son conjoint, il serait sans doute moins coûteux de ne retirer que les sommes nécessaires au moment où ils en ont besoin.

Allez hop ! Un petit exercice sur tableur...

Mélissa obtient un prêt de 100 000 $. CHIP exige un retrait initial d'au moins 25 000 $. On y ajoute des retraits de 5000 $ par année de l'âge de 70 ans jusqu'à 84 ans. En utilisant le taux d'intérêt variable actuel de 3,99 % et en appliquant un rendement de 2 % sur l'encaisse, on produit un revenu annuel de 4100 $, indexé à raison de 2,25 % par année.

Parvenus à 85 ans, Mélissa et son conjoint ont ainsi épuisé les 100 000 $ mis à leur disposition. Avec les intérêts accumulés, ils auraient alors une créance d'environ 180 000 $, qu'ils rembourseraient - plus les frais - à même le fruit de la vente de la propriété familiale. En supposant que sa valeur a crû suivant une inflation de 2,25 % par année, son prix de vente de 468 000 $ leur laisserait encore 288 000 $ en poche.

Avec une marge hypothécaire

Mais puisque la maison est entièrement payée, serait-il possible de souscrire plutôt chez une institution financière courante une marge hypothécaire dont on ne paierait que les intérêts ?

Denis Doucet souligne fort pertinemment qu'une marge de crédit hypothécaire doit satisfaire aux critères courants des prêteurs, notamment le ratio d'endettement par rapport au revenu. Or, si on songe à cette solution pour compléter ses revenus de retraite, c'est généralement parce que ceux-ci sont trop minces.

En outre, une marge de crédit hypothécaire importante doit se justifier par un projet bien défini.

Qu'en est-il chez Desjardins ?

« Pour moi, avoir un revenu de retraite supplémentaire est un projet en soi », répond Nicolas Fréchette, conseiller principal en financement à l'habitation au Mouvement Desjardins. « Si on le marie avec certains produits d'assurance qui permettent de garantir le versement de revenus, on peut certainement avoir un projet concret et faire avec le planificateur financier une proposition qui va se tenir. »

Une marge de crédit hypothécaire peut atteindre 80 % de la valeur nette de la propriété.

« Lorsqu'on ne veut rembourser que les intérêts, le gouvernement nous limite à 65 %, précise toutefois M. Fréchette. Pour être conservateur et ne pas courir de risques, je n'irais pas plus qu'à 50 % de la valeur de la propriété. »

Aux fins de comparaison, reprenons notre tableur.

Sur une marge de crédit de 150 000 $, Mélissa veut tirer chaque année un revenu ajusté au coût de la vie, et acquitter les intérêts annuels sur la créance cumulative (taux variable négocié de 3,75 %).

Sur le même horizon de vente de la propriété au 85e anniversaire, Mélissa pourrait ici aussi maintenir un revenu annuel indexé de 4100 $. À ce rythme, elle épuise sa marge de 150 000 $ à 85 ans. Elle la rembourse avec la vente de sa maison, qui vaut alors 468 000 $. Il lui reste encore 318 000 $, soit 30 000 $ de plus que dans le scénario de l'hypothèque inversée. La différence réside essentiellement dans l'écart entre les taux d'intérêt.

On peut également faire diverses combinaisons en incluant une rente viagère partielle.

Mais il est tellement plus simple d'épargner...

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SOLUTION : BÂTIR UNE ÉPARGNE À CÔTÉ DE SA MAISON

Trop tard pour les remontrances.

« C'est une erreur classique, observe néanmoins Daniel Laverdière, expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859. À chaque budget, il faut une maison qui lui convient. »

Mais rien n'est perdu : Mélissa a encore au moins 25 ans devant elle. Il ne s'agit pas tant de prendre les bouchées doubles que de grignoter ce qu'elle peut trouver.

« Dans 25 ans, elle va encore payer 1450 $ », indique Daniel Laverdière, pour souligner que le loyer de Mélissa ne sera pas soumis à l'inflation.

Pendant ce temps, son salaire devrait au moins augmenter avec le coût de la vie.

Faisons le calcul : supposons que Mélissa épargne chaque année l'équivalent de l'inflation sur sa part des paiements hypothécaires actuels. Sur cette demi-mensualité de 725 $ (soit 8700 $ par année), un taux d'inflation composé de 2,25 % par année équivaut à une épargne de 196 $ en 2014, de 399 $ l'année suivante, etc.

Après 25 ans, sous l'effet d'un rendement annuel de 4 %, Mélissa aurait ainsi accumulé 106000$.

À grande échelle

Le planificateur financier et actuaire Dany Provost, vice-président de Planium, a appliqué la même médecine à l'ensemble du budget.

À l'aide de ses logiciels spécialisés, il a évalué qu'avec son salaire de 53 000 $, Mélissa tirait un revenu net de 37 600 $. Il a soustrait de cette somme sa part des mensualités hypothécaires et foncières et du remboursement de la marge de crédit du couple. Il tient également compte du remboursement progressif de sa marge de crédit personnelle.

Résultat de l'opération arithmétique, il reste un solde d'environ 25 000 $, qui représente les dépenses annuelles courantes de Mélissa, puisqu'elle ne dégage aucune épargne. C'est ce train de vie de 25 000 $ que le planificateur veut maintenir jusqu'à la mort (lointaine) de Mélissa, avec un ajustement au coût de la vie de 2,25 % par année.

Mais alors que son revenu augmente, la mensualité hypothécaire reste fixe - dans l'hypothèse de travail que les taux demeurent stables. Après cinq ans, les marges de crédit se trouvent remboursées. Peu à peu, il se dégage ainsi du budget de Mélissa une épargne d'abord modeste (quelques centaines de dollars lors des quatre premières années), puis de plus en plus importante, jusqu'à dépasser 30 000 $ par année à 66 et 67 ans, lorsque l'hypothèque est acquittée.

Mélissa devra déposer ce surplus en REER et réinvestir le remboursement d'impôt.

Avec un rendement annuel de 4 % et après 30 ans de ce régime, elle aura ainsi accumulé à 67 ans quelque 400 000 $ dans son REER.

Ce sera le moment de demander une rente de la RRQ bonifiée.

En conservant ce coût de vie annuel de 25 000 $ ajusté à l'inflation (48 000 $ à 67 ans, 80 000 $ à 90 ans !), Mélissa peut devenir nonagénaire sans épuiser ses épargnes. À 90 ans, elle détiendra encore 255 000 $, sans compter sa part de la propriété, qui vaudra alors 487 000 $, si sa valeur a crû suivant un taux d'inflation de 2,25 %.

« Elle a les moyens de dépenser 25 000 $ par année et la clé de sa réussite financière pour la retraite est de respecter ce budget, avise Dany Provost. Avec une retraite à 67 ans, il faut toutefois que ses revenus soient au rendez-vous... »

D'autant plus que rien n'est prévu pour le remplacement de la voiture actuelle. Mais le moment venu (le plus tard possible), il sera peut-être possible d'envisager d'autres avenues, comme un abonnement à Communauto. Le commentaire de Mélissa sur l'usage actuel de la voiture, nécessaire pour les déplacements du week-end, laisse entendre qu'un véhicule n'est pas indispensable en tout temps.

Le scénario pose également l'hypothèse que les taux d'intérêt demeureront stables. Ce programme suppose en outre que Mélissa conservera son style de vie actuel, lequel elle considère comme quelque peu spartiate.

Toute augmentation de salaire supérieure à l'inflation lui permettra de compenser une hausse des taux d'intérêt, et peut-être d'accroître son niveau de vie - dans la mesure où une partie de ce supplément serait aussi consacrée à l'épargne de retraite.