Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Paul Taylor, vice-président principal et chef des placements, titres canadiens fondamentaux, chez BMO Gestion d'actifs.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

L'agitation qui a bousculé les principaux indices boursiers nord-américains récemment suggère que les marchés étaient peut-être rendus en légère surévaluation, poussés par des attentes élevées envers les résultats d'entreprise et la conjoncture économique.

Après quelques mois encourageants aux États-Unis, les plus récentes données économiques, presque toutes inférieures aux attentes, ont soudainement atténué ce sentiment favorable en Bourse.

En particulier, les indices de l'emploi non agricole et de la production industrielle ont provoqué l'impression d'une nette modération de la croissance économique en mars, à l'inverse de ce qui s'observait depuis plusieurs mois.

Aussi, les données à propos des consommateurs américains suggèrent un ajustement de leur comportement d'achat après la hausse des impôts prélevés sur les salaires, en début d'année.

Pour les marchés boursiers, ces indices économiques moins favorables à court terme augurent d'une certaine nervosité pendant encore plusieurs semaines, sinon quelque mois.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

En priorité: l'économie américaine à court terme et la réaction des marchés boursiers.

Après un premier trimestre relativement fort aux États-Unis, il faudra voir si le trimestre en cours sera le plus faible en 2013, comme ce fut le cas depuis quelques années.

Chez BMO Gestion d'actifs, nous anticipons un regain modeste de croissance de l'économie américaine durant la seconde moitié de 2013. Ce regain serait appuyé sur l'amélioration du marché résidentiel et un sentiment plus favorable parmi les consommateurs américains.

Sur les marchés boursiers, nous sommes d'avis que les préoccupations récentes des investisseurs face aux risques macroéconomiques aux États-Unis (mur fiscal), en Europe (crise d'endettement) et en Chine (soudain ressac de croissance) continueront de s'atténuer.

Par conséquent, les investisseurs concentreront leur attention vers l'économie américaine et les fondamentaux des résultats des entreprises.

Que feriez-vous avec quelques dizaines de milliers de dollars à investir?

J'investirais cette somme de façon diversifiée, mais avec une sur-pondération délibérée en faveur des actions, en particulier les actions d'entreprises américaines.

En général, cette répartition serait de l'ordre de 65 % en actions et de 35 % en obligations. Pour la portion en Bourse, j'allouerais au plus 30 % en actions canadiennes, mais au moins 25 % en actions américaines et 15 % en actions internationales (Europe, Asie).

Mon sentiment favorable envers les actions se base sur leur valeur relative par rapport aux obligations. En fait, les actions s'échangent ces temps-ci à des valeurs encore raisonnables, alors que les obligations sont extrêmement chères.

Quant à mon sentiment envers les actions américaines, il s'appuie sur l'attente que l'économie des États-Unis retrouvera bientôt son rôle pivot de la croissance économique mondiale.

En revanche, sur la Bourse canadienne, considérant le poids des matières premières qui sont dans un long repli cyclique, le principal indice de marché (S&P/TSX) risque de demeurer en «sous-performance» par rapport à ses voisins américains, comme il le fait depuis une quinzaine de mois.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Les obligations négociables! Elles représentent un placement horrible ces temps-ci, tant en rendement réel à court terme qu'en valeur relative à moyen terme.

Je préférerais même rester en comptant plutôt que d'investir davantage dans des obligations. Avec les taux obligataires aussi bas, très proche du taux d'inflation, les investisseurs en obligations n'ont plus aucun coussin en cas de remontée de l'inflation à moyen terme.

Si l'inflation demeure inchangée, leur rendement courant est de zéro dans le meilleur des scénarios. Mais si l'inflation augmente, ces investisseurs se retrouveront immédiatement en rendement négatif.

Dans le contexte actuel, pour justifier un investissement en obligations, vous devez avoir un sentiment très défavorable envers les perspectives du marché des actions. Pour quelques années, même.

Or, rien ne justifie un tel négativisme boursier ces temps-ci, au-delà de certains ajustements de valeur à court terme.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

Il y a de plus en plus d'attentes envers une remontée éventuelle des taux obligataires et des taux d'intérêt, ne serait-ce que pour réduire le déficit de nombreuses caisses de retraite et rehausser le rendement des placements considérés les moins risqués.

Or, je crois que ceux qui ont de telles attentes sous-estiment aussi beaucoup l'impact énorme qu'aurait la moindre remontée des taux d'intérêt sur les institutions publiques qui se sont beaucoup endettées ces dernières années, à commencer par le gouvernement fédéral des États-Unis.

Avec une dette presque doublée à plus de 15 000 milliards, le gouvernement américain serait en graves difficultés budgétaires si ses coûts de financement devaient augmenter. Washington n'aurait alors plus le choix de réduire considérablement ses dépenses et de rehausser ses revenus par des taxes et des impôts additionnels.

Je n'ai aucune envie de voir l'impact de telles mesures budgétaires sur l'économie américaine et celles de ses principaux partenaires commerciaux, dont le Canada.