Rose est toujours active et en bonne santé mais, plus elle vieillit, plus elle est préoccupée : elle ne veut surtout pas devenir un fardeau pour sa partenaire de vie. « Le jour où j'aurai besoin de soins en résidence pour personnes âgées, je ne veux pas être un poids financier pour ma conjointe, dit-elle. Et advenant une séparation, je crains d'être démunie. »

La quinquagénaire, même si elle a un revenu modeste (39 000 $), verse avec discipline 550 $ chaque mois dans ses REER. Mais elle sait que les soins aux personnes âgées coûtent cher, et elle n'est pas certaine qu'elle pourra les payer.

C'est pourquoi elle a souscrit, il y a quelques années, une assurance soins de longue durée. Elle aura droit à des prestations hebdomadaires dès qu'elle ne sera plus autonome, c'est-à-dire qu'elle ne pourra plus accomplir seule les tâches essentielles de la vie quotidienne, comme se vêtir, de laver, se nourrir, etc. Elle recevra 175 $ par semaine pour des soins à domicile pendant cinq ans. Si elle doit déménager en institution, elle recevra 350 $ par semaine.

Les primes coûtent 104 $ par mois. Mais après quatre années à payer, elle se demande si cette assurance en vaut la peine, ou si elle devrait plutôt consacrer ces sommes à son épargne retraite. « En plus, j'aimerais voyager pendant que je suis en forme, mais mon budget est très serré », dit-elle.

« Par contre, je ne sais pas si je peux compter sur mes placements pour l'avenir, poursuit Rose. En 2008, quand les marchés ont plongé, j'ai perdu le tiers de mes REER. Comme je n'ai pas un gros régime de retraite, je me demande ce que je ferai s'il y a un krach boursier, et si en plus, je suis malade. »

PORTRAIT :

Rose, 57 ans

Intervenante communautaire

Salaire : 39 000 $

REER : 147 700 $

Régime de retraite à prestations déterminées : 5700 $/année si elle prend sa retraite à 65 ans

Sa conjointe de fait

Monique, 59 ans

Retraitée de la fonction publique municipale

Revenu de retraite, prestations déterminées : 41 000 $

REER : 55 000 $

CELI : 20 000 $

Placements non enregistrés : 75 000 $

Condo : valeur de 280 000 $, libre d'hypothèque

Perte d'autonomie : une assurance qui n'est pas à la portée de tous

Les soins de longue durée sont un casse-tête, qui devient de plus en plus complexe à mesure que la population vieillit. Le gouvernement du Québec a lancé l'idée d'une assurance autonomie, pour fournir de meilleurs soins à domicile. Mais on ne sait toujours pas quand un tel système serait mis en place, ni comment il serait financé, bien que le ministre de la Santé estime que ses coûts seraient nuls, en raison des économies réalisées dans les centres d'hébergement.

Au moins, Rose a une longueur d'avance sur bien des gens : elle a réfléchi à ce qui l'attend si elle n'est plus capable de vivre de façon autonome. « Il y a beaucoup de pensée magique dans la population, plusieurs personnes ignorent l'ampleur du problème », observe Nathalie Tremblay, chef de produits santé chez Desjardins Assurances.

Il y a péril en la demeure, selon elle : nous vivons plus vieux, il y aura de plus en plus de personnes âgées, les soins coûtent de plus en plus cher, et la majorité de la population n'épargne pas assez pour ses vieux jours. Comme les parents vieillissants ont eu moins d'enfants que la génération précédente, il risque d'y avoir moins d'aidants naturels. Tout reposera sur les épaules de l'État, qui peine déjà à répondre aux besoins.

Coût d'une assurance soins de longue durée souscrite à 52 ans:

Rente mensuelle sans limite de temps

de 1000 $

femme : 66 $

homme : 53 $

de 2000 $

femme:119 $

homme : 92 $

-Desjardins Assurances

Coût des soins de longue durée pour la génération du baby-boom pour les 35 prochaines années au Canada : 1200 milliards

Coût annuel des soins de longue durée au Québec : 8 milliards

Portion des coûts que l'État peut assumer : 50 %

67 % des Canadiens ne savent pas comment ils paieront d'éventuels soins de longue durée

51 % préfèrent que le gouvernement couvre les soins de longue durée, même si cela signifie une hausse des impôts

10 % prévoient prendre une assurance soins de longue durée

4 % prévoient demander à leurs enfants de les aider à payer

- Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes

57 % des personnes de 85 ans et plus vivent dans un établissement de soins spéciaux

- Institut canadien d'information sur la santé

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Toute l'industrie de l'assurance tente de sensibiliser la population à cette éventualité, en présentant l'assurance soins de longue durée comme solution. Mais elle est peu populaire. Selon Nathalie Tremblay, c'est parce que les gens n'aiment pas penser à leur déchéance, et que les conseillers en assurances sont souvent mal à l'aise d'aborder la question.

De plus, ce produit n'est pas accessible à tous : le taux de refus frôle les 30 %, l'un des plus élevés dans l'industrie, révèle Mme Tremblay. « Peut-être que les clients s'y intéressent quand ils commencent à éprouver des problèmes de santé, mais ils sont alors refusés parce qu'ils représentent un trop grand risque », dit-elle.

Le coût des primes n'est pas non plus à la portée de tous. Surtout qu'elles ont augmenté d'environ 20 % au cours de la dernière année, comme tous les produits d'assurance à long terme, en raison des bas taux d'intérêt.

« Ceux qui ont les moyens de se payer cette assurance n'en ont pas vraiment besoin, parce qu'ils seront capables de se payer les soins nécessaires. Alors que ceux qui en auraient besoin n'ont pas les moyens de se la payer », croit Denis Preston.

Pour bien des gens, une telle assurance se retrouve loin dans la liste de leurs préoccupations. « Les priorités devraient être l'assurance invalidité, quand on est toujours au travail, puis l'assurance-vie, si on a des dépendants. Ensuite, le mieux est de cotiser au maximum au REER et au CELI, estime Denis Preston. Pour la majorité des gens, il ne reste ensuite pas beaucoup de liquidités pour autre chose. »

M. Preston ajoute que les primes à payer pour l'assurance soins de longue durée, tout comme l'assurance maladie grave, sont élevées en comparaison des prestations que l'on pourrait recevoir. Plusieurs assurés perdent aussi leur couverture parce qu'ils oublient un paiement.

« Cette assurance s'adresse avant tout à des gens qui ont déjà une bonne épargne pour la retraite », dit Nathalie Tremblay, qui suggère d'y penser au tournant de la cinquantaine. « À cet âge, on en a plus pour son argent avec l'assurance soins de longue durée qu'avec l'assurance maladie grave, en raison du coût de primes. »

Solution pour une épargne retraite en santé

Pour aider Rose à déterminer l'utilité de son assurance soins de longue durée, le planificateur financier Sylvain Chartier, expert-conseil à la Financière Banque Nationale, s'est d'abord attardé à ses revenus de retraite. Bonne nouvelle : le REER qu'elle aura accumulé et son petit régime de retraite lui permettront de maintenir son niveau de vie actuel quand elle quittera le boulot, à 63 ans.

Cependant, si elle a besoin de soins spécialisés, à domicile ou en établissement, son budget pourrait être trop serré pour payer des services privés : le loyer dans un centre privé peut être deux fois plus élevé que dans le réseau public. Les Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) publics, qui accueillent les personnes ayant besoin de plus de trois heures de soins par jour, chargent 1742 $ par mois pour une chambre privée. Le loyer peut être réduit pour les personnes qui démontrent que leurs revenus sont insuffisants.

« Si elle décidait de laisser tomber son assurance, Rose devrait s'en remettre au système public si elle a besoin de soins de longue durée, dit Sylvain Chartier. Si elle ne reçoit pas d'aide financière de sa conjointe, il ne lui resterait que 3000 $ par année pour ses dépenses, une fois qu'elle aura payé le loyer en CHSLD. Mais quand on vit dans un tel établissement, on a généralement peu de dépenses. »

Quand elle évalue la capacité de payer des patients, la Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ) tient compte de tous les revenus et biens de la personne et de son conjoint, si elle est mariée. Mais les conjoints de fait ne font pas partie de l'équation. Les revenus et actifs de Monique ne seraient donc pas calculés si Rose demandait une révision de son loyer dans un CHSLD, puisqu'elles sont conjointes de fait.

Par contre, les revenus d'une assurance sont pris en compte.

Dans la situation actuelle, l'épargne retraite de Rose se porte bien. Il n'est pas nécessaire qu'elle y ajoute les 104 $ par mois qu'elle paie pour son assurance.

« Mais c'est à elle de décider si elle veut consacrer ces 1250 $ par année à mieux profiter de la vie actuellement, ou si elle veut avoir la possibilité, en cas de besoin, de choisir une résidence qui offrira des services plus sophistiqués », souligne Sylvain Chartier.