Michel, pompier de la région de Montréal, a la chance d'avoir un excellent régime de retraite à prestations déterminées offert par son employeur. Mais il est inquiet: il est sur le point d'en voir partir la moitié en raison de son divorce. En effet, les caisses de retraite font partie du patrimoine familial, qui doit être partagé entre les ex-conjoints, tout comme les REER accumulés pendant le mariage.

Pour Michel, le divorce signifie qu'il doit transférer près de 100 000 $ à son ex-conjointe, Claudine, qui n'a pas de régime de retraite et très peu de REER. Cela s'ajoute aux sommes qu'il lui a versées pour le rachat de la maison familiale - qu'il a réhypothéquée - et à la pension alimentaire qu'il doit lui payer pour leur fille de 14 ans, en garde partagée.

L'homme de 38 ans est amer devant cette situation. «Je lui ai toujours recommandé de prendre des REER, mais elle ne le faisait jamais, ce n'était pas une priorité pour elle, confie-t-il. Par contre, elle se payait des voitures neuves. Les seuls REER qu'elle a, c'est moi qui les ai pris pour elle. Et là, je dois lui donner la moitié de tout ce que j'ai accumulé en prévision de ma retraite.»

Il ne veut pas se soustraire aux règles de partage du patrimoine familial. Mais il se demande si, au lieu d'amputer sa caisse de retraite, il pourrait indemniser Claudine d'une autre façon. «Est-ce que je pourrais lui donner plus de REER, ou même du comptant, en empruntant?», s'interroge-t-il. 

PORTRAIT

Michel, 38 ans, pompier

En instance de divorce

Une fille de 14 ans en garde partagée

Revenu : 75 000 $

REER partageable : 30 000 $

Valeur partageable du régime de retraite : 177 400 $

REER non-partageable (accumulé depuis la séparation) : 4000 $

Hypothèque : 180 000 $, sur une propriété de 235 000 $

Dettes - carte et marge de crédit : 15 000 $

Ex-conjointe : Claudine, 38 ans, commis

Revenu : 25 000 $

REER de conjoint : 10 000 $

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SOLUTION : Négocier le partage du patrimoine familial

Michel a d'autres options que de piger dans sa caisse de retraite pour s'acquitter de ses obligations envers Claudine, répond Nathalie Bachand, actuaire et planificatrice financière. Ce qu'on doit partager en cas de divorce, c'est la valeur du patrimoine familial dans son ensemble. Un partage équitable ne signifie pas nécessairement que chaque élément doit être divisé en deux, note-t-elle. «Tout peut être négocié. Les fonds peuvent venir d'ailleurs, être payés sous une autre forme, pourvu que ça soit équivalent à la fin.»

Si les REER du couple (40 000 $ au total) sont partagés également, Michel devra 10 000 $ à Claudine pour que chacun reparte avec 20 000 $. Claudine a aussi droit à 50 % de la valeur du régime de retraite de Michel, soit 88 700 $. Elle devra placer cette somme dans un compte de retraite immobilisé (CRI) en prévision de sa retraite.

Comme il a épargné 4000 $ dans son REER depuis la séparation l'automne dernier, Michel pourrait décider de donner ses 24 000 $ de REER à Claudine, ce qui réduirait d'autant la ponction dans sa caisse de retraite - il lui devrait alors 64 700 $. Devrait-il aller chercher de l'argent ailleurs, par exemple en empruntant, pour que son régime de retraite soit encore moins touché? Pas sûr, étant donné son niveau d'endettement, dit Nathalie Bachand. «S'il emprunte encore, il devra se serrer la ceinture pour pouvoir faire face à ses obligations.»

Surtout que, même avec une rente un peu moins élevée, Michel sera loin d'être mal placé à la retraite. Il pourra prendre confortablement sa retraite à 55 ans, après 30 années de service, selon les calculs de Mme Bachand. Jusqu'à 65 ans, il recevra une rente de 50 000 $ par année (au lieu de 56 000 $ s'il n'avait pas partagé son régime), puis 38 000 $ par la suite. Plus environ 10 000 $ de la Régie des rentes du Québec à 65 ans, et 6500 $ en pension de la sécurité de la vieillesse à 67 ans. «Il aura alors beaucoup moins de dépenses, souligne l'experte du cabinet de planification financière Bachand Lafleur. Dans une dizaine d'années, il n'aura plus de pension alimentaire à payer. Dans vingt et un ans et demi, il aura fini de payer son hypothèque. Il pourra maintenir son niveau de vie et aura assez d'argent pour se rendre à 90 ans.»

PERSPECTIVE : Un bon médiateur pour bien divorcer

En cas de divorce ou de séparation, les couples avec enfants ont droit à cinq heures de médiation familiale gratuite pour régler tous les aspects de leur rupture et éviter le recours aux tribunaux.

Les médiateurs familiaux peuvent être issus du milieu juridique (avocats ou notaires) ou du milieu psychosocial (psychologues, travailleurs sociaux, etc.). Ils n'ont donc pas tous les mêmes compétences, comme l'a appris Michel au moment de s'entendre avec Claudine. «On a réglé la question de la garde de notre fille et du rachat de la maison, mais quand on a voulu parler de la caisse de retraite, le médiateur, un travailleur social, a dit qu'il n'était pas à l'aise avec ces questions», raconte le pompier.

Normalement, le médiateur aurait dû diriger les ex-conjoints vers un expert (un actuaire, en l'occurrence) ou en joindre un lui-même pour obtenir les renseignements sur la valeur du régime de retraite de Michel, explique Me Jean-François Chabot, vice-président de l'Association des médiateurs familiaux du Québec. Cette démarche peut entraîner des coûts, par exemple, de 900 à 1200 $ pour évaluer une caisse de retraite, selon Me Chabot. «Mais c'est important que le couple ait une vue complète de sa situation, dit-il. La valeur de la caisse de retraite doit être mise dans la balance pour négocier tout le reste.»

Les sommes attendues de la Régie des rentes du Québec (RRQ) à la retraite doivent aussi faire partie du portrait. «On peut obtenir une simulation gratuite du partage de la rente de la RRQ», dit Nathalie Bachand.

Les travailleurs sociaux et les psychologues ne sont pas nécessairement de mauvais médiateurs, souligne Me Chabot. Ils peuvent être très compétents quand les conjoints sont à couteaux tirés. «Mais un bon médiateur devrait avoir dans son réseau des comptables, des actuaires, des fiscalistes et d'autres experts qui pourront aider les clients sur des aspects particuliers», dit-il.

Bien des clients se sentent victimes d'injustice au moment d'un divorce, note l'avocat médiateur. «Ils disent: "C'est moi qui ai travaillé pour accumuler tout ça, pourquoi je dois renoncer à la moitié?" On doit rappeler aux gens le contrat qu'ils ont signé au moment de leur mariage.» Le médiateur doit parfois faire valoir que l'autre conjoint, souvent la femme, a apporté une contribution non monétaire au ménage, par exemple en étant plus présent à la maison pendant que l'autre progressait dans sa vie professionnelle.

À la suite de la médiation, les ex-conjoints devraient se laisser sans amertume et sans avoir l'impression de s'être fait avoir, souligne Jean-François Chabot. «Si l'un des deux se sent lésé et en veut à l'autre, ça empoisonnera toutes les relations familiales. Si on ne peut pas inviter les deux grands-parents au premier anniversaire de leur petit-fils parce qu'ils ne peuvent pas se sentir, tout le monde en souffrira.»