Émilie est une jeune femme éduquée, qui occupait un emploi intéressant et grimpait les échelons dans son entreprise. Après la naissance de son premier enfant, il y a quatre ans, elle a cependant décidé de mettre sa carrière sur pause pour être maman à temps plein.

Plus du quart des femmes ayant un enfant de moins de six ans s'absentent du marché du travail pour quelques années. C'est moins qu'il y a 30 ans, mais la différence, c'est que les mères d'aujourd'hui sont plus nombreuses à ne pas être mariées : 63 % des enfants québécois naissent de couples en union libre.

Et ces nouvelles femmes au foyer ne réalisent pas toujours qu'elles hypothèquent leur situation financière en faisant ce choix. Le jugement très médiatisé de la Cour suprême dans l'affaire Lola contre Éric, rendu il y a quelques mois, a confirmé que les conjoints de fait n'ont pas droit à une pension alimentaire ni au partage du patrimoine familial en cas de rupture. Mais bien des femmes en union libre continuent de quitter le travail sans assurer leurs arrières.

C'est le cas d'Émilie, 37 ans, qui vit en union de fait depuis 10 ans avec Léonard : après la naissance de ses enfants, elle n'a eu presque aucun revenu d'emploi et n'a rien épargné pour la retraite. C'est Léonard qui assume seul toutes les dépenses de la famille. Il continue aussi à cotiser au régime de retraite de son employeur et à garnir son REER. Le couple n'a pas de contrat de vie commune, ni de testament.

« Je suis un peu inquiète pour ma situation financière, dit la jeune mère. Je sais que je vais être pénalisée à la retraite. Et quand je retournerai au travail, je n'aurai pas le même salaire. »

Unions libres = unions précaires

Émilie a raison de s'inquiéter : en cas de rupture, Léonard n'aurait aucune obligation envers elle. Comme elle est copropriétaire de la maison, la moitié lui reviendrait. Mais elle n'aurait rien pour sa retraite, ni de pension alimentaire Les unions libres étant généralement moins durables - en moyenne 4,3 années, contre 14,3 années pour les mariages -, bien des mères subiront les conséquences financières de cet intermède passé à la maison. « C'est une décision très coûteuse du point de vue financier, professionnel et personnel », souligne Francine Descarries, sociologue, membre de l'Institut d'études féministes de l'UQAM.

En 2009, le revenu moyen des Québécoises était de 29 728 $, comparativement à 44 547 $ pour les hommes. Cette différence se répercute à la retraite : le revenu des femmes de 65 ans et plus est de 24 896 $, comparativement à 38 606 $ pour les hommes du même âge.

Même en cas de congé de maternité conventionnel, les femmes voient leur revenu baisser après la naissance d'un bébé, malgré les prestations gouvernementales, et elles sont plus nombreuses ensuite à réduire leurs heures de travail, note Hélène Belleau, professeure à l'INRS et auteur du livre Le mythe du mariage automatique. « L'arrivée des enfants creuse les écarts de revenus dans les couples, souligne-t-elle. Certains en tiennent compte, mais pas tous. Chez les plus jeunes, les revenus sont souvent gérés de façon individuelle plutôt que partagés. » Quand le ménage accepte une baisse de revenu en fondant une famille, il doit aussi s'assurer que celui qui reste à la maison ne soit pas seul à subir les conséquences financière, ajoute-t-elle.

Signe ici, chéri !

Première mesure à prendre : signer un contrat de vie commune - comme le font 19 % des couples en union libre, selon un sondage de la Chambres des notaires du Québec, mené en mars. « Souvent ce sont les femmes qui traînent leur chum chez le notaire, parce qu'elles se sentent en situation d'insécurité », raconte la notaire Denise Archambault, co-auteure du livre Les bons comptes font les bons couples.

Les conjoints de fait peuvent décider de ce qu'ils veulent inclure ou non dans leur contrat : maison familiale, voitures, régimes de retraite, autres placements, etc. « Souvent, on va leur suggérer de prévoir, en cas de rupture, le partage de ce qui a été accumulé pendant la vie commune ou depuis la naissance des enfants, explique Me Archambault. Mais ça dépend de la situation de chacun. »

Un REER pour le parent au foyer

Autre option possible: le REER de conjoint. « C'est rassurant pour le parent qui n'a plus de revenu d'avoir quelque chose à son nom », note Denis Archambault. Le couple pourrait aussi prévoir un montant versé au parent au foyer. Le point important à retenir : il faut que tout soit écrit noir sur blanc dans un contrat et révisé régulièrement. Parce que, c'est bien connu, les paroles s'envolent...

Un comité se penchera sur le droit de la famille

Le ministre de la Justice du Québec, Bertrand Saint-Arnaud, a créé la semaine dernière un comité qui se penchera sur la pertinence de réformer ou non le droit de la famille. La Chambre des notaires du Québec s'est prononcée en faveur d'une réforme en profondeur, en fonction des « nouvelles configurations conjugales et familiales ». Si le comité recommande une telle réforme, d'autres consultations seront menées sur le type de modifications qui devraient être apportées. 

Le portrait

Émilie, 37 ans

Mère de deux enfants de 3 et 4 ans

A quitté le marché du travail il y a 5 ans, sauf pour quelques contrats à temps partiel

Revenu : 8000 $

REER : 20 000 $

CELI : 3000 $

Léonard, 38 ans

Revenu : 140 000 $

REER : 80 000 $

Cotise à un régime de retraite offert par son employeur

Conjoints de fait depuis 10 ans

Copropriétaires d'une maison de 565 000 $

Hypothèque : 260 000 $

Marge de crédit : 13 000 $

Prêt auto : paiements de 625 $ / mois

Le problème

Émilie et Léonard ne sont pas mariés, n'ont pas de contrat de vie commune ni de testament. Avant la naissance de leur premier enfant, Émilie occupait un emploi de superviseure, à 50 000 $ par année. Même si elle a plusieurs diplômes (notamment un bac et un MBA), elle a décidé de sacrifier sa carrière pour se consacrer à la famille. Depuis, elle n'a rien ajouté à son épargne-retraite. Et elle est consciente du fait que, lorsqu'elle voudra réintégrer le marché du travail, le trou que comportera son CV risque de lui nuire.

Émilie veut savoir comment conclure avec son conjoint une entente équitable, qui reconnaisse le fait qu'elle renonce à son salaire et à son autonomie financière. « Même quand les enfants seront à l'école primaire, je voudrais travailler à temps partiel seulement, dit-elle. Je crois que c'est bénéfique pour toute la famille que j'aie plus de temps à consacrer aux tâches domestiques. » Les revenus élevés de son conjoint leur permettent de vivre confortablement avec un seul salaire, mais Émilie n'aime pas se sentir dépendante de Léonard. « J'ai l'impression de devoir demander la permission avant de faire un achat pour moi », dit-elle.

La solution

Le couple doit de toute urgence se pencher sur la situation précaire d'Émilie. « C'est assez dramatique : elle n'a aucun salaire et n'accumule rien pour sa retraite, souligne la planificatrice financière et fiscaliste Josée Jeffrey, de Focus Retraite & Fiscalité. En cas de rupture, elle serait en très mauvaise posture à la retraite. »

Selon la notaire Denise Archambault, Émilie et Léonard ont besoin de quatre documents : un testament, un mandat en cas d'inaptitude, une convention de copropriétaires et un contrat de vie commune. C'est dans le contrat de vie commune que les couples peuvent prévoir une clause de pension alimentaire en cas de rupture, pour celui qui a délaissé sa carrière pour s'occuper des enfants, explique Me Archambault. « Les conjoints peuvent aussi prévoir un partage de tous les fonds accumulés pendant la durée de la vie commune, incluant les REER et les régimes de retraite », dit-elle.

Léonard pourrait aussi contribuer à un REER de conjoint, au nom d'Émilie. « Ce serait une forme de compensation pour les revenus qu'elle a perdus », explique Josée Jeffrey. Me Archambault est du même avis. « Au lieu de contribuer à son propre REER, Léonard devrait contribuer à celui d'Émilie tant qu'elle est à la maison, ou jusqu'à ce qu'elle ait accumulé la même somme que lui », dit-elle. De cette façon, c'est tout de même Léonard qui a droit à la déduction fiscale.