Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc de la Durantaye, premier vice-président, répartition d'actifs et devises, chez Gestion globale d'actifs CIBC.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Ce sont les derniers commentaires de la Réserve fédérale américaine (Fed) en fin de journée mercredi. La Fed a voulu «remettre les pendules à l'heure» dans les marchés quant à sa politique de soutien financier de l'économie et une éventuelle remontée des taux d'intérêt.

Lors de ses commentaires précédents, à la mi-juin, les marchés avaient conclu un peu trop vite à la fin de ses achats massifs d'obligations (assouplissement quantitatif) et une remontée rapide des taux d'intérêt. Par conséquent, les réactions avaient été exagérées (chute des valeurs mobilières, sursaut des taux obligataires).

Mercredi, la Fed a tenu à distinguer ses deux politiques en expliquant qu'une réduction des achats d'obligations ne devait pas être liée à un resserrement de la politique monétaire (taux d'intérêt) qui, lui, dépendra de la solidité de l'économie américaine.

Donc, on revient au scénario d'une éventuelle remontée des taux au début de 2015, et non dans six mois comme l'ont cru les marchés depuis la mi-juin.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Dans les marchés financiers, je m'attends à une stabilisation des taux obligataires aux États-Unis après les sursauts des dernières semaines. Ça serait une pause à la hausse un peu forte récemment, pour les taux, mais aussi le dollar américain.

Je surveille aussi une stabilisation du prix de l'or, après la grande correction des derniers mois. Ça signalerait un peu moins de nervosité dans les marchés.

Dans l'économie, les indicateurs que je surveille le plus ces temps-ci sont, d'une part, ceux du marché de l'emploi aux États-Unis. Il faudrait que la création d'emplois se maintienne à 200 000 et plus par mois.

D'autre part, je surveille les indicateurs du niveau de confiance des dirigeants d'entreprises en Europe. Après être descendue très bas, à des niveaux de récession, cette confiance remonte un peu depuis deux mois. Elle demeure faible, cependant, et il faudrait que la remontée se poursuive.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Chez Gestion globale d'actifs CIBC, ces temps-ci, notre pondération de portefeuille est plus favorable aux actions qu'aux obligations.

Dans les actions, nous sommes sous-pondérés au Canada, mais surpondérés en actions américaines. Surtout envers les titres des secteurs plus sensibles à la croissance économique comme les services financiers et les technologies.

En contrepartie, nous sommes sous-pondérés en actions d'entreprises dont la valeur des actions est sensible aux taux d'intérêt, comme les services publics.

À l'international, nous sommes légèrement surpondérés en Europe, parce qu'il y a des occasions d'achat avec les actions dépréciées de certaines grandes entreprises de qualité. Aussi, depuis peu, nous sommes surpondérés dans les marchés émergents. Les mauvaises nouvelles économiques dans ces pays sont déjà bien «escomptées» dans les marchés, et il y a maintenant des occasions à saisir.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

À mon avis, le niveau d'encaisse (liquidités) est trop élevé dans la moyenne des portefeuilles, notamment chez les particuliers-investisseurs.

Ça traduit leur méfiance qui perdure envers les marchés financiers. Mais ça accentue aussi la perte de pouvoir d'achat.

En fait, dans la conjoncture actuelle, les investisseurs doivent revoir leur perception des «valeurs refuges» qui a prévalu ces dernières années.

Il faut tenir compte du rendement minime sinon négatif dans lequel se retrouvent maintenant les placements en or, en obligations et en Bons du Trésor.

Les investisseurs ont intérêt à privilégier la recherche d'actions d'entreprises de qualité, mais encore dévalorisées en Bourse plutôt que de chercher encore des valeurs refuges.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

La pondération en obligations demeure élevée dans beaucoup de portefeuilles, après des années de «sous-performance» à moyen terme du marché des actions.

Or, je crois que ces investisseurs sous-estiment le risque de dépréciation des titres obligataires lorsque les taux d'intérêt et la croissance économique reviendront un peu plus vers leur «normale».

Ce redressement vient de s'amorcer, d'ailleurs, et des placements obligataires sont déjà en rendement négatif.

Cette tendance pourrait s'accentuer bientôt lorsque les investisseurs auront constaté leurs pertes de valeur en obligations dans leur relevé de compte de mi-année (au 30 juin), qu'ils reçoivent ces jours-ci.

- Propos recueillis par Martin Vallières

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Luc de la Durantaye est premier vice-président à la répartition d'actifs et la gestion des devises chez Gestion globale d'actifs CIBC, une filiale d'investissement de la banque CIBC. À ce titre, il supervise une équipe de 20 personnes à Montréal et à Toronto qui gère 22 milliards en actifs de placement et 15 milliards en actifs de devises.